Petit guide pratique pour ne pas foirer sa révolution

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A la veille de l’acte IV des gilets jaunes, la tension monte entre manifestants et forces de l’ordre. Le gouvernement est dans l’impasse et l’obsession sécuritaire.

Décembre 2018. Vème République, cinquième puissance mondiale. Tout. Va. Bien. Alors que le mouvement des gilets jaunes ne cesse de prendre de l’ampleur, la répression policière de l’exécutif apparaît comme disproportionnée. Les armes dites « non létales » continuent de mutiler, de blesser grièvement voire de tuer. Le pouvoir en place envisage même d’envoyer l’armée lors de la prochaine manifestation. Dans le même temps, des lycéens sont humiliés par la police. Certains passent près de quatre heures à genoux, les mains sur la tête, parce qu’ils ont osé bloquer leur lycée de Mantes-la-Jolie. D’autres font 36 heures de garde à vue pour avoir tagué « Macron démission ».

Face à sa propre crise, la démocratie libérale prend des airs d’Etat policier. Alors, les références à la révolution se multiplient parmi les manifestants. Et, quitte à la faire, cette révolution, autant ne pas commettre d’impair. Nous avons l’histoire avec nous, autant tirer les leçons et les enseignements des révolutions passées. Voici quelques pistes des « trucs à refaire » et des « trucs à ne pas refaire » afin que la « révolution des gilets jaunes » soit une réussite.

 

1789

Contexte

La France est un empire colonial dont la société est fondée sur les privilèges de naissance. La majorité des gens, du Tiers-État aux esclaves, n’ont aucun droit, aucune chance de s’élever dans la société. La France est au bord de la banqueroute, et connaît des crises économique (agricoles) répétées. Personne ne voit arriver la Révolution, mais ça fait une vingtaine d’années qu’on parle de la crise, que les révoltes grondent dans à peu près tous les secteurs de la société.

Les trucs à refaire

  • croire en la révolution
  • créer une alliance entre les députés (du moins une partie d’entre eux) et le peuple des faubourgs et des campagnes
  • accepter de se rassembler avec des gens qui ne pensent pas exactement comme nous contre un ennemi commun tellement redoutable que ça vaut le coup de dépasser ses intérêts, sa classe
  • comprendre que le peuple est le moteur de la révolution
  • mobiliser l’ensemble de la société pour permettre DES révolutions : la Grande Peur qui a amené la nuit du 4-Août fut répétée dans les campagnes

Les trucs à ne pas refaire

  • laisser confisquer la parole du peuple
  • refuser le droit de vote aux « libres de couleurs », aux esclaves, aux femmes et aux pauvres
  • imposer la République révolutionnaire (il faut la faire aimer !)
  • confondre unité et unanimisme

 

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1830

Contexte

Durcissement soudain de la monarchie de Charles X, qui a voulu être à nouveau absolue. Les Français étaient déjà habitués à l’idée de liberté. Le pouvoir devient inactuel. La bourgeoisie parisienne se soulève.

Les trucs à refaire

  • refaire confiance à l’esprit de 1789, malgré les mauvais souvenirs
  • multiplier les attroupements, les barricades
  • être nombreux ! (1830 submerge les armées de Charles X)
  • faire l’alliance des ouvriers, des artisans, des étudiants et des opposants républicains

Les trucs à ne pas refaire

  • se laisser confisquer le pouvoir par la bourgeoisie libérale
  • quitter la salle avant l’accomplissement de la révolution et être trahi par l’homme le plus populaire du camp républicain (La Fayette), qui prend peur et passe le pouvoir à un despote (Louis-Philippe)

 

1848

Contexte

C’est la fin d’un pouvoir qui avait trahi une révolution : celui de Louis-Philippe. Une nouvelle classe sociale commence à grandir : le monde ouvrier. Toujours pas de suffrage universel. Une paysannerie structurellement affectée par les moindres aléas économiques. La révolution de 1848, c’est celle de la défiance envers un pouvoir qui s’effondre sur lui-même, d’épuisement.

Les trucs à refaire

  • utiliser la force de la 1ère République
  • rallier la garde nationale au peuple
  • face aux interdictions de se réunir, de manifester : faire des banquets
  • abolir l’esclavage
  • mettre des ouvriers au gouvernement
  • ajouter de la poésie, du romantisme, dans les mots d’ordre

Les trucs à ne pas refaire

  • fermer les ateliers nationaux
  • désespérer les classes laborieuses
  • laisser une Assemblée conservatrice se mettre en place
  • laisser Louis-Napoléon récolter la mise

 

1871

Contexte

La France est en guerre contre la Prusse. Les Prussiens font le siège de Paris. Parallèlement, le Second Empire de Louis-Napoléon Bonaparte laisse place à une République qui, temporairement, a élu résidence à Versailles. Les « Versaillais », républicains conservateurs, négocient avec les Prussiens. Une partie du peuple se sent trahi. C’est dans ce contexte que naît la Commune.

Les trucs à refaire

  • créer des comités de quartier : il faut prendre conscience qu’une révolution se fait en partant de la communauté, qu’elle est municipale tout en étant universelle
  • avoir un programme social très avancé (école pour les filles, soupes populaires, droit de révocation, suppression des dettes, etc.)
  • avoir un art révolutionnaire

Les trucs à ne pas refaire

  • oublier les femmes
  • se faire massacrer par les Versaillais, faute d’organisation militaire liée à un conflit interne (jacobin majoritaire/libertaire minoritaire). Les libertaires refusant tout principe d’autorité et hiérarchique, ils vont rendre impossible une résistance « militaire » efficace.

 

Idées en vrac

  • ne pas remettre au pouvoir les gens qui ont déjà eu le pouvoir
  • ne pas se réinstaller dans les anciens lieux du pouvoir déchu
  • ne pas se précipiter, ne pas faire des élections tout de suite, supporter un moment de désordre, ou du moins d’un ordre auquel on n’est pas habitué
  • multiplier les lieux de discussion collective
  • penser à la révolution médiatique, de quels médias avons-nous besoin ?
  • s’inspirer des luttes féministes
  • récupérer l’argent

 

Voilà ! Peut-être qu’avec ces quelques clés de lecture, la révolution de 2018, ça ira ! Qui sait ?

 

Loïc Le Clerc, avec l’aide indispensable des historiens Thomas Branthôme, Laurence De Cock, Mathilde Larrère, Roger Martelli et Guillaume Mazeau.

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