De la Troïka à Goldman Sachs, le pantouflage de Barroso fait des vagues [2/2]

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Ex-président de la Commission européenne, désormais collaborateur de la banque Goldman Sachs, José-Manuel Barroso ne s’est jamais appliqué les politiques d’austérité qu’il a imposées aux autres…

Première partie : [De la Troïka à Goldman Sachs, le pantouflage de Barroso fait des vagues 1/2]

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Jérôme Duval est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes.

À la tête de la Commission européenne durant une décennie pour faire appliquer des contre-réformes régressives en Europe, Barroso profite de la mise en place de la Troïka pour mener des politiques d’austérité antisociales là où celle-ci mène ses programmes. Le mot d’ordre : baisse des dépenses publiques via des réductions de salaire et des retraites dans la fonction publique, pour honorer des objectifs macroéconomiques imposés de l’extérieur.

Cependant, l’homme fort de l’austérité se garde bien de s’appliquer à lui-même ce qu’il impose aux populations. À son poste de président de la Commission européenne, il percevait un salaire mensuel de plus de 25.000 euros brut sans compter son allocation pour frais de résidence (15% de son salaire) ni celle pour frais de représentation d’environ un SMIC par mois (1 418 euros) – lire ici.

Code de conduite

À soixante ans, Barroso, qui a toujours prôné un recul de l’âge légal de départ à la retraite – comme dans son pays le Portugal où il est passé de 65 à 66 ans ou en Hongrie où il a été porté à 65 ans[[Per Thiemann, Thomas Lauritzen, « José Manuel Barroso, the banker, is already receiving retirement payouts from the EU », Politiken, 27 septembre 2016.]] – jouit depuis avril 2016 d’une confortable retraite anticipée de 7.000 euros mensuels en plus de son salaire – encore inconnu à ce jour – chez Goldman Sachs International depuis juillet. Le-chantre-de-l’austérité-en-Europe, emblème d’une guerre de classe prononcée, montre l’exemple d’une carrière fulgurante au sein de l’élite capitaliste… impossible à suivre pour les 99% restant de la population.

Le 13 septembre dernier, des membres du Parti socialiste et quelques eurodéputés, dont Eva Joly, donnent de la voix dans une tribune publiée par Libération. Ils déclarent que « le cas de M. Barroso constitue une violation claire et manifeste de l’article 245 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». En effet, même s’il reste trop vaguement défini, cet article 245 stipule que les membres de la Commission « prennent, lors de leur installation, l’engagement solennel de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages » et prévoit qu’en cas de violation de ces obligations, la Cour de justice soit saisie pour « prononcer la déchéance du droit à pension de l’intéressé ou d’autres avantages en tenant lieu ».

Si l’on en croit cet article du code de conduite qui semble exiger une « intégrité » à vie des commissaires, il serait alors en contradiction avec les règles anti-pantouflage qui, à ce jour, ne courent que pendant les dix-huit mois suivant la fin de leur mandat. L’incohérence est de mise… D’ailleurs, Barroso ayant respecté le délais réglementaire de dix-huit mois avant de rejoindre le privé, la démarche entachée de conflits d’intérêts n’a donc rien d’illégal.

Un Comité d’éthique peu regardant

Enfin, les révélations apportées par le journal portugais Publico le 24 septembre nous confirment que pendant son mandat à la tête de la Commission européenne (2004 à 2014), José Manuel Barroso a bien entretenu des contacts étroits avec Goldman Sachs dont les dirigeants « faisaient parvenir au cabinet de Barroso, de manière confidentielle, des propositions sur des changements à apporter aux politiques de l’Union européenne ». Le conflit d’intérêts a donc déjà eu lieu entre la Commission européenne et la banque au passé sulfureux qui a dépensé près de 1,3 million d’euros en lobbying en 2015 pour influencer les prises de décisions politiques au sein de l’UE.

Sous la pression, Jean-Claude Juncker a demandé des clarifications à l’intéressé, mais cet échange ne sera pas rendu public. Malgré le tollé suscité, il faudra attendre le 11 septembre pour que Juncker, face aux multiples critiques, décide de porter l’affaire du recrutement de son prédécesseur devant le Comité d’éthique de la Commission européenne. Celui-ci conclura sans surprise, dans son rapport rendu le 31 octobre, qu’« il n’y a pas d’éléments suffisants pour établir une violation du devoir d’intégrité et de réserve ». Circulez, il n’y a rien à voir !

Étonnant ? Ce comité d’éthique est un organe interne à la CE dont le fonctionnement est aussi obscur que dépourvu d’indépendance. À titre d’exemple, les membres précédents dudit comité[[Il y a eu un changement de direction, les trois membres actuels ayant été nommés le 13 juillet 2016.]] furent nommés par Barroso même ! L’un d’eux, Michel Petite, ancien directeur général du service juridique de la Commission, fut forcé de démissionner sous la pression de plusieurs ONG pour avoir « organisé en 2013, alors qu’il était membre du Comité, des réunions avec ses anciens collègues afin de les conseiller à propos de la directive européenne sur les produits du tabac… tout en conseillant Philip Morris International »[[« Barroso, Kroes… et maintenant ? », L’Echo, 28 septembre 2016.]]. De plus, les avis de ce comité sont confidentiels, non-contraignants et n’ont pas valeur de décisions.

Le pouvoir de « la firme »

Le pouvoir et l’influence de Goldman Sachs, accusé d’avoir joué un rôle majeur dans la crise des subprimes, dépassent l’imagination (lire l’encadré ci-dessous). À la tête de la firme depuis 2006, le président directeur général de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein – qui s’était un jour amusé à déclarer « Je ne suis qu’un banquier faisant le travail de Dieu » – voit son salaire fixe tripler en pleine crise financière, passant de 600.000 à 2 millions de dollars en 2011. Cette même année 2011, il empoche 12,6 millions de dollars en actions, en hausse de 40% par rapport à l’année précédente alors même que les bénéfices de l’entité bancaire venaient de chuter de 38% en 2010.

Même si on est encore loin des 68,5 millions de dollars de bonus perçus avant la crise, le banquier rattrape le temps perdu et ses bénéfices poursuivent leur envolée coûte que coûte. En 2015, Lloyd Blankfein, a touché 30 millions de dollars[[Il touche un salaire fixe de 2 millions de dollars, un bonus de 6,3 millions et 14,7 millions en stock-options. L’entreprise lui a également attribué le 15 janvier 2015 un bonus de 7 millions de dollars qui sera versé sur huit ans, ce qui porte sa rémunération totale à 30 millions de dollars.]], ce qui en fait le banquier le mieux payé de Wall Street[[Et ce, malgré une chute de 31% des bénéfices de Goldman Sachs à 5,57 milliards de dollars, plombée par quelques amendes pour solder des poursuites juridiques des autorités américaines sur ses pratiques dans l’immobilier… Lire les articles du Figaro et de Challenges.]].

Il est nécessaire de se mobiliser contre ces banksters et autres délinquants en col blanc qui nous volent impunément, afin de porter l’affaire en justice, bien au-delà de ce comité d’éthique peu regardant, pour enfin mettre un terme à ces manœuvres mafieuses au plus haut niveau de la Commission européenne.

Première partie : [De la Troïka à Goldman Sachs, le pantouflage de Barroso fait des vagues 1/2]

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