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L’énigme des images mobiles Pour le Bicentenaire de la naissance d’Eugène Delacroix, des expositions partout en France. La plus ample, aux Galeries nationales du Grand Palais, présente les oeuvres des dernières années du peintre, 1850-1863.
æ Les quelque 88 peintures et 33 dessins rassemblés dans cette exposition et présentés thématiquement et non chronologiquement montrent, à la lumière de nouvelles études sur Delacroix, que ce grand peintre est loin de n’être que le représentant de l’esprit romantique en France, après la mort de Géricault. En s’attachant à des thèmes déjà traités avant lui, telles les scènes orientalistes, de chasse ou d’inspiration littéraire, Delacroix se concentre sur l’expression de la touche, la division des couleurs franches séparées dans le ton local ainsi que sur les ombres colorées. Plus que jamais, il développe ses théories sur la peinture où le coloris et une perspective colorée prennent le pas sur la traditionnelle primauté accordée au dessin par les héritiers de David, Ingres notamment. Le dessin de Delacroix est d’ailleurs volontiers « expressionniste ». Par ailleurs, il reprend ses détracteurs à propos de son prétendu manque de réalisme en arguant que, dans la nature, si de nature il s’agit en peinture, ce qu’il est loin de vouloir défendre et démontrer, les contours ne sont pas délimités d’un trait, et qu’un point est moins net lorsqu’il s’éloigne du point de mire du regard et tend alors à se fondre dans son environnement proche. Bien qu’il soit l’une des principales cibles des défenseurs du dessin, Delacroix reçoit de nombreuses commandes de décoration d’édifices publics. Au cours de ses dernières années, il travaille sur trois grands chantiers: le plafond de la galerie d’Apollon au musée du Louvre, le salon de la Paix à l’Hôtel de Ville de Paris (détruit durant la Commune) et la chapelle Sainte-Ange de l’église Saint-Sulpice. Cette dernière est représentative des thèmes religieux que Delacroix développe pendant cette période, de 1850 à 1863. Lui, l’agnostique, reprend les thèmes religieux, fort en » vogue » sous le second Empire, pour en montrer le côté humaniste: la précarité de la vie humaine et l’espoir de survivre à sa propre mort par son art. Significatif est, de ce point de vue, le Christ sur le lac de Génésareth, que Delacroix décline plusieurs fois.
Bonheurs et mésaventures d’une oeuvre ouverte
Contre l’incompréhension de la critique, il se bat pour occuper la place dont il se juge digne. Il entre à l’Institut en 1857 après s’être vu refuser l’entrée à sept reprises. Il envoie régulièrement ses oeuvres au Salon jusqu’en 1859 et marchands et collectionneurs se pressent pour acheter ses oeuvres. L’Exposition universelle de 1855 est une » victoire « . Delacroix a réuni, pour l’occasion, le maximum de peintures avec l’intention de présenter son travail sous forme de rétrospective, mêlant oeuvres essentielles de différentes périodes et, lors de l’inauguration au Palais de l’Industrie, il triomphe. Cette reconnaissance, doublée d’une incompréhension de son travail, va perdurer longtemps. L’exposition de 1855 se veut une nouvelle tentative d’écarter les malentendus entre l’artiste et le public. On y voit les multiples facettes de l’artiste à la fois acharné au travail, solitaire et mondain, fréquentant les salons où il rencontre Chopin, George Sand, d’autres célébrités de l’époque. L’oeuvre comme le personnage ne se lisent pas d’une manière univoque. Si Delacroix n’est pas le fer de lance du romantisme pictural, comme on a longtemps voulu l’y tenir, il se recommande de Raphaël autant que de Rubens dont il a pu voir, hormis celles du Louvre, des oeuvres lors d’un voyage en Belgique. Son dialogue avec Raphaël se situe aussi bien au niveau des premières oeuvres que de celles des dernières années. Déjà, en 1819, une commande, la Vierge des moissons, est influencée par les madones florentines de Raphaël. De même, dans sa dernière grande peinture murale religieuse, Héliodore chassé du temple (1861, Saint-Sulpice), Delacroix se mesure en maître et non plus en élève, comme dans le tableau de 1819, à l’un des monuments les plus vénérés de la Renaissance italienne en choisissant le même thème que l’une des fresques du Vatican. L’un des thèmes récurrents de Delacroix est celui de la chasse (qui ne lui a pas été suggéré seulement par son voyage oriental en 1832). Delacroix y retient le sens de la composition dramatique, théâtrale, telle que Rubens, le maître qu’il admire le plus, l’a définie dans ses scènes de bataille et de chasse. Il essaye d’en conserver la nervosité et la vitalité, tout en voulant clarifier et stabiliser davantage la composition. Pour les décorations profanes des édifices publics, son idéal est Poussin. En 1853, il évoque l’un des tableaux de ce dernier, le Printemps (au Musée du Louvre). Par ces références, Delacroix veut entrer dans une lignée de peintres, de classiques, que l’Histoire retient et retiendra.n L. G.
Delacroix, les dernières années, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, jusqu’au 20 juillet.
1. Cette qualité lui fut accordée par Baudelaire.
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