Bruno Le Maire, la droite de synthèse

Entre un Sarkozy empêtré dans les affaires et un Juppé candidat de la “France qui va bien”, Bruno Le Maire cultive ses ambiguïtés : ultralibéral, centriste, droitier ? Il voulait croire que le désir de sang neuf le conduirait à l’Élysée…

Extrait du numéro de printemps de Regards.

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Bruno Le Maire avait fait une promesse à sa garde rapprochée. C’est lui que les électeurs de la droite et du centre désigneraient comme leur champion au soir du second tour de la primaire, le 27 novembre prochain. Lui qu’ils choisiraient pour « renverser la table », qu’ils préfèreraient à l’équipe des « déjà-vu », Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon. La feuille de route du député de l’Eure ne souffrait d’aucune ambiguïté : bousculer le jeu établi par ses adversaires, perturber l’histoire d’un duel annoncé entre les deux ennemis de trente ans, l’ancien président de la République d’un côté et l’ex de Matignon de l’autre, incarner la rupture au nom du renouveau.

Ultime recours

L’ancien ministre avait neuf mois pour convaincre les citoyens que son pari avait toutes les chances de réussir. Pour persuader les citoyens que le « moment [était] venu » de ne « plus se résigner ». Pour les conduire à faire le choix du changement « des pratiques démocratiques et des grandes orientations » et éviter que la France « continue à errer, toujours plus faible, menacée du pire ».

À Vesoul, le 23 février dernier, au moment d’officialiser enfin sa candidature, Bruno Le Maire a voulu voir « la France silencieuse et travailleuse, qui ne demande jamais rien et porte le pays, la France qui se bat et ne se paye pas de mots, la France fatiguée des vieilles recettes et des vieilles ficelles ». Plus tard, au Salon de l’agriculture, il s’est donné sans retenue aux paysans trois jours durant, vantant leur savoir-faire et appelant à leur protection. Le 5 mars, en Seine Saint-Denis, aux Docks d’Aubervilliers, entouré de plus de deux mille supporteurs, l’élu de Normandie a appelé à la mobilisation contre « ces responsables politiques qui, depuis trente ans, proposent les mêmes idées, les mêmes discours, alors que vous réclamez du sang neuf ! ».

Des arguments martelés sur tous les modes à l’occasion de chacun de ses déplacements et développés dans Ne vous résignez pas !, en librairies depuis le 24 février. Plus qu’un livre-programme, l’ouvrage veut réveiller les Français et leur ouvrir les yeux sur l’« égarement collectif » qui a conduit le pays à la déroute. Il ne mâche pas ses mots : « Le moment est venu de dire qui porte la responsabilité de cet affaiblissement sans précédent. Nous tous. Nous qui avons laissé faire. Nous qui avons cru de bonne foi que nous pouvions attendre encore un peu, que la situation se rétablirait, que les changements radicaux pouvaient encore attendre. Nous qui avons pointé du doigt les autres, sans jamais penser que nous pouvions aussi être responsables de la situation ». « Au cours des dernières décennies, notre individualisme a amoindri notre conscience de citoyens ». Un discours coup de poing plutôt rodé qui a fait son chemin dans l’opinion autant que lui s’installait peu à peu dans les sondages comme le “troisième homme”.

Insoumis lui aussi

Lui qui il y a encore quatre ans était un parfait inconnu aux yeux des Français. Lui que le président Sarkozy n’a jamais cessé de surnommer « mon petit Bruno » ou « bac +18 », raillant son « charisme d’huître » et son « arrogance » ? Lui dont la plupart des quadras de sa famille des Républicains se sont toujours méfiés, taclant son « ambition dévorante » et son « absence de ligne politique ». Comment est-il parvenu à se hisser sur le podium ? « Probablement en étant là où personne ne l’attend, en empruntant des chemins parallèles inexplorés, en s’affranchissant des règles et codes établis comme de ses mentors », résume l’un de ses proches soutiens et amis. Pas si vite quand même ! Un rebelle Bruno Le Maire, ne pousserait-on pas le bouchon un peu loin ? « Il trace sa route, il refuse de se soumettre au schéma de pensée qu’on voudrait lui imposer, quitte à ne pas être dans les clous de son propre parti. C’est d’ailleurs dans ces moments-là que Bruno s’en sort le mieux, qu’il tire son épingle du jeu », assure ce député.

C’est vrai qu’il a surtout émergé en défiant Nicolas Sarkozy pour la présidence de l’ex-UMP en novembre 2014. De sa génération, quand d’autres ont préféré se rallier au retraité de l’Élysée, il est le seul à l’avoir affronté si directement. Résultat : presque 30% au soir du premier tour et un « statut d’insoumis » à la clé qu’il cultive depuis. Déjà, en 2012, le jeune Bruno Le Maire avait tenté de s’imposer comme le candidat du renouveau dans la guerre frontale déclenchée par François Fillon et Jean-François Copé. En vain, faute de parrainages nécessaires. Mais il avait pris date sur le thème « J’incarne une autre voie ».

Comme en 2013, en se démarquant de la plupart de ses collègues députés sur la question du mariage homosexuel. Il s’était d’abord abstenu lors du vote du projet de loi Taubira avant d’affirmer qu’il ne reviendrait pas dessus s’il arrivait au pouvoir. Une position à l’époque bien éloignée de la ligne officielle de son parti et de ses concurrents à la présidence du mouvement Hervé Mariton et Nicolas Sarkozy (depuis, le patron des Républicains a fait marche arrière). Comme en septembre 2011 également, au campus des jeunes UMP à Marseille, lorsque le député de l’Eure défend – entre autres textes – la réforme de l’indemnisation du chômage contre l’avis de ses camarades, pour qui cette proposition ne suscite que colère et mépris. Les mêmes qui railleront par la suite son idée de non-cumul de mandats, de démission de la fonction publique, de réduction du nombre de parlementaires. Un triptyque à partir duquel le désormais “BLM” décide de structurer ses prochains combats. Autour d’un concept : le renouvellement des pratiques politiques, des têtes et des discours.

« Le terrain, le terrain et toujours le terrain »

Il sait que les Français ne sont pas loin de tout envoyer valser. Il a conscience que le système politique ne tient plus qu’à un fil. Dès lors, ce sera son leitmotiv : renouer le contact, retisser des liens. Sa méthode : « Le terrain, le terrain et toujours le terrain », martèle son conseiller Jérôme Grand d’Esnon[[Bruno Le Maire, l’insoumis, Éditions du Moment, 2015.]]. Depuis, il en a fait sa marque de fabrique. Sa spécificité, il va la chercher dans sa manière de faire campagne : au cours des plus de trois cents réunions publiques tenues depuis 2013, on le voit, sans veste et sans cravate, micro à la main, se promener dans les travées, répondant au public venu l’écouter et l’interroger sur ce qu’il entend faire du pays en cas de victoire à la primaire puis à la présidentielle.

Dans les salles, on se demande surtout pourquoi on devrait le croire, lui plus que les autres. On peine parfois à imaginer qu’il fera différemment des autres ténors de la droite. Le Maire veut convaincre du contraire, au-delà des considérations sur l’âge du capitaine (quatorze ans le séparent de Sarkozy et vingt-quatre de Juppé). Son arme : son parcours, ses origines, ses racines. « Je veux faire exploser le système dont je suis le produit. Je suis le mieux placé pour entamer cette transformation profonde », répète-t-il gaiement. Le pédigrée du fils de la bourgeoisie parisienne élevé chez les Jésuites dans le XVIe arrondissement a de quoi impressionner : Normale Sup, Sciences-Po, ENA. Sans compter : haut fonctionnaire, conseiller de ministre au Quai d’Orsay et à l’Intérieur, directeur de cabinet de premier ministre… L’élite française dans toute sa splendeur, élevée dans l’idée que des types de son profil sont nés pour diriger le pays.

« Bruno s’est toujours vu comme quelqu’un à qui le pouvoir devait échoir de manière naturelle. Doivent diriger le pays tous ceux qui ont fait des études prestigieuses. Pour lui, la politique était la continuité de l’administration au plus haut niveau », explique cet ancien collaborateur des Affaires étrangères. Longtemps, Le Maire en fut convaincu. Son cursus a renforcé cette conviction. Jusqu’à la prise de conscience que le vrai pouvoir de décision ne se situait pas, ou plus, là où il le pensait, mais sur le terrain davantage que dans les cabinets.

Une claque salutaire

Le déclic, il l’aura en 2006 au moment de choisir la bataille électorale dans l’Eure plutôt que les propositions alléchantes dans une banque, à l’ambassade de France à Rome ou à l’ONU. Dans ce département rural, loin des beaux quartiers parisiens, le techno se frotte aux réalités concrètes de populations désarmées face à la montée du chômage et des inégalités. Le déclic, il l’a aussi au contact du monde agricole frappé de plein fouet par la crise. Ministre de l’Agriculture de 2009 à 2012, les coups durs portés à la profession s’enchaînent, et il faut batailler contre cette Europe sourde aux demandes de pragmatisme et de justice. « C’est à l’Agriculture que se cristallise sa volonté politique et qu’il vit ses premières heures d’homme politique », dit Bertrand Sirven, son conseiller en communication d’alors. C’est à l’Agriculture qu’il découvre une autre France, celle des territoires et des vraies réalités. Celle des familles qui se tuent à la tâche pour maintenir leur activité.

De cette période naît sa volonté de porter ses propres couleurs, renforcée par les promesses ministérielles non tenues de Nicolas Sarkozy. Longtemps annoncé comme successeur de Christine Lagarde à Bercy, le chef de l’État lui préfère le chiraquien François Baroin. Une claque… salutaire ose-t-il aujourd’hui. « J’ai confondu compétence et politique. La politique est un rapport de forces. Si vous ne le construisez pas, vous vous faites marcher sur les pieds en permanence. J’ai alors pris conscience que pour aller plus loin, je devais m’en donner les moyens », concède-t-il.

Construire le rapport de forces, voilà son obsession. Depuis 2012, la PME Bruno Le Maire ne cesse de s’étoffer et de se structurer. Autour de son équipe rapprochée, fidèle pour la plupart depuis près de dix ans, il quadrille le territoire. Dans chaque circonscription, chaque département et chaque région, il a installé des référents BLM qui font vivre le débat et portent la bonne parole auprès des électeurs. Ses Jeunes BLM mouillent la chemise, dans les meetings et les cafés politiques organisés toutes les semaines ou sur les réseaux sociaux, terrain de jeu très prisé du candidat. Sur Twitter, Facebook ou Périscope, l’élu de Normandie poursuit le dialogue et détaille ses propositions. Pendant des mois, il a fait travailler des centaines d’experts dans des ateliers thématiques et s’est inspiré de ces rencontres sur le terrain pour alimenter le programme qu’il présentera dans les prochains mois aux Français.

« Mettre fin au social pour défendre la solidarité »

Car c’est sur la ligne politique que Le Maire est attendu. « Floue et mystérieuse », raillent ses concurrents qui dénoncent les allers retours entre la ligne centriste et la ligne de la droite dure. « Le Maire est le candidat le plus dangereux, tranche même le socialiste Jean-Christophe Cambadélis. Parce qu’il allie à la fois une position très, très à droite, quand on regarde et quand on l’écoute, et en même temps, il se présente comme un centriste bon teint. » Qui est son principal adversaire dans cette compétition ? Le tenant de la “France apaisée” Alain Juppé ou celui de la “France de toujours” Nicolas Sarkozy ? Là n’est pas le sujet pour BLM, qui « prône une France de conquête, une France capable de relever les défis de demain ».

Pour refonder le modèle économique et social, « aussi inefficace qu’injuste », il entend aller vite et frapper fort. Dès l’été 2017, il compte prendre trois séries d’ordonnances, sur le travail, la solidarité et l’autorité de l’État. Déjà, il avance des propositions : code du travail simplifié, fin des 35 heures, privatisation de Pôle emploi, formation professionnelle mieux encadrée. « Mettre fin au social pour défendre la solidarité », constitue l’autre pan de son projet. Les aides sociales ? Il se prononce pour que son cumul « ne dépasse pas 60% du smic pour les personnes en âge et en condition de travailler ». Concernant le logement social, Le Maire s’engage à plus de justice et de sévérité. « Les personnes qui disposent d’un patrimoine de plus de 100 000 euros n’auront plus accès au logement social ». L’âge légal de départ à la retraite ? Porté à soixante-cinq ans. Supprimer « tous les régimes spéciaux de retraite » et aligner « progressivement » les règles de cotisation du secteur public sur le secteur privé, voilà également ses intentions.

Le député de l’Eure ne compte pas en rester là. Restaurer l’autorité de l’État reste sa priorité en faisant en sorte qu’il se concentre sur ses missions régaliennes. « Arrêtons de faire tout et n’importe quoi. » S’agissant de l’immigration, l’État doit faire « respecter les règles » sur le droit d’asile et le regroupement familial. Concernant la fonction publique, BLM s’engage à redéfinir ses règles d’accès et son fonctionnement. Il a affiché la couleur : jour de carence pour tous les fonctionnaires, rémunération au mérite, possibilité de licenciement, développement de la contractualisation, réduction du nombre d’emplois publics à un million sur dix ans… Car il prévient, faire des économies, « chasser les gaspillages » et « tailler dans les dépenses de fonctionnement inutiles » sont autant de propositions inscrites dans son projet présidentiel.

Sur nombre de sujets, notamment économiques, les différences entre les candidats restent faibles. Bruno Le Maire n’a pas le monopole du projet libéral. Il jure pourtant être le seul à avoir la recette pour changer la donne et à disposer d’un atout de taille : le désir des Français de tourner la page est aussi grand que sa volonté à devenir président de la République. Énorme.

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