L’inventeur du Regard du sourd, spectacle culte des années 70, est l’invité de Bobigny et de Saint-Denis. Retour d’un hôte familier mais toujours surprenant.
En 1971, à Nancy, Robert Wilson, invité du Festival, fait une entrée éblouissante dans notre univers théâtral. Le Regard du sourd, loin de nous déconcerter – et pourtant à quel point nouveau ! – nous enchante. Ce n’était pas son premier spectacle, mais nous n’avions rien su de son activité à New York d’artiste s’intéressant spécialement à la danse, et ignorions quel pédagogue-thérapeute anticonformiste il était au sein de sa Byrd Hoffman School of Byrds. Et c’était des acteurs sourds-muets, ses élèves, qu’il plaçait au centre de » cette étrange chose…ni le ballet, ni le mimodrame, ni l’opéra au sens strict » (Aragon).
Passage du silence à la parole minimale puis aux grands textes
Depuis ce spectacle-culte, Wilson nous est devenu familier, invité privilégié de nos scènes, hôte d’honneur du festival d’Automne que l’Odéon, la MC 93 de Bobigny et nos Opéras sont des plus empressés à accueillir. Nous avons vu en France une vingtaine de ses spectacles. Ils ont donné lieu chaque fois à comptes rendus et analyses dans journaux et revues, mais les plus importants mêmes centraient tout sur le spectacle ou élargissaient fort peu le champ. Des livres le parcourant tout ont paru aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne. En France, il ne semble pas. Robert Wilson, le temps pour voir, l’espace pour écouter, de Frédéric Maurin (1), essai riche et fouillé, n’est pas pour autant le livre de référence qui permettrait à un spectateur néophyte d’appréhender l’oeuvre d’un homme de théâtre qui aiguise sa curiosité. Le développement n’est pas chronologique et il en résulte que l’évolution de Wilson – passage du silence à la parole minimale puis aux grands textes – y est peu perceptible. Pas d’analyses sinon dispersées des spectacles, sauf pour Hamlet – un monologue (2). Y chercher un renseignement ou retrouver un passage n’est guère facile. C’est aux spectateurs assidus de Wilson, déjà bien au fait de son parcours, que conviennent les analyses pointues, centrées autour de trois axes, le temps, l’image, la forme. Des formulations heureuses rendent attrayante la lecture: » Le son est là et jubile d’y être dans le vibrato de sa présence. » » L’image mentale contresigne ou complète l’image visible et se laisse par elle suspendre ou déporter. »
Une operetta illuminée par la musique des mots de Gertrude Stein
C’est à la Filature, la Scène nationale de Mulhouse, qu’a eu lieu en mars la création française de Saints and singing, opérette d’après un texte de Gertrude Stein, mise en scène par Robert Wilson. La création mondiale avait eu lieu en novembre 1997 au Hebbel Theater de Berlin. La Filature en est coproductrice, la Maison de la culture de Bobigny l’accueille. A Mulhouse, présent à la première, Wilson a dit se sentir très proche de Gertrude Stein dont il a monté déjà en 1992 Doctor Faustus lights the lights. » Elle fait de la musique avec les mots… Il y a un apparent non-sens, mais c’est toujours très concret au départ » (3). Gertrude Stein, » l’Américaine de Paris « , a passé la majeure partie de sa vie en France, entourée, dans l’entre-deux guerres, d’écrivains, ses compatriotes (Hemingway, Fitzgerald, Pound), entourée de peintres également; son portrait par Picasso est célèbre. Le musicien » sculpteur acoustique et compositeur « , Hans Peter Kuhn, a fait de Saints and Singing une comédie musicale légère, une » operetta « . Wilson dirige des élèves-comédiens essentiellement de l’Ecole supérieure de théâtre Ernst Busch de Berlin, les entraînant à puiser leur capacité d’expression dans le corps plus que dans le cerveau. Wings on rock, d’après le Petit Prince, Parsifal et la légende sioux du » Water-Jug-Boy « , présenté à Saint-Denis, est une commande à Wilson, passée par le festival de Saint-Denis. Un jeune garçon d’une autre planète plonge sur terre dans un univers féerique. Pas de dialogues, de la musique, de la danse. Le jeune interprète, François Chat, a reçu une formation de jongleur à l’école Annie-Fratellini. R. T.
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Saints and Singing, » Operetta » d’après Gertrude Stein, mise en scène, lumières, scénographie de Robert Wilson, musique de Hans Peter Kuhn, à la Maison de la Culture de Bobigny du 12 au 21 juin.
Wings on Rock d’après le Petit Prince, Parsifal et la légende sioux du « Water- Jug-Boy », mise en scène de Robert Wilson, au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis du 15 au 20 juin.
1. Frédéric Maurin, Robert Wilson, le temps pour voir, l’espace pour écouter, éditions Actes Sud/Académie expérimentale des théâtres.
2. Son analyse de la Maladie de la mort de Marguerite Duras mise en scène par Robert Wilson in Universalia 1998.
3. Propos recueillis par Frédérique Meichler, l’Alsace, 14 mars 1998.
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