Une grande peur agite les sarkozystes : des hordes d’électeurs de gauche viendraient pirater la primaire en votant pour Alain Juppé. Avec des motivations diverses – antisarkozysme, peur du FN – et des conséquences inconnues : qui ferait-on gagner ?
Ils sont assez nombreux à se dire de gauche, socialiste ou radicale, et à être tentés de participer à la primaire dite « de la droite et du centre » (sans qu’aucun candidat du centre n’y soit représenté). À en croire certains sondages, entre 10 et 16% des participants à cette primaire proviendront des rangs de la gauche, soit de 260.000 à 560.000 votants (sur les quelques 2,6 millions à 3,5 millions d’électeurs espérés). Et ces mêmes sondages sont unanimes : si tous ces gauchistes se déplacent réellement, ce serait pour voter Alain Juppé. Avec ces voix, le maire de Bordeaux sortirait vainqueur dès le premier tour. Sans ces voix… C’est plus compliqué, mais ça pourrait passer quand même.
Pour le politologue Philippe Braud, il y existe deux catégories d’électeurs de gauche susceptibles de voter à cette primaire : « Les militants très politisés, qui veulent absolument faire passer le candidat de gauche et qui ont intérêt à voter pour Nicolas Sarkozy. Et des électeurs pas très ancrés à gauche, disons de centre-gauche, qui ont voté Hollande en 2012, qui vont être tentés de barrer la route à Nicolas Sarkozy en votant Alain Juppé ». Ce qui ne plaît ni aux sarkozystes, ni aux hollandais.
Hollande et Sarko veulent rejouer 2012
Hollande et Sarkozy peuvent compter, parfois de façon indirecte, presque involontaire, sur un soutien médiatique sans faille. Comment qualifier ces électeurs de gauche ? « Squatteurs » pour Slate, « infiltrés » pour Libération ou encore « fraudeurs » pour Causeur. Puis il y a les chiens de garde : Guillaume Peltier a carrément lancé une pétition contre « le vol de la primaire de la droite par la gauche », François Baroin ne veut pas que les électeurs PS aillent « trafiquer un scrutin qui ne les regarde pas », ce qui n’est pas aussi clair en ce qui concerne les électeurs frontistes. D’après Philippe Braud :
« Le problème de Sarkozy, c’est que l’électorat du FN, qu’il a pris en 2007, désormais le déconsidère. Et il perd des voix au centre ».
Et même Sarkozy fustige, accusant Juppé de « préparer des arrangements » avec la gauche. Sur les réseaux sociaux aussi, on brandit les menaces : si vous votez Juppé contre notre chouchou, on ira aussi pourrir la primaire du PS ou pire, on ira voter Marine Le Pen.
Si la gauche trolle la primaire des Républicains, qu'elle ne doute pas que l'électorat de droite fera de même à la primaire de la gauche…
— Pont d'Arcole ن (@PtdArcole) 3 octobre 2016
Si les gauchos font élire Juppé aux primaires de la droite nous les pros @NicolasSarkozy ferons élire le Pen en 2017
— #NS2017 ou MLP (@BrugireFabrice) 1 octobre 2016
Côté hollandais, on « brûle des cierges pour que ce soit Sarkozy », lance à Marianne Olivier Faure. Même Najat Vallaud-Belkacem déconseille aux socialistes d’y aller, elle trouve cela « totalement malsain ».
La sarkophobie, cette émotion qui fait les présidents
Car Hollande aussi mise toutes ses chances de réélection sur un match retour contre Sarko. Et pour Philippe Braud : « Hollande a peur que les électeurs de gauche renforcent les chances de Juppé » et que, par peur du FN, « ceux qui vont voter Juppé dès la primaire aillent aussi voter Juppé au premier tour de la présidentielle ». Résultat paradoxal pour le politologue et président de CAP (Conseil, analyse et perspective) Stéphane Rozès, pour lequel « voter pour le moins pire à la primaire de la droite, c’est anticiper la défaite de la gauche à la présidentielle ».
Il faut prendre en compte deux éléments dans cette affaire. D’une : l’antisarkozysme, celui-là même qui a fait élire Hollande, perdure, bien plus que la déception Hollande ne s’ancre. Philippe Braud :
« Bien sûr, il y a une « hollandophobie ». Mais pour Sarkozy, c’est moins une hostilité en extension qu’une hostilité en profondeur. Il y a des gens qui n’aiment pas Hollande, mais ceux qui n’aiment pas Sarko, ils le détestent ! »
Et rien qu’à l’idée d’un second tour entre Le Pen et Sarkozy, certains en font des cauchemars. De deux, dans son royaume bordelais, si Juppé est élu comme un pacha, c’est aussi grâce aux voix de la gauche. Il n’a pourtant aucune concurrence à sa droite. L’antisarkozysme a couronné Hollande en 2012, et une redite n’est pas exclue en 2017. Avec cette fois une petite touche de Chirac, cru 2002. Car plus personne n’en doute vraiment, pas même Philippe Braud :
« Marine Le Pen sera au second tour. Donc forcément, c’est l’autre candidat qui va devenir président ».
Un « front républicain » aux législatives ?
Si la présidentielle n’est plus qu’un vote de barrage à l’extrême droite et à la droite extrême, que peut-il en ressortir pour les législatives ? Et si les socio-démocrates, Hollande et Valls en tête, Macron sous le bras, préparaient de concert avec les juppéistes un « front républicain » ? Pas impossible car « si Alain Juppé est élu, il est clair que cela peut favoriser à la droite du PS des ralliements, sous une forme ou sous une autre », explique Philippe Braud. De son côté, Stéphane Rozès n’y croit « pas du tout » :
« Aux législatives, les logiques politiques retrouveraient leurs droits et le président élu n’aurait pas besoin d’avoir recours à un front républicain pour obtenir une majorité ».
Que penser d’un PS rejouant le coup des dernières régionales, à l’échelle nationale ? Un sabotage ? La carte du vote utile, qui a permis que la seule opposition à Christian Estrosi et à Xavier Bertrand soit Marine Le Pen et à Marion Maréchal, fonctionnera-t-il encore ? On vante la grande coalition allemande à longueur d’éditos, alors, au fond, il suffit de quelques « valeurs communes » pour qu’un électeur socialiste se complaise à glisser dans l’urne un ticket pour Juppé. Après tout, c’est le « moins pire »…
Et l’autre gauche dans tout ça ? À en croire Philippe Braud : « La gauche radicale n’est pas inexistante, mais marginale. Et même si Mélenchon peut faire 10%, elle va surtout être spectatrice ». Pourtant, l’appel d’air est si grand. À croire qu’il est asphyxiant.
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