Mercredi 22 juin est sorti en salle le film de Christophe Barratier L’Outsider. En deux heures, ce film soulève la seule question à laquelle la justice ne puisse répondre. Quelle différence entre la responsabilité et la morale ?
La sortie en salles de ce film tombe à point nommé. Vendredi dernier se tenait le procès en appel du volet civil de l’affaire Kerviel, ex-trader condamné pour faux et abus de confiance. À la surprise de tous, l’avocat général a plaidé auprès de la Cour d’appel de Versailles en faveur d’un rejet de la demande de la Socgen de dommages et intérêts, estimés à 4,9 milliards d’euros selon leurs propres calculs.
Depuis huit ans, le public suit les rebondissements de l’affaire Kerviel, réécrivant l’histoire et raccrochant les morceaux de ce thriller grandeur nature. Le film de Christophe Barratier s’arrête juste là, au moment où nous commençons à nous poser des questions. Des premiers pas hésitants de Jérôme au sein de la Société Générale à l’ascension fulgurante de Kerviel dans une équipe de traders aux rapports malsains. Un instant coéquipiers, concurrents celui d’après, ces conquérants des places de marché achètent et vendent à un rythme effréné.
Frénésie spéculative
Avec finesse, Christophe Barratier nous suggère l’innocence qu’avait ce jeune employé prometteur en passant les portes de la Société Générale. « Vous faites partie des numéros 1 » : ainsi ses managers en appelaient-ils au culte de la performance, se réclamant d’une élite bancaire, des meilleurs parmi les meilleurs. La fierté des premières heures s’effaçant, l’apprentissage de calculs financiers douteux donne les clés à Kerviel d’opérations juteuses. Et une dose de suffisance qui lui jouera rapidement des tours. Les millions s’amassent, les traders exultent : promotions et bonus participent d’une frénésie spéculative sans borne.
Ainsi se développent le goût du risque, le besoin irrépressible de renchérir. Dans une atmosphère pseudo-virile omniprésente, la violence des variations des cours de marché fait écho à celle d’une déconnexion totale entre les sommes misées et la fluctuation de leur valeur au regard du monde réel.
La question que pose Christophe Barratier est évidemment celle d’un rapport moral à l’argent. Oui, Jérôme Kerviel est coupable d’avoir trop joué, d’avoir spéculé, de s’être cru capable de gagner plus que tous ses prédécesseurs. Combien sont-ils à s’être présumés intouchables ? Les a-t-on encouragés à miser plus ? Face à un système financier qui s’estime victime des écarts de ses employés, la justice seule peut trancher quant à la véritable cécité des services de gestion des risques au sein même des établissements bancaires. Force est de constater qu’ils sont le principal facteur de perversion de leurs propres soldats.
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