Tandis qu’il criminalise les grèves et les manifestations contre la loi travail, le gouvernement encourage une violence policière toujours plus aveugle dont la journée du 26 mai a été le point d’orgue. Retour sur la manifestation parisienne.
Partie de la place de la Bastille, la manifestation parisienne du 26 mai, massive, est dans un premier temps très calme. Jean-Luc Mélenchon et Philippe Martinez attirent tout autant les caméras que la désormais classique tête de cortège, jamais jusqu’ici aussi nombreuse et « éclectique ». Composée d’autonomes, mais aussi de personnes lambda et de syndiqués CGT, Sud et CNT, elle rythmera par la suite l’avancée du rassemblement jusqu’à la place de la Nation.
Photos Louis Camelin, à retrouver en grand format dans le portfolio en fin d’article.
Manifestation sauvage : la rue aux manifestants
Les hostilités sont lancées avec une tentative de détournement du trajet officiel de la manifestation. La « manif sauvage » s’engouffre dans une rue Chaligny apparemment vide, à grands cris de « Ni Nation, ni travail ». Mauvais calcul : la police se trouve en bout de rue. Le piège se referme sur les quelques centaines de participants quand un cordon de CRS les prend à revers pour les enfermer. L’atmosphère devient très vite suffocante, un cordon poussant de force les gens vers l’autre, à grands renforts de gazage et matraquage.
Une partie des manifestants trouve une échappatoire à l’écrasement par une résidence dont les portes s’ouvrent. Le reste peut finalement rejoindre peu à peu le gros du rassemblement. Cette libération est en grande partie permise par le soutien des cheminots de Sud, placés à l’arrière du cortège de tête, qui ont interrompu leur marche pour attendre les manifestants pris au piège.

La manifestation repart ensuite, avec à sa tête, toujours, ce cortège hétéroclite d’environ trois mille personnes, dont se dégage désormais une réelle sensation de puissance. Les slogans – « Anti anti anticapitaliste, ah ah » ou encore « Paris, debout, soulève toi » – résonnent avec force. En parallèle, les panneaux de publicité JC Decaux, McDonald’s, parcmètres et autres locaux de banques et d’assurances sont systématiquement éventrés. La vitrine d’un magasin Skoda en fait les frais, un magasin Emmaüs est visé, puis épargné grâce aux sifflets de la foule et à l’intervention d’autres militants cagoulés, qui protègent la vitrine. Les slogans tagués sont imagés, à l’image de ce « Tu sues moins qu’un précaire » inscrit sur les murs d’une salle de sport, devant un homme qui continue, imperturbable, sa séance de vélo d’intérieur.

Extrême concentration policière à Nation
La police est complètement absente de ce tronçon de manifestation, excepté lors d’une scène étrange qui voit autonomes et policiers échanger des projectiles à l’aveugle au-dessus d’une barrière de chantier, sur le côté gauche du boulevard. On transite entre périodes d’accalmie et montées subites en pression. Les manifestants, « casseurs » ou non, font ce qu’ils souhaitent. Les forces de l’ordre sont en réalité concentrées à Nation, dans des proportions étonnantes : les CRS et leurs grilles anti-émeutes occupent la moitié de la place avant même que les manifestants ne viennent en battre le pavé, ce qui ne manque pas de tendre immédiatement la situation.

Feu est mis au dragon de papier qui accompagnait, jusque-là, la tête de manifestation. Les premiers tirs de grenades lacrymogènes surviennent rapidement, recouvrant un très large périmètre. Le gaz est extrêmement agressif, et même si l’air paraît, visuellement, peu vicié, les manifestants se voient obligés de reculer tant bien que mal sur près de deux cent mètres le long du boulevard Diderot, jusqu’à la rue de Picpus. On tousse, pleure, se courbe et crache, titubant littéralement pour échapper à l’étouffement. La foule fait ensuite peu à peu son retour sur la place, le rassemblement étant autorisé par la préfecture jusqu’à 18h30.

C’est à ce moment que l’atmosphère devient surréaliste. Dès 16h20, la police somme à la dispersion. Un appel complètement inaudible pour la majorité des personnes présentes, qui se contente de discuter calmement sur la place. Les CRS semblent perdus, et se mettent à charger de manière sporadique et désordonnée.
Chaos et charges aléatoires sur la place
Répartis en petits groupes, ils se retrouvent parfois isolés au milieu des manifestants, qui ne les attaquent pourtant pas, ou très peu pour les plus excédés. Raisonnent seulement des « Cassez-vous ! » répétés, assez légitimes au vu des agressions gratuites qui se déroulent. Des policiers parviennent même à tirer des grenades lacrymogènes sur un groupe de collègues situé une vingtaine de mètres plus loin, provoquant le rire des spectateurs. Un vendeur de sandwiches, son camion stationné sur la place, poursuit son activité au beau milieu des échauffourées. Son affaire marche plutôt bien.

Les interventions des CRS perdent un peu plus toute logique. Ils se regroupent et chargent violemment, à tempo irrégulier, à gauche, à droite, sans objectif ni cible particuliers. Cela rend ces attaques complètement imprévisibles, et d’autant plus dangereuses. C’est lors de l’une d’elles qu’un de nos journalistes et la personne qui l’accompagnait sont blessés par l’explosion d’une grenade de désencerclement et les éclats qu’elle projette. Bilan : habits et peau perforés en plusieurs endroits, et perte partielle d’audition. Ils étaient pourtant calmement postés sur un côté de la place, près d’une fanfare qui ne s’occupait pas vraiment des hommes en armes.
Les charges se poursuivent malgré l’arrivée des manifestants de fin de cortège et des camions des syndicats Sud et CNT. Le bilan de la répression est pour l’instant d’une quarantaine de blessés à Paris seulement, selon Mediapart – notamment un militant CGT passé à tabac et trois personnes blessées par des tirs de LBD.
Une violence policière systématisée
Les grenades de désencerclement feront plus tard un blessé sérieux, atteint à la tempe par un éclat près de la Porte de Vincennes[[Journaliste indépendant, il est aujourd’hui plongé dans un coma artificiel et présente de sérieux risques de séquelles, dont des troubles aphasiques.]]. Une vidéo montre un CRS lancer le projectile puis poursuivre sa marche sans même prendre acte des conséquences de son geste.
Un policier dégoupille une grenade, un manifestant s'écroule au sol blessé à la tempe, cet après-midi à Paris. pic.twitter.com/9caBTv6MV6
— Violences Policières (@Obs_Violences) 26 mai 2016
Ces grenades semblent avoir été utilisées sans retenue ce jeudi, souvent hors-cadre réglementaire[[Les grenades de désencerclement peuvent légalement être utilisées « lorsque les forces de l’ordre sont encerclées et doivent briser cet encerclement, dans un cadre d’autodéfense rapprochée et non pour le contrôle d’une foule à distance ».]], faisant de nombreuses victimes, à Paris, Nantes et Lyon notamment. Au vu des dégâts humains occasionnés et de l’utilisation massive qui en est faite, il s’agit d’un sujet dont il faudrait se saisir urgemment.
Menaces de mort, CRS armé d’un marteau, agent en civil qui braque son arme sur des manifestants, photojournalistes victimes de tirs tendus, femme trainée par les cheveux à Toulouse, passage à tabac au sol à Caen, tir de LBD dans la mâchoire…[[Si vous avez été victime de violences policières, vous pouvez contacter par mail l’Observatoire des violences policières : ovipo@riseup.net.]] Dans l’ensemble du pays et avec une intensité croissante, une extrême brutalité caractérise la doctrine des interventions policières dans la répression du mouvement social.















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