Autriche : l’extrême droite battue in extremis

L’émergence de Norbert Hofer, battu de peu à la présidentielle autrichienne par l’écologiste Alexander Van der Bellen, doit beaucoup à la passivité complice des partis de gouvernement. Un signe supplémentaire de la progression de l’extrême droite en Europe.

Il s’en est donc fallu de quelques milliers de voix pour qu’un pays de l’UE ait à sa tête un président d’extrême droite. Norbert Hofer était le candidat du FPÖ, le Parti de la liberté d’Autriche – ça ne s’invente pas. « Le FPÖ a été créé en 1956 par d’anciens nazis pour d’anciens nazis. Donc la branche dure du parti dès ses débuts est l’héritière du parti nazi autrichien », explique Anton Pelinka, professeur à l’université de Budapest. Mais, ces dernières années, le parti s’est débarrassé d’une rhétorique ouvertement xénophobe et antisémite, et a mis l’accent sur le pouvoir d’achat et la protection sociale.

Et pour bien nous rassurer sur le personnage, le politologue ajoute « Il y a une continuité d’organisations comme les corporations étudiantes où l’on trouvait les pangermanistes et les antisémites les plus convaincus. Et Hofer est issu d’une de ces organisations, qu’on ne peut pas qualifier de nazie, mais qui se place dans une continuité du nazisme. En revanche la majorité des électeurs de Hofer ne sont ni pangermanistes, ni nazis ni antisémites. »

Un premier tour qui lamine les formations traditionnelles, un entre deux tours surréaliste

Au premier tour, Norbert Hofer, déjouant tous les sondages qui le créditaient au mieux de 22%, est arrivé largement en tête avec 35,05% des voix, l’emportant dans tous les États à l’exception de celui de Vienne. Arrivé en seconde position, l’écologiste Alexander Van der Bellen a recueilli 21,34%. Le coup de tonnerre de ce premier tour est venu de l’effondrement des deux partis qui règnent sans partage sur l’Autriche depuis 1945 : le SPÖ (parti socialiste) et l’ÖVP (parti populaire). Ces deux partis qui gouvernent ensemble l’Autriche dans le cadre d’une grande coalition ont obtenu respectivement 11,28% et 11,12%.

Aucun des quatre candidats éliminés au premier tour n’a appelé à voter en faveur de l’écologiste Alexander Van der Bellen. Pire, le candidat écologiste est jugé bien trop indépendant et incontrôlable par les partis de gouvernement de droite comme de gauche. Pour le SPÖ et l’ÖVP, la grande affaire de la semaine aura été la désignation d’un nouveau chancelier, Christian Kern, et la mise en place du nouveau gouvernement. Un tour sur les sites officiels de ces deux formations laisse pour le moins perplexe. Tous les articles sont consacrés au nouveau gouvernement et il n’y a absolument rien sur le second tour de l’élection présidentielle.

Un petit renvoi sur la page Facebook du SPÖ nous apprend tout de même que le futur chancelier a déclaré : « Soit dit en passant, je choisis Van der Bellen, si personne ne sait ». Quelle ardeur dans le combat contre l’extrême droite ! Le 19 mai, devant la résidence de la présidence de la République à Vienne, ils étaient en tout et pour tout 250 à manifester dans l’indifférence générale.

Une victoire qui vient de loin

Dans un pays où le taux de chômage s’établit à 5,7% selon la norme européenne (10,5% en France), les médias français ont pointé la crise des migrants comme principal facteur du succès actuel de l’extrême droite. C’est oublier un peu vite que l’enracinement du FPÖ est extrêmement ancien. Longtemps cantonné à des scores de 5 à 7% de 1956 au début des années 1980, le FPÖ s’est imposé comme l’une des principales forces politiques autrichiennes depuis le début des années 1990. En 1999, en obtenant près de 27% aux législatives, le parti alors sous la houlette de Jörg Haider forme une coalition avec l’ÖVP qui durera jusqu’en 2006.

Les liaisons dangereuses avec le FPÖ ne sont pas seulement le fait de la droite autrichienne, mais aussi du parti socialiste. En 2004, ce dernier s’était allié à Jörg Haider pour l’aider à garder son poste de gouverneur de la Carinthie. Aujourd’hui encore, dans le Burgenland, l’État le plus oriental d’Autriche, c’est dans le cadre d’une alliance SPÖ-FPÖ que le Land est gouverné.

La montée de l’extrême droite en Europe prend des proportions alarmantes (lire aussi « Fascisme, un vent européen »). Les gouvernements polonais et hongrois, le poids du FN en France, la situation en Belgique, aux Pays-Bas (mais aussi en Suisse) sont des signes convergents. Si chaque pays a sa réalité historique propre, le caractère général du phénomène traduit une réalité plus générale. Les dégâts de la construction européenne, la conversion des partis socialistes aux logiques libérales, l’incapacité de la gauche radicale à offrir un débouché laissent entrevoir un sombre avenir. Il n’est pas trop tard, mais il est temps de réagir.

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