Les racines militantes de la Nuit debout

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Alors que la Nuit debout entame son #73 mars, retour sur les prémices de cette mobilisation et les initiateurs d’un mouvement qui a ensuite volé de ses propres ailes. Mais qui doit aussi trouver un équilibre entre spontanéité et bases militantes.

Parmi tous les discours et commentaires que charrie la Nuit debout, deux visions circulent à son sujet. La première met l’accent sur sa spontanéité, sa capacité à réunir des individus quotidiennement au-delà de toute appartenance politique. Une apparition ex nihilo qui consacre le rejet des structures classiques dominantes de l’organisation et de la mobilisation politiques, associatives comme syndicales, fondées sur la verticalité.

La seconde décrit une Nuit debout portée en sous-main par un conglomérat de personnes actives au sein de structures associatives, militantes, politiques déjà existantes. Comme les raccourcis et la théorie du complot, c’est vendeur, certains n’hésitent pas à présenter le mouvement comme trusté par d’ignobles gauchistes et syndicalistes l’instrumentalisant pour séduire de nouvelles ouailles.

[Lire aussi : « Nuit debout : comment dépasser l’expérience citoyenne dans un projet politique ? »]

Mais entre autogestion et agrégation de structures et de personnes apportant des soutiens logistiques et techniques, la Nuit debout demeure rétive à une cartographie exhaustive. C’est tout son intérêt de se construire au jour le jour sur les bases de l’organisation d’une seule soirée. Celle du 31 mars, que certains ont préparée, sans présumer la puissance du mouvement qui allait suivre. Tour d’horizon des personnes ayant participé à l’allumage de la mèche.

Fakir, agrégateur de militants

Premiers feux en février. Le 8 février 2016 a lieu une avant-première – la seule à Paris – du documentaire Merci patron ! de François Ruffin, fondateur du journal Fakir. Le film, qui raconte la bataille entre Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH et un couple de chômeurs et anciens ouvriers d’une filiale de LVMH, déclenche à chacune de ses projections en province un désir de mobilisation. Les équipes de ce journal engagé à gauche, pressentant que quelque chose est en train de se jouer, souhaitent profiter du levier que représente le film.

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Largement encouragé, selon son propre récit (relaté dans le numéro de mai-juin de Fakir), par les paroles de l’économiste Frédéric Lordon, François Ruffin décide également de lancer un deuxième rendez-vous. Il se tient le 23 février, à la Bourse du Travail, à Paris et s’intitule « Leur faire peur ». Entre mobilisations et convergences, les débats ce soir-là sont nombreux. De Notre-Dame-des-Landes à l’état d’urgence, de la condamnation des Goodyear à la réforme des collèges, la soirée réunit pêle-mêle syndicalistes, militants, intellectuels.

Outre la naissance du collectif Convergence des luttes, ce rendez-vous décide d’une action commune le 31 mars, jour de mobilisation contre la loi Travail. Ayant pour mot d’ordre « On ne rentre pas chez nous », elle propose d’investir pour la nuit la place de la République avec des concerts, débats, projections, repas.

Mars Attac

Parmi les structures prêtant main forte se trouve Attac. Créée en France en 1998 et présente depuis lors dans près de quarante pays dans le monde, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne – dont des membres sont présents le 23 février –, dépose aux côtés du Syndicat Sud PTT et du DAL (Droit au logement) les premières demandes d’autorisation de manifestation à la Préfecture de Paris. Depuis, l’association continue, toujours aux côtés du DAL et de Solidaires, à effectuer cette démarche. Comme l’explique l’un de ses porte-paroles Thomas Coutrot :

« Attac s’est inscrit tout de suite en soutien à l’initiative. Sans pouvoir anticiper son succès fulgurant, nous avons considéré que cela ouvrait des perspectives nouvelles. »

Évoquant « les répercussions possibles à long terme », tant Nuit debout « marque un renouveau et offre des innovations importantes dans les mouvements sociaux », Thomas Coutrot rappelle qu’Attac « n’a jamais cherché à l’orienter ». La seule proposition de l’association porte sur le blocage du Medef, action qui risque, à l’annonce de la mise en œuvre de la procédure de l’article 49.3 de la Constitution, d’être avancée afin de maintenir la pression sur le gouvernement …

Pas de trêve pour le DAL, Solidaires au plus près

Agissant depuis sa création en 1990 en faveur des exclus du logement, le DAL est d’abord contacté pour intervenir lors de la réunion du 23 février, puis en appui administratif – afin d’effectuer les démarches auprès de la Préfecture – lorsque la première Nuit debout est décidée. Comme le raconte son fondateur et porte-parole, Jean-Baptiste Eyraud : « Ça tombait bien, car nous avions également choisi d’occuper la place le 31 mars à l’occasion de la fin de la trêve hivernale ». Le militant met aussi en exergue « l’expérience du campement de rue » :

en 2013, nous avons saisi la justice et gagné face à la Préfecture de police qui nous empêchait de nous installer place de la République. Le DAL a constitué un point d’appui pour le mouvement en les aidant dans ses démarches. »

Attentif au mouvement, Jean-Baptiste Eyraud souligne notamment sa capacité « à battre en brèche l’idéologie rétrograde du Front national. Après les attentats, l’état d’urgence, ce mouvement qui interroge, inquiète les institutions, ouvre des perspectives. »

Réunissant des fédérations et syndicats nationaux, des unions locales et régionales, l’Union syndicale Solidaires, dite Solidaires, existe en tant que telle depuis 2003. Reposant sur un fonctionnement original, moins centralisé que celui des autres confédérations, Solidaires fonde ses décisions sur le consensus (avec l’usage du suffrage unitaire et du droit de veto). Alors que des rapports distants entre les syndicats et une partie des Nuit debout perdurent, Solidaires suit de près le mouvement. Outre le prêt de matériel et sa participation aux demandes d’autorisation de manifestations, l’Union est présente, notamment par l’entremise de son porte-parole, Éric Beynel, qui a appelé lors des AG à la convergence.

Debout les gars

Au sein de cette constellation, à géométrie variable, de personnes impliquées ou attentives dès les premières heures, on croise plusieurs profils. Des journalistes, comme François Ruffin ; des chercheurs, tels l’économiste et sociologue Frédéric Lordon membre des économistes atterrés ; des militants écologiques comme Louise, membre du collectif citoyen Les Engraineurs ; des étudiants, comme Arthur ; des syndicalistes tels Karine de la CGT-Air France ; ou encore des intermittents, comme Loïc de la compagnie Jolie Môme.

Parmi ceux-ci figurent Leila Chaibi, ancienne militante des organisations La Pelle et la Pioche ou Jeudi noir et candidate du Front de gauche aux élections municipales de 2014 à la mairie du XIVe arrondissement de Paris. Pour autant, la jeune femme est très claire sur son engagement à Nuit debout, réalisé en son nom propre. Comme elle le précise, lorsqu’il a fallu mettre en œuvre le mot d’ordre du 31 mars, l’équipe constituée s’est interrogée sur la nécessité d’un accord préalable sur ce qui les réunissait :

« Nous avons décidé de ne pas le faire, pour ne pas retomber dans les vieilles guerres de chapelle du milieu militant. Nous avons circonscrit notre œuvre à la seule organisation logistique. »

Préférer la logistique à l’idéologique a certainement participé de l’engouement pour le mouvement et de sa capacité à rassembler, tout comme le souci des membres de Nuit debout de passer la main :

« Beaucoup de jeunes n’ayant jamais milité sont venus spontanément dès le 31 mars, le 1er avril, et ont pris le relais, assumé des responsabilités. »

S’occupant désormais de la commission banlieue, « pour faire la jonction avec les quartiers populaires », Leila Chaibi travaille également sur les demandes d’autorisation en lien avec la Préfecture. Interrogée sur l’avenir, elle livre une analyse prudente mais convaincue de la nécessité d’une convergence : « Ce mouvement est tellement inédit que faire des pronostics serait le meilleur moyen de le plomber. Après, il ne faut pas opposer ce qui se passe sur la place de la République et le fait d’être une épine dans le pied du gouvernement. Ce sont deux jambes inséparables sur lesquelles le Nuit debout doit marcher. Il y a d’un côté la réappropriation de la démocratie, la mise en œuvre d’un fonctionnement hyper-démocratique ». Mais, de l’autre, le mouvement doit penser à ses débouchés :

« Pour ne pas basculer dans le même travers qu’Occupy Wall Street, qui est tombé amoureux de lui-même, il faut regarder vers l’extérieur, faire la jonction avec d’autres luttes, aller vers la convergence. »

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