Exposition

Conflit avec le pape Boniface VIII, problèmes financiers, persécution des Templiers ont marqué le règne de Philippe IV le Bel, roi peu porté vers les choses de l’art, et pourtant… Témoins: les signes denses d’une exposition.

Le règne de Philippe IV le Bel qui s’étend de manière presque égale sur les dernières années du XIIIe siècle et les premières du XIVe siècle, n’ouvre ni ne ferme une époque marquante en matière d’art. Ce règne ne participe ni à l’apogée du gothique, ni à l’épanouissement de l’art de cour, lié à la politique fastueuse des premiers Valois. Nous étonne surtout la scénographie de l’exposition, qui donne à ces signes, manifestations du Dieu des chrétiens avec anges, reliquaires, Bibles et livres d’heures, remisés dans notre presque vingt-et-unième siècle, des allures quasi post-modernistes. Il n’est qu’à voir le parti pris de la montre, qui, en début de parcours, dote dix statues d’anges en chêne, sculptées dans le dernier tiers du XIIIe siècle, de faux airs de personnages de music-hall new-yorkais, rangées qu’elles sont l’une à côté de l’autre, en attente d’on ne sait quelle danse de groupe. Même obsession de la rangée, du regroupement, même éclairage en faisceaux lumineux, pour ces représentations de la Vierge à l’enfant. On regrette un peu, tout de même, cette vision d’ensemble systématique, à l’échelle de cinq ou six figures. N’élude-t-elle pas une autre fonction de l’art du haut Moyen Age, le recueillement, la narration réitérée des épisodes bibliques en une prière maintes fois reprise ? Voilà des indices, non encore de décadence, mais du spectaculaire. Tout à son profit, ne vampirise-t-il pas ce qui lui échappe ?

La petite vérole du temps grêle le visage des anges, ampute les ailes, les bras

Alors, pour s’en défaire, faut-il – un comble ! – reprendre l’exposition à l’envers, s’approcher des figures, se laisser fasciner, à force d’attention au détail, par la délicatesse qui les anime. Car c’est un art de la révélation, non du militantisme d’église, qui requiert du temps, des arrêts dans l’ombre, une certaine myopie qui force à rôder autour des objets. Belle matière à explorer en observateur zélé. Quitte à y passer l’après-midi. Des signes denses, en effet. Des témoins. En eux les siècles se relaient. Il n’est que de voir les traces de leur passage sur la pierre, le bois des statues ou le parchemin des enluminures, pour prendre la mesure de ce qui nous en sépare. La petite vérole du temps grêle le visage des anges, entaille le plissé des vêtements, ampute les ailes, les bras, le bouclé des chevelures. Les nez rabotés hésitent à traduire un art conquis de haute lutte. On naviguerait entre gothique et antiquité égyptienne.

Bibles, missels, livres d’heures et autres évangéliaires…

Ces pièces défigurées conservent pourtant intact leur pouvoir de conviction. Ces anges, même mutilés, tels des personnages issus du Purgatoire, rayonnent d’un sourire tour à tour serein et mystérieux. Penser à l’ange de Reims. Les ailes, quand elles n’ont pas disparu, s’étirent en longueur; leur pointe fait écho aux doigts graciles.tout symbolise une assomption possible. Ailleurs, des dyptiques en ivoire se lisent comme des livres d’images: la Nativité, le Christ-juge, les scènes de la Vie de la Vierge. L’art roman est sur le point de mourir. Les figurines perdent leur immobilité de plomb, s’individualisent dans la ferveur, exilées en petits groupes de deux, rarement de trois, disputant à loisir. Elles jouent leur histoire à force de gestes, non sans une bancale perspective. Déjà, sous le drapé, vivent les membres cachés. C’est que les canons de la représentation changent, tiennent compte d’une présence voilée. Un bras sous une étoffe, qui la soulève légèrement, n’abolit pas la réalité de sa présence, traitée par pleins et déliés. Qu’en est-il des Bibles, missels, livres d’heures ou évangéliaires ? Sous le règne de Philippe le Bel, l’enluminure se modifie. Les centres régionaux contrebalancent l’hégémonie de Paris; montée en puissance des grands fiefs du nord et de l’est du royaume, Amiens, Soissons, Metz… Le succès de la petite Bible portative n’est plus qu’effet de mémoire. S’inventent de nouvelles mises en page. Les initiales historiées disparaissent, jusque dans les manuscrits liturgiques latins, supplantées par des miniatures carrées ou rectangulaires inscrites à même le corps de la page. Rares sont les peintures à pleine page en hors texte, déjà présentes en Angleterre. La nouveauté, c’est l’extension foisonnante de motifs marginaux, sans doute due à la modification des lettrines qui désormais débordent sur les marges. On a droit à des saynètes drolatiques, parfois impertinentes, sans lien avec l’écrit alentour. Les formes gagnent en relief et en mouvement, font appel volontiers au règne animal et végétal. On délaisse les bleus et rouges sur fond or pour des couleurs plus sophistiquées: orange vif, vert acide, brun et gris. La feuille d’or est concurrencée par des fonds bicolores, bleu et rose, auxquels s’ajoutent de fins rinceaux, si bien que, dans l’effet grisaille de l’enlumineur Jean Pucelle, loin d’endeuiller la scène, pointe déjà une modernité. Pas si maudits que ça, les rois ! M. S.

 » L’Art au temps des rois maudits.Philippe le Bel et ses fils, 1325-1328 « .Galeries nationales du Grand Palais jusqu’au 29 juin.Tous les jours sauf le mardi de 10 heures à 20 heures.Sur réservation jusqu’à 13 heures au prix de 56 F: 3615 Billetel ou 3615 FNAC ou Tél.: 01 49 87 54 54.Sans réservation et à 50 F après 13 heures.Commissaire général: Danielle Gaborit-Chopin.Un catalogue est édité par la Réunion des Musées nationaux (456 p., 340 F).

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