Images contemporaines

Découverte et prospection sont les maîtres mots de la Biennale de l’image Paris 98 qui s’ouvre ce mois-ci à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts. Régis Durand (1), son initiateur et commissaire, en parcourt avec nous le sens et les objectifs à moyen terme.

Mon point de vue a toujours été que la photographie devait se lire dans le champ général de l’image. Et lorsqu’on m’a proposé de faire une Biennale de photographie, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait faire une Biennale de l’image. » Dans les locaux transformés en ruche du Centre national de la photographie, Régis Durand, universitaire, critique d’art – on se souvient de ses chroniques dans Art Press -, auteur d’ouvrages, qui assura de 1992 à 1996 la direction artistique du Printemps de Cahors, assoit tranquillement un propos déjà longuement exploré dans le Monde après la photographie, essai et exposition présentés au Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq il y a trois ans de cela:  » Le Monde après la photographie, c’était une façon d’analyser comment la photographie s’était inscrite dans une histoire de l’art contemporain. Le problème aujourd’hui n’est plus celui de catégories à l’intérieur de la photographie. Certains essaient parfois d’opposer artificiellement photographie documentaire et photographie plasticienne, mais cela ne me semble pas présenter un grand intérêt. Aujourd’hui, le problème est ailleurs. Il est dans une perception dans le champ des images. Et dans celui-ci il y a la vidéo, les installations, les images numériques ou de synthèse, le cinéma, bien sûr, qui est devenu essentiel, et…la photographie. La photographie qui est toujours très importante, très vivante, même si technologiquement elle a atteint son point d’obsolescence, y occupe une place de choix. Mais une place contextualisée. Une place parmi toutes les autres images qui nous entourent. C’est pour moi un point capital. Qu’elle soit produite par un appareil photo, une caméra ou un ordinateur, argentique ou numérique, l’image est ici un champ de travail, à la fois un matériau et un mode d’écriture, lieu de confrontation entre une archive, des références au réel, et une capacité d’invention formelle. Elle définit un espace de création qui ne prend pas comme référence – explicite ou implicite – la peinture ou la photographie, et à travers elles un système constitué des Beaux-Arts. »Voilà, résumé, pour l’argumentaire. La ligne générale.

L’image, un champ de travail, à la fois matériau et mode d’écriture

Une fois ce positionnement acquis, c’est sur le caractère délibérément prospectif de la manifestation que Régis Durand souhaite insister:  » En fait, il existe déjà nombre de manifestations internationales prestigieuses pour présenter toujours les mêmes jeunes stars du moment. Alors j’ai pensé qu’il fallait prendre un parti peut-être plus limité, mais aussi plus radical en un sens, et en faire une Biennale de découverte, entièrement tournée vers la jeune création. Donc on cherche à présenter des travaux qui ne sont pas encore consacrés, qui n’ont pas fait l’objet d’une grande diffusion en France, et ceci particulièrement pour les artistes étrangers. Nous nous comportons un peu comme des explorateurs et cela me semble important dans le contexte actuel de l’art contemporain de faire le choix d’oeuvres en pleine expansion, preuve chez les jeunes artistes d’une vitalité extraordinaire, et cela dans un contexte structuré, qui montre que tout cela a du sens, que ça n’est pas n’importe quoi, que ce sont des choses réfléchies sur lesquelles on peut construire du solide. Politiquement, au sens large du terme, cela me semble essentiel. » Autour de lui, Régis Durand a réuni un petit groupe de connaisseurs, pour la plupart de jeunes conservateurs indépendants choisis notamment pour leur ouverture sur l’étranger. Julie Sauerwein, Hou Hanru, Adriaan Himmelrich et Cécil Bourne, transfuges l’un de l’Institut néerlandais, l’autre du Musée d’art moderne, Yann Beauvais (pour la programmation cinéma), Lewis Baltz, « un artiste déjà assez connu », sans oublier Alfred Pacquement lui-même, directeur de l’ENSBA.

La pensée suit ses chemins, puis revient sur un axe central, la temporalité

Ensemble, ils décident d’inviter trente et un artistes de treize nationalités, majoritairement des femmes ( » l’émergence d’une création féminine très active est une des caractéristiques de la situation actuelle, contrairement à ce qui se passait il y a dix ou quinze ans »), et d’un âge moyen de trente-deux ans (« La question de l’âge, je n’en fais pas un fétiche.simplement nous saisissons les artistes au moment où leur travail atteint à une première forme de maturité »). »A un moment, j’avais décidé qu’il fallait un thème, et que ce thème, d’une manière ou d’une autre, devait être celui du temps. Comme point de départ, je ne voulais pas d’un texte ou d’une figure de la philosophie qui soit trop programmatique et me maintienne dans une ligne stricte. Par exemple, j’aurais pu faire un propos bergsonien, mais je ne voulais pas de ça. Un jour en relisant l’Ulysse, de Joyce, j’ai retrouvé ce passage où Stephen Dedalus médite sur l’ »inéluctable modalité » du visible (le titre de la manifestation,  » De très courts espaces de temps « , est emprunté à ce passage), et j’ai trouvé qu’il parlait de choses qui me semblaient concerner directement le rapport que beaucoup d’artistes ont au temps, la manière dont le temps passe dans leurs oeuvres, avec tous ces phénomènes d’accélération, de ralentissement, de rupture, d’expansion. Je me suis dit qu’il y avait là un point de départ magnifique. Comme un noyau qui irradie, sans lier à une problématique particulière. Ce n’est pas un argument philosophique dans lequel je vais être censé abonder à l’aide d’oeuvres. C’est comme une belle amorce à un développement, tout en sachant que ces oeuvres ont un contenu essentiellement dispersif puisqu’elles ne sont pas censées illustrer des thèses ou même des thèmes auxquels elles ont tendance à échapper sans arrêt. Comme Stephen lui-même, qui pense à certaines choses puis est interrompu par la vue d’un objet sur la plage, un bruit, la pensée suit plusieurs chemins et puis revient sur un axe central qui est la temporalité ». Régis Durand explique ne pas avoir été tenté de partir de la notion d’espace, trop limitative, et puis parce que l’espace se retraduit toujours dans du temps: « Et pas exactement l’inverse. La notion de temps a l’avantage de permettre de parler de ce qui constitue nos hétérogénéités, nos expériences, notre intériorité. » Pour faciliter la circulation et la clarté du propos, et surtout pas pour créer des catégories étanches (« c’est ouvert. Une oeuvre va être mise dans telle catégorie tout en sachant qu’elle touche aussi à une autre, c’est évident »), l’exposition est scindée en quatre ensembles principaux où les travaux se croisent et se répondent: d’abord nos espaces-temps « habituels », nos repères, nos milieux, puis autour d’une question qui serait « comment être dans le temps ? », sur les rythmes et leurs distorsions, un troisième concerne le médium en lui-même, enfin le dernier cerne les nouvelles modalités de l’espace-temps autour de l’évolution des identités et des subjectivités.

Quatre ensembles où les travaux se croisent et se répondent

Le promeneur peut alors partir à la découverte, dans le flux maîtrisé de ces images du temps présent, des fragments d’intérieurs et de corps de la plus jeune, Camille Vivier (21 ans), « chez elle, on a cette sensation d’une justesse parfaite entre son regard, l’appareil photo et ce qui est photographié », à la merveilleuse tentative, à travers films et cédéroms, de l’Ecossaise Zoë Beloff « de pénétrer sous la peau de la vie quotidienne tout en rêvant son chemin dans le passé », et Régis Durand, déjà, songer à la prochaine édition de la Biennale, nous serons en l’an 2 000: « On gardera l’esprit de l’exploration des travaux émergents, mais on fera un effort sur des pays ou des continents moins fréquentés, comme l’Amérique latine ou l’Orient, qui n’ont pas encore véritablement intégré les circuits de l’art contemporain, essentiellement européens et nord-américains. Oui, j’aurais assez envie de faire ça « . Et nous irons encore capter ces balles qui nous viennent du dessus ou du dessous de l’image.

Biennale de l’image Paris 98, 12 mai – 12 juillet, ENSBA, 13 quai Malaquais et à la Caisse des Dépôts et Consignations, 13, quai Voltaire.Catalogue français-anglais en coédition avec Actes Sud avec le soutien d’Agnès b., de la Fondation Cartier pour l’art contemporain et de NSM Vie.

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