Avec Cher pays de notre enfance, une bande dessinée qui rouvre les dossiers noirs de l’après-de Gaulle, Étienne Davodeau et Benoît Collombat nous plongent dans ces « années de plomb » que la France préférerait faire oublier.
Aussi frappante soit-elle, on pourrait trouver que la couverture de Cher pays de notre enfance est un peu trompeuse : en effet, les « années de plomb de la Ve République » concernent essentiellement les affaires survenues dans les années 70, après le règne de Charles de Gaulle. Néanmoins, chacune d’elle s’enracine profondément dans les institutions, mais aussi les officines nées dans le giron du régime gaulliste. Il n’est donc pas illogique que le général se voie éclabousser par ce qu’il a engendré.
Barbouzes, truands, anciens de l’OAS, flics compromis, politiciens véreux, juges « sheriffs »… Avec leur casting, les affaires qui ont émaillé la chronique jusque dans les années 80 ont nourri l’imaginaire de nombreux films politico-policiers de l’époque, et certaines d’entre elles ne sont toujours pas closes – ou sont aussi mal refermées qu’une plaie mal soignée. La plus emblématique est probablement l’affaire Boulin, dont le journaliste Benoît Collombat est justement un spécialiste ; et le principal fil rouge de l’ouvrage s’enroule autour du tristement célèbre SAC (Service d’action civique), la milice gaullienne impliquée dans l’assassinat du juge Renaud en 1975 à Lyon ou dans les braquages du gang des Lyonnais, jusqu’à l’épisode sanglant qui mettra un terme quasi définitif à ses exactions : la tuerie d’Auriol en 1981.

Pour autant, ce passé n’est pas tout à fait révolu, à l’image de la guerre d’Algérie dans laquelle il s’enracine. Et les auteurs se refusent à le considérer ainsi : ils rouvrent les dossiers et mettent en scène leur enquête au fil de leurs trouvailles dans les archives et des rencontres avec les protagonistes – des survivants parfois à plus d’un titre. En maître du genre de « l’enquête racontée », Étienne Davodeau renoue avec la qualité de ses précédentes œuvres documentaires, comme Rural ! ou le remarquable Les Mauvaises gens, et il trouve en Benoît Collombat le compère idéal. Le prix du public décerné à Angoulême n’a pas été usurpé.




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