Un an après, l’esprit perdu de janvier

La réponse sécuritaire, autoritaire et identitaire aux attentats de Paris en 2015 a consacré le reniement des valeurs que la France était censée opposer aux terroristes. La commémoration de ce 7 janvier n’en est que plus amère.

365 jours après un 7 janvier qui lançait la sinistre année 2015, l’heure n’est pas seulement aux commémorations, mais aussi aux bilans – et ceux-ci ne sont pas moins sinistres. Il semble que tout ait été fait pour que, comme les balles des terroristes, leurs commanditaires atteignent et même dépassent leurs objectifs.

L’émotion réduite à la peur

On a pu penser, au lendemain du 11 janvier, que « l’esprit » de ce dimanche aller inspirer une réponse à la hauteur des événements, que serait traduit le message des appels à la paix, à la tolérance et à la fraternité, des slogans spontanés, des dessins, des unes des journaux, de la flamme des bougies, des hashtags des réseaux sociaux, des citations et des déclarations vibrantes, des témoignages de solidarité… Mais l’émotion ne se convertit pas spontanément en action politique ou en mouvement citoyen. Et si elle est volatile, son instrumentalisation est en revanche plus durable, et son évaporation facile dans la confusion générale.

En définitive, l’exploitation de la peur – celle-là justement que nous ne devions « même pas » avoir – l’a emporté. Ce que l’année écoulée mesure, c’est bien l’ampleur du démenti, dans les politiques menées, des valeurs ainsi invoquées. C’est en effet la voie exactement opposée de celle à laquelle invitait le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg dans son fameux discours après le massacre d’Utoya – « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance » – qui a été prise. La liberté attaquée n’a plus compté beaucoup de défenseurs.

La politique du pire

L’union nationale s’est vite rétractée sur un plus petit dénominateur xénophobe, guerrier, policier et autoritaire. Instruits par l’après-janvier et notamment l’adoption de la loi sur le renseignement et la généralisation de la surveillance de masse, on ne pouvait déjà plus, en novembre, être dupes de ce qui s’annonçait : l’accélération de la politique du pire et, après l’état de choc, l’état d’urgence, l’état de guerre, l’État de surveillance et l’État policier. Voilà constitutionnalisées la dérive sécuritaire et la réduction des libertés, et escamotés l’échec de la lutte contre le terrorisme, les errements de la politique étrangère française et les dégâts de la politique économique. Qu’importe, en effet, l’efficacité chimérique des mesures prises, ce qui est recherché est leur (très délétère) rentabilité auprès de « l’opinion ».

Embarqué par un douteux calcul politique dans une course à la droitisation, l’exécutif ne cesse de légitimer les thèses et le programme du Front national et de désavouer ses valeurs proclamées. De la déchéance de la nationalité à l’extension des pouvoirs policiers tout juste révélée, ses incessants reniements font le lit des succès électoraux du FN. Tout comme ils font le bonheur de l’organisation de l’État islamique en renforçant, par la stigmatisation des minorités, ses capacités de recrutement sur notre territoire, et en pérennisant à l’extérieur une guerre dont elle a fait son terreau.

Sans résistance

La France renonce ainsi à donner la moindre consistance aux trois termes malmenés de sa devise républicaine, pour s’enfermer dans une Nation vidée de sa substance et crispée sur des symboles en déshérence – le drapeau qu’il faut afficher, la Marseillaise qu’il faut chanter, la nationalité dont il faut être digne. Et, toujours, la question sociale est occultée ou disqualifiée, la quête de justice et d’égalité abandonnée au profit de l’apologie de la sécurité et du conflit des identités.

Enfin, face à cette dérive massive, à cette dévastatrice stratégie du choc, la gauche radicale a une nouvelle fois constaté son impuissance, quand ses élus n’ont pas eux-mêmes capitulé dans les assemblées. Non pas que la pensée critique n’ait pas su opposer des discours et des analyses – les innombrables textes de qualité publiés attestent le contraire. Mais elle reste à peu près inaudible en dehors de ses cercles, et aucun mouvement ou organisation n’est en mesure de mettre en œuvre une mobilisation politique. La nécessité d’engager une tout autre logique que celle, mortifère, que l’on voit à l’œuvre dans le pays relève pourtant d’une urgence d’autant plus absolue : il y a des aspirations dont il faut moins que jamais faire le deuil.

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