Après des événements aussi graves que les attentats de Paris, la tentation de la politique de la peur est grande. Le gouvernement a déjà annoncé qu’à la terreur, il répondrait par la guerre. L’émotion l’a emporté sur la raison.
Bien sûr que nous avons peur, bien qu’on aimerait ne pas le laisser paraître. « Même pas peur » comme mot d’ordre. Une invective, comme le reflexe de celui qu’on a fait sursauter, mais qui ne s’y fera plus prendre. Même pas peur du terrorisme. Terrorisé, oui. Meurtri aussi, mais vivant.
"MÊME PAS PEUR" le message de la place de la #République face à la terreur. #Paris @franceinfo pic.twitter.com/T12QA0bbtY
— B.Illy (@BenjaminIlly) 16 Novembre 2015
Alors les Français ont continué à sortir, à vivre. Et si on a pu observer certaines scènes de panique, ça n’est pas de la peur du terrorisme. Le terrorisme n’a pas fait fuir, il a rassemblé, autour d’une même douleur.
Edwy Plenel résume avec justesse ce qu’il nous arrive :
« Le terrorisme parie toujours sur la peur. Non seulement la peur qu’il répand dans la société mais la politique de la peur qu’il suscite au sommet de l’État. […] Non, nous n’avons pas peur. Sauf de nous-mêmes, si nous y cédions. Sauf de nos dirigeants s’ils nous égarent et nous ignorent. »
La peur de toute part
Bien sûr que nous avons peur, mais nous ne pensions pas avoir peur de vous ! Vous, les dirigeants, représentants, élus ou porte-paroles du peuple. Tous les dirigeants ne jouent pas avec notre peur, mais certains parmi les plus haut-perchés s’y essayent. Ceux-là nous lancent des :
« Si j’ai des nuits blanches, c’est parce que je savais que ça pouvait se produire. »
« À chaque moment nous pouvons subir un attentat. Je suis marqué par ces événements et ça m’obsède. »
« La lucidité, la vérité nous oblige à dire que nous sommes en guerre. Le terrorisme peut frapper encore. Ces jours ci, dans les jours qui viennent, dans les semaines qui viennent. […] La vie doit reprendre, mais nous vivons et nous allons vivre longtemps avec cette menace. »
Ces trois citations sont d’un seul homme, prononcé le même jour, ce lundi 16 novembre. Manuel Valls, seul, nous impose ce message : n’ayons pas peur, parce que ça va arriver à nouveau et c’est pour bientôt. Si les mots du premier ministre sont terribles, le ton avec lequel il les assène est pire encore. A travers ce message, il nous avoue sa peur à lui, sa peur immense de manquer « l’union sacrée ». Une peur qui lui fait perdre totalement ses moyens.
On aurait pu imaginer un chef de gouvernement soucieux d’apaisement et de mesure, comme Jens Stoltenberg, le premier ministre norvégien, qui après le drame d’Utoya en 2011, clamait : « La meilleure réponse au terrorisme, c’est plus de démocratie, plus d’ouverture. » Trop utopiste ? Pas assez ferme ? Alors pourquoi ne pas avoir essayé ces mots de Nelson Mandela : « Nous travaillerons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, pour encourager la négociation là où il y a le conflit, et donner l’espoir là où règne le désespoir. » Cela ne l’a pas empêché de marquer l’histoire, avec crédit et stature.
Le peuple est plus cohérent que sa classe dirigeante
« Installer la peur, l’effroi, la sidération dans la population est un moyen efficace afin d’instaurer des lois extrêmes intrusives et liberticides », analyse André Gunthert. Quel est le pari ? La peur nous ferait nous tourner vers ceux qui incarnent la stabilité ? Donc le pouvoir en place, et non les extrêmes. Donc, en l’occurrence, le social-libéralisme pur, dans ce qu’il est d’ordre et d’interventionnisme. Tout ça pour des élections ? La peur nous mène droit à une guerre, alors que nous ne voulions rien de tout cela. Corey Robin, auteur de La Peur: histoire d’une idée politique, faisait cette remarque, fin 2014 : Il n’y a pas de corrélation directe entre le vécu psychique d’une population donnée et l’adoption d’une politique de la peur ».
Pourquoi vouloir nous faire peur ? A quoi bon craindre nos réunions, nos débats ? Pour permettre d’exister ceux qui nous nient en tant que diversité ? Quelle autre issue que de laisser la voie à tous ceux qui haïssent ce mélange d’idées et de cultures ? Ceux-là faut-il qu’ils gagnent par la peur que chaque camp de cette guerre insuffle ? La peur de l’autre et la peur de la mort. « J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur mais la capacité de la vaincre. » Mais, Nelson Mandela est mort.


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