Ateliers

Des affichettes placardées à tous les étages de l’école d’architecture de Paris-Belleville annonçaient: atelier d’écriture animé par Olivier Rolin à partir du 5 mars à 15 heures dans la salle des Conseils. Voix in.

Lancée d’un commun accord par la Direction de l’Architecture et la Maison des Ecrivains afin d’inciter les étudiants à  » partager avec un écrivain leur approche singulière des villes, et trouver grâce à la lecture et à l’écriture le plaisir de réfléchir à leurs formes « , l’expérience qui démarre dans neuf écoles françaises (1) devrait permettre d’établir un premier bilan en fin d’année scolaire. Dans l’hypothèse où celui-ci s’avérerait positif, les ateliers seraient reconduits, voire développés. Ils ne seront qu’une dizaine à franchir la porte du lieu de rendez-vous, à prendre discrètement place autour des tables disposées en carré de cette simple pièce nichée sous les toits et dans laquelle entre le ciel. Presque tous ont déjà lu ou commencé un ouvrage d’Olivier Rolin mais la plupart le tairont, troublés par l’idée de la présence physique de l’auteur de Port-Soudan. Curieuse sensation que celle qui consiste à associer un visage, un corps, à des mots avec lesquels on a un temps voyagé ou rêvé. Regroupés dans une moitié de la salle, les jeunes gens écoutent ses derniers silences. Rompu à l’exercice du monologue, l’écrivain, qui s’est mêlé à eux, pose un à un, les jalons de son intervention: la voix est calme, le discours structuré:  » Premièrement, et ce très modestement, je voudrais donc me présenter. Deuxièmement, vous dire en deux mots pourquoi est-ce qu’à mon avis écrire et apprendre à écrire, c’est important et troisièmement, discuter avec vous pour savoir un peu ce que vous attendez. J’ai pour ma part quelques idées sur la façon dont on pourrait procéder. Vous me direz si elles vous conviennent. Vous me direz aussi si vous en avez d’autres… » Pendant quasiment une heure, il évoquera successivement ses études de philosophie à L’Ecole normale supérieure et son engagement politique dans les années 70, les petits métiers exercés qui s’avéreront utiles pour son premier bouquin:  » J’ai été par exemple chauffeur livreur de cristal et d’escargots. J’ai aussi recensé, car assez bon helléniste, pour la Fondation de Mesnil, les textes sur Afrique en latin et grec des Pères de l’Eglise « . Il viendra ensuite à ses premières notes sur  » cette vie passée « :  » Je m’éloignais des idées politiques que j’avais eues, sans pour autant les renier. Assailli par des pensées contradictoires, le besoin de les formuler s’est imposé. Ces notes, avec le temps, sont devenues roman, seul lieu à mon sens capable d’offrir une extrême liberté intellectuelle, et d’accepter en son sein tous les contraires. » D’autres pensées, d’autres notes, relayeront celles qui furent à l’origine de Phénomène futur publié en 1983:  » Un roman est au départ un noeud d’obsessions que l’on essaie de débrouiller au fil des pages. »

Apprendre à écrire, c’est apprendre à penser

Puis Olivier Rolin évoquera ses nombreux voyages, ses impressions de villes et ses recueils de textes moins remarqués publiés sous les titres de  » En Russie  » et de  » Mon galurin gris  » avant d’aborder face aux futurs architectes captivés, la question de l’utilité de l’apprentissage de l’écriture:  » On ne voit vraiment que si l’on trouve les mots pour décrire ce que l’on voit. Il existe une différence entre l’éblouissement ou l’ébahissement liés à un état de passivité, et la vision qui est quelque chose de précis, d’organisé et de transmissible « . Il dira l’ascèse qu’elle nécessite: « L’exigence fondamentale de l’écriture est l’exactitude. Elle demande une précision quasi maniaque. Nous vivons – et je ne suis d’ailleurs pas le seul à le penser – une époque d’aplatissement, de banalisation extraordinaire du langage. Il suffit de prendre les journaux écrits ou parlés pour constater que presque chaque phrase comporte un stéréotype. Apprendre à écrire, c’est apprendre à manier la langue dans toutes ses nuances, donc c’est aussi apprendre à penser. »

Un processus de construction, de mise en espace

L’écrivain qui vient d’achever son exposé propose la parole à l’auditoire: qu’attend-on d’un atelier d’écriture lorsqu’on apprend le métier d’architecte ? Dans la pièce sous les toits, le silence a pris place. La question mérite réflexion: comment succéder à cette facilité d’élocution, à cette concision de pensée. Tour à tour, et à la demande du président de l’établissement qui participera lui aussi à l’atelier, ils déclineront noms et attentes particulières sur un ton hésitant entre le  » less is more  » et le  » small is beautifull  » (2). Clara dira ne plus avoir de rapport avec l’écrit autre que la prise de notes pendant les cours, et vouloir volontiers se prêter à cette activité hors programme. Nathalie, qui a effectué divers séjours à Berlin, se reconnaîtra dans les propos de l’auteur: « Dans mes carnets de voyage, je retrouve un ensemble d’obsessions que je n’arrive pas à bien exprimer. Comment trouver la trame ? ». Sophie avouera avoir souffert du manque d’écriture dans la formation. Elle achève ses études:  » Quand on entend parler les architectes, on se rend compte à quel point ils ont du mal à s’exprimer, à se faire comprendre. Il me semble que si l’on passait d’abord par la formulation écrite, on pourrait être plus justes à l’oral. » Elle insistera aussi sur le fait que l’écriture puisse parfois devenir fascinante et susciter chez le lecteur l’émotion:  » J’aimerais arriver à cela. » De nationalité allemande, Jeanine étudie en France depuis quatre ans. Les constructions de phrase, les nuances de sens, les subtilités de langage lui échappent. Jacques dira mal parvenir à associer des mots à des images, à des lieux, et attendre de l’atelier des exercices de style:  » Lorsque je me relis, je me trouve sec. » Armelle, au contraire affirmera se sentir en confiance dans l’espace de la page blanche. Quand à Solenn:  » Difficile de formuler par écrit mes intentions, donc une pensée. Je ne sais pas comment cela se passe pour un écrivain. Peut-être existe-t-il chez lui un processus de construction, de mise en espace, similaire à celui de l’architecte ?  » Peut-être pourriez-vous essayer d’écrire sur un sujet, mais lequel ?  » Olivier Rolin avance précautionneusement:  » On pourrait chaque fois proposer un thème pour la fois d’après, un thème sur lequel vous écririez… On pourrait lire des portraits de villes et les commenter, noter toutes les inscriptions dans une rue et tenter de cerner sa singularité ?  » Les réactions se font attendre. L’écrivain sensible aux non-dits passe à autre chose:  » On pourrait aussi lire un livre ensemble, essayer de dire ce qu’est une belle phrase ?  » Moues dubitatives dans l’assistance:  » Il faut lire. On n’a jamais eu autant de temps qu’à la fin du XXe siècle et paradoxalement, on lit dix fois moins qu’en 1900. Je ne vous demande quand même pas de vous plonger dans Guerre et Paix !  » Suite à de subtiles tergiversations, un accord commun est conclu: les étudiants écriront pour la rencontre suivante, un texte sur le  » lieu commun « . Le soir même, Solenn questionnera ses amis:  » Aucune de leurs réponses ne m’a convaincue. S’agit-il de formules toutes faites ou d’un espace ? Et puis qu’est-ce qui distingue un « lieu commun » d’un « non-lieu » ? Et, d’après vous, c’est quoi, un lieu commun ? » Question – et expérience – à suivre.

1. Neuf écoles d’architectures françaises participent à cette opération et accueillent chacune un écrivain: Jean-Claude Izzo intervient à Marseille, Emmanuel Hocquard à Bordeaux, Muriel Bloch à Lille, Hélène Bleskine à Nancy, Jean Rolin à Saint-Etienne, Annie Leclerc à Rennes, Hervé Prudon à Paris-La Villette et Leslie Kaplan à Paris-Villemin.

2.  » Le moins est un plus « , expression de l’architecte allemand Mies van der Rohe, reprise notamment par l’Anglais Norman Foster, concepteur du Carré d’art de Nîmes. » Ce qui est petit est beau « , a été dit par l’Américain Franck Lloyd Wright.

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