Une bande dessinée imagine les premiers mois de la présidence de Marine Le Pen en 2017. Si cet exercice de politique-fiction provoque les consciences, il soulève aussi des interrogations sur sa lecture de « l’événement ».
Imaginer Marine Le Pen présidente de la république, aujourd’hui, ce n’est plus jouer à se faire peur. Cette éventualité devient de moins en moins improbable au fil des mois [[En début d’année, Virginie Despentes estimait sur ces pages que « dans les milieux d’élite, tout le monde ou presque semble se préparer à l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir ».]], dans un contexte de droitisation générale, d’hystérie identitaire, de discrédit des politiques et d’impuissance du pouvoir. La banalisation du Front national, c’est aussi celle de son éventuelle prise du pouvoir.
Malgré tout, cette possibilité reste abstraite, parce qu’on refuse de s’y confronter ou parce que l’on trouve encore des raisons rationnelles de l’écarter. Peut-être pour l’exorciser, plus sûrement pour en prendre la mesure, François Durpaire et Farid Boudjellal ont choisi d’en faire une bande dessinée. La Présidente prend ainsi l’élection de Marine Le Pen frontalement, à l’instar de sa couverture, qui reproduit la photographie officielle imaginée par les auteurs. Difficile d’imaginer image plus dérangeante, plus directe, que ce portrait de la présidente du FN qui devrait être accroché dans tous les bâtiments de la République.
Le pire des cas
Provoquer le lecteur, le confronter au pire : le dessein de l’ouvrage consiste en effet à projeter, dans un futur dangereusement proche, ce worst case scenario. Dès son entame, le 7 mai 2017 au second tour de l’élection (un face-à-face entre François Hollande et Marine Le Pen), la précipitation des événements suscite quelque vertige, tant elle semble finalement plausible, voire logique : dispersion des voix de la droite au premier tour entre les candidatures de François Fillon, Nicolas Sarkozy et François Bayrou, échec de l’appel à un « front républicain », abstention record de 37,5% …
Le cauchemar prend consistance avec l’enchaînement des cérémonies de passation du pouvoir, les ralliements de la « droite dure » (Gérard Longuet premier ministre, Nadine Morano ministre de la Famille et la Natalité), la passation des alliances, l’obtention d’une majorité aux législatives, le triomphe des intellectuels réactionnaires … Le récit s’appuie ensuite sur le programme du FN pour décrire la reprise en main des médias, les mesures répressives contre les migrants, la création d’une garde nationale de réservistes, l’intensification des mesures de surveillance, l’arrestation des rappeurs jugés extrémistes, l’application de la « priorité nationale », le fichage ethnique, la suppression du droit du sol et, bien sûr, la sortie de l’euro.
La gauche disparue ?
Cependant, l’exercice prête nécessairement le flan dès lors qu’il doit choisir entre des dizaines de scénarios possibles, ce choix induisant des lectures politiques particulières. Avec son parti pris de politique fiction, La Présidente n’expose quasiment pas les raisons de l’arrivée au pouvoir du FN, sinon sous forme de rappels chronologiques de l’ascension du parti depuis le début des années 70. Ce qui revient à occulter la responsabilité des politiques menées par la droite et la gauche de gouvernement depuis des décennies, à effacer la participation de la contre-révolution libérale à ce désastre.
Ainsi, la gauche radicale est-elle quasiment absente du tableau, laminée lors des élections législatives (2%) avec un Jean-Luc Mélenchon qui annonce sa retraite politique. Par la suite, les acteurs du mouvement social ne jouent que des rôles de figuration, en dehors d’une grève à Radio France et France Télévisions. On peut aussi s’étonner que les seules réactions de masse soient des manifestations contre les discriminations et les atteintes aux droits de l’homme, et qu’il ne se passe rien dans les banlieues, les entreprises et les services publics. La BD choisit en revanche de raconter l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie – hypothèse intéressante au demeurant, mais qui décrit des événements pour le moins périphériques.
Une alternative morbide
De fait, l’essentiel de la « pédagogie dissuasive » de l’ouvrage réside dans la crise économique provoquée par le programme du Front national, centré sur la sortie de l’euro. Et là est toute l’ambivalence, non pas seulement de la BD, mais de la question elle-même de la monnaie européenne et de l’Union européenne en général. Ce sont précisément les gardiens patentés de ces dernières, économistes et experts médiatiques, qui sont appelés pour discréditer le programme frontiste en mettant en exergue ses effets délétères sur l’emploi, le commerce extérieur et nos multinationales… Le FN ou le statu quo, telle est bien l’alternative morbide qu’annonce la présidentielle 2017. Sachant par ailleurs que l’on peut douter de l’incompatibilité de ce programme avec le libéralisme, comme de l’éloignement du lepénisme avec les milieux d’affaires.
C’est finalement en s’ancrant dans la fiction que La Présidente convainc le mieux. Avec ces personnages qui, depuis Belleville à Paris, vivent les débuts du pouvoir frontiste dont ils sont victimes, tout en tâchant de lui résister. Et surtout avec son épilogue qui, aussi rocambolesque soit-il, se réfère à bien des précédents historiques : une tentative de coup d’État de la part de factions qui jugent la nouvelle présidente trop modérée…


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