Alexis Tsipras a réussi son pari politique en confortant l’assise de Syriza au détriment de ses dissidents, et en maintenant la différence entre gauche et droite. Reste désormais à assumer la poursuite de l’austérité… Récit et réactions.
Devant la tente de Syriza, sur la place des Pleureuses, en plein cœur d’Athènes, Alexis Tsipras s’empare du micro et commence un court discours. Une dizaine de minutes tout au plus. Il n’a pas le temps de terminer qu’un autre homme politique fraye son chemin dans la foule rassemblée. Comme l’ex et futur premier ministre du pays l’avait fait quelques minutes auparavant. Sous un tonnerre d’applaudissements, tous les deux. Cet homme, c’est Panos Kamenos, le chef de file des Grecs indépendants. Ce parti, donné perdant par les sondages pendant la campagne électorale, obtient 3,7% des suffrages exprimés et dix sièges à la Vouli, le parlement hellénique. Syriza, lui, a obtenu 35,52% des voix et 145 sièges. Un peu moins que le 25 janvier 2015, où il faisait course en tête avec 36,34% des voix et 149 sièges. Un peu plus que ce que laissaient entendre les intentions de vote.
Panos Kamenos rejoint l’estrade sur laquelle Alexis Tsipras tient son discours, au moment où ce dernier explique qu’il formera une majorité avec… les Grecs indépendants. Le timing est parfait. Les embrassades de rigueur. D’autres partis rejoindront-ils la coalition ? À eux seuls, ils peuvent, en tout cas, gouverner. Ils disposent de 155 sièges à la Vouli, soit quatre de plus que la majorité absolue. Pendant la campagne, consécutive à sa démission le 20 août, Alexis Tsipras avait tendu la main au Pasok, le parti social-démocrate en déconfiture depuis qu’il a été le premier à appliquer l’austérité et les mémorandums. Sera-t-il, lui aussi, du prochain gouvernement ?
Contre l’austérité, malgré le mémorandum ?
À peine les premiers résultats annoncés, la présidente du parti socialiste Fofi Gennimata s’est déclarée en faveur d’« alliances » afin d’avoir « un gouvernement stable pour quatre ans ». Mais Alexis Tsipras a toujours dit parallèlement qu’il refusait de gouverner avec des responsables politiques de « l’ancien système », dont le Pasok fait partie, mais pas sa nouvelle direction. Alors qu’il n’avait obtenu que 4,7% en janvier 2015, le Pasok remonte un peu dans les résultats, avec 6,25% des voix et dix-sept sièges. Intégré au gouvernement, il pourrait être conforté dans un rôle d’allié incontournable qu’il a eu depuis 2012. Dans l’opposition, il pèse peu. Comme sa participation à une coalition n’est pas nécessaire pour gouverner, c’est donc une majorité gouvernementale alliant Syriza et les Grecs indépendants qui devrait être reconduite.
La principale mission de ce gouvernement sera d’appliquer le mémorandum signé sous la contrainte par Alexis Tsipras le 13 juillet. « J’espère que nous pourrons mener une politique de gauche », explique Sia Anagnostopoulou qui vient fêter la victoire de Syriza. Malgré le sourire sur les lèvres, elle souligne que « nombre d’autres partis voulaient une alliance large intégrant Nouvelle démocratie (droite) ». Consciente des faibles marges de manœuvre qu’offre l’accord de prêt avec les créanciers, elle ajoute : « Mon angoisse est que nous devions continuer à négocier avec les créanciers. Or, nous devons montrer qu’il existe une autre voie que l’austérité en Europe ». Car, « pour nous, il y a toujours une rupture entre la gauche et la droite ».
Cette « rupture » est, elle aussi, un des ressorts du vote. « J’hésitais mais j’ai voté Syriza finalement », explique Dimitris Gianopoulos. À dix-neuf ans, il hésitait : Syriza, auquel il avait déjà accordé son vote en janvier, ou Unité populaire, la fraction qui a fait scission et dont il admire « la vraie vedette, Zoe Konstantopoulou » ? Il aura fait un choix : « Je préfère que ce soit la gauche qui applique ce nouveau mémorandum. Au moins, elle fera attention aux plus pauvres », argumente-t-il. « C’est historique ! Cette victoire est celle du peuple », affirme Yannis Bournous, responsable des relations européennes du parti, présent Place des pleureuses.
La défaite d’Unité populaire
C’est pourtant sur ce point qu’a eu lieu la scission au sein de Syriza et qui a conduit à constituer, autour de son aile gauche qu’incarnait le courant plate-forme de gauche, le mouvement Unité populaire (UP). Alors que Zoe Konstantopoulou se présentait sur cette liste et que le tonitruant ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis a appelé à voter pour deux de ses candidats, UP ne franchit pas la barre des 3% nécessaires pour entrer au Parlement. Alors qu’ils voulaient incarner le « peuple qui dit non », celui qui « s’oppose » au « totalitarisme économique », comme l’explique Zoe Konstantopoulou, ils n’ont pas capitalisé sur les résultats du référendum. Le 5 juillet 2015, ils étaient 61,31% à dire « non » aux mesures proposées par les créanciers. Le 13 juillet, Alexis Tsipras signait un nouveau mémorandum pour éviter à son pays un défaut de payement. Les opposants à la ligne gouvernementale avaient fini par quitter les rangs du parti après la démission de Tsipras le 20 août. Certains – comme Panayotis Lafazanis, leur chef de file – prêts à prôner la sortie de l’euro, d’autres – comme Zoe Konstantopoulou – décidés à faire respecter la démocratie avant tout. Leur discours n’aura pas séduit.
« Comme pour le référendum, il y a plusieurs lectures possibles de ce résultat », explique Olga Athaniti. « La société a une vision différente de celle de certains membres du parti, leur drame n’est pas celui que vit la société », analyse cette représentante de Syriza au PGE. Une société qui a compris que « la politique peut alléger les politiques du mémorandum même dans cette période affreuse pour les forces populaires ».
Une chanson de Manu Chao résonne dans les haut-parleurs. Panayotis Lafazanis et Zoe Konstantopoulou apparaissent à l’écran. Ils sont hués. « La bonne nouvelle, c’est qu’on s’est débarrassé de ces insatisfaits permanents », tempête une voix dans l’assemblée. Qui relayera, désormais, la contestation ? Ce rôle ne peut être celui de Nouvelle démocratie, parti de droite qui se stabilise (28%). Ni celui des néo-nazis d’Aube dorée, qui restent la troisième force d’opposition avec 7% des voix et dix-huit sièges. À gauche, il reste le très dogmatique parti communiste grec (KKE) qui augmente légèrement sa part, avec 5,54% des voix et quinze sièges. UP n’est pas rentré au Parlement. À l’heure où de nouvelles mesures d’austérité (baisse de certaines retraites, hausses de TVA…) doivent être appliquées, Olga Athaniti dit son « espoir de nous retrouver dans la rue, dans les mouvements sociaux ». Car les lendemains qui arrivent ne seront pas forcément des lendemains qui chantent. Le 20 septembre, à deux heures du matin, plus personne ne faisait d’ailleurs la fête au stand de Syriza.
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