Accueil des migrants : un fardeau économique, vraiment ?

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Études économiques et précédents historiques montrent que l’arrivée de nombreux migrants n’a pas d’effets négatifs sur le marché du travail ni sur les finances publiques du pays d’accueil. Mais qu’elle est affaire de solidarité et de juste répartition des richesses.

L’immigration serait-elle le domaine par excellence dans lequel imaginaire et préjugés l’emporteraient systématiquement sur la raison ? Depuis quarante ans, le débat public est chargé d’idées reçues qui ont fini par structurer sa perception et imprimer leur marque aux politiques publiques. L’irruption du FN n’y est pas pour rien. Le parti fondé en 1972 construit très tôt l’image d’une immigration comme « problème », insistant sur le lien entre crise sociale naissante et présence d’étrangers sur le sol national. Le slogan massue du FN de François Duprat et Jean-Marie Le Pen, « un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop », n’a pas fini d’irradier la société française.

Depuis, l’argumentaire a gagné en audience. Sa logique reste inchangée : la crise économique limiterait la capacité d’accueil du pays. Les nouveaux arrivants viendraient nécessairement grossir les rangs des bénéficiaires de la protection sociale, occuper des emplois, aggravant les déséquilibres. Il faudrait restreindre l’immigration, si ce n’est fermer les frontières. La figure de l’étranger qui se dessine à travers ce discours n’apporte rien à son pays d’accueil ; elle « profite », « prend », « reçoit ». En pleine crise des réfugiés, cette représentation pèse de tout son poids. L’hypothèse du coût « insoutenable » de l’immigration n’est pourtant validée par aucune étude sérieuse.

Pas de lien entre immigration et chômage

La France compte 5,4 millions de chômeurs, sans emploi ou en activité réduite[[Demandeurs d’emploi des catégories A, B et C.]]. Comment accueillir un grand nombre de migrants sans aggraver la situation ? En réponse au printemps à la proposition des quotas, Nicolas Sarkozy résumait l’idée : « La solidarité pour répartir des dizaines de milliers de migrants pour lesquels nous n’avons pas d’emplois en Europe, c’est une folie. » Et pourtant. « Aux antipodes de cette perception, les économistes aboutissent, fait rare pour être signalé, à un relatif consensus sur une absence d’effets marqués de l’immigration sur le marché du travail, aussi bien sur le taux de chômage que sur les salaires », soulignent Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, professeurs à l’université de Lille et de Nanterre, membres du Centre d’études prospectives et d’information internationale (CEPII)[[Lire Chojnicki X., Ragot L., On entend dire que… L’immigration coûte cher à la France, éditions Eyrolles et Les Échos, Paris, 2012, 128 p.]].

Pour aboutir à cette conclusion, les deux chercheurs ont épluché une littérature européenne et nord-américaine abondante, qui s’est attachée à étudier les conséquence de « chocs » migratoires sur les sociétés d’accueil. L’arrivée en Floride de 125.000 Cubains en 1980, de 910.000 rapatriés d’Algérie en 1962, ou de 610.000 migrants russes en Israël en 1990-91, n’ont entraîné d’augmentation significative du chômage dans aucun des pays d’accueil. Ces résultats, surprenants de prime abord, tant nos esprits sont imprégnés des poncifs anti-migratoires, s’expliquent en fait aisément : L’immigration, précisent les universitaires, « ne se traduit pas par un partage du travail entre autochtones et immigrés, comme on partagerait un gâteau en parts d’autant plus petites que le nombre de convives est grand ».

Dynamisation de l’économie, solde positif pour les finances publiques

En fait, l’arrivée d’une nouvelle population sur un territoire ne se traduit pas seulement par un accroissement de la demande d’emplois. Elle augmente en même temps celle des biens et services, dynamise l’activité. « Les migrants créeraient en quelque sorte leur propre emploi », résument Xavier Chojnicki et Lionel Ragot. Et d’enfoncer le clou : « Cet effet positif a été analysé dans une étude récente des Nations unies sur la base de 74 pays (dont la France) sur la période 1980 à 2005. Il en découle qu’une hausse de 1% de la population active provenant de l’immigration augmente le PIB également de 1%. Ainsi, l’immigration peut être perçue comme un simple changement d’échelle de l’économie d’accueil ».

Autre idée reçue : le poids supposé des migrants sur les finances publiques, en particulier sur la protection sociale. Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen évoquait une perte de 70 milliards d’euros pour le contribuable. Ici encore, les travaux de Xavier Chojnicki et Lionel Ragot infirment cette hypothèse. Malgré une surreprésentation des étrangers dans les différentes branches de protection sociale, liée à des caractéristiques socio-économiques, les universitaires aboutissent à une conclusion sans équivoque : non seulement la contribution des étrangers aux finances publiques – à travers le paiement des impôts, taxes et cotisations – est sensiblement supérieure aux prestations perçues, mais une fermeture des frontières aboutirait à une régression de la population totale d’environ 10 % à l’horizon 2050, ainsi qu’à un recul significatif du PIB.

« L’Europe aurait largement les moyens d’accueillir davantage de réfugiés »

Les travaux des économistes contredisent donc frontalement l’argumentaire comptable des promoteurs d’une politique d’immigration restrictive. Pour quelle raison une croissance démographique par la natalité serait-elle perçue de manière positive, voire comme un signe de puissance nationale, tandis que l’immigration serait affublée de tous les maux ? Dans les deux cas, c’est bien le sort réservé aux nouveaux venus par leur société d’accueil, à travers un régime et des politiques de répartition des richesses plus ou moins justes, qui déterminera la qualité de leurs conditions d’existence, et leurs possibilités effectives de participation à la société.

« L’Europe, qui détient le quart des richesses mondiales, aurait largement les moyens matériels d’accueillir davantage de réfugiés, confirme Thibault Gajdos, directeur de recherche au CNRS. Elle ne le fait pas pour des raisons politiques. Les dirigeants européens sont, en effet, convaincus que les citoyens ne l’accepteront pas. C’est en grande partie de leur faute. » « L’ouverture de l’Europe aux réfugiés implique à court terme un changement de doctrine et de politique économique, estime le philosophe Étienne Balibar. On veut répartir une charge commune entre des pays que les politiques d’austérité et de concurrence « non faussée » ont poussés vers l’inégalité. Il faut inverser la tendance néolibérale, augmenter le budget de l’UE de façon significative (…), promouvoir la solidarité entre les États et construire en commun une nouvelle société. » Reste à savoir si les gouvernements de l’UE auront la volonté d’engager une telle mutation.

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