La Grèce, l’Europe et nous : il y a des batailles que l’on mène et que l’on perd

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Alexis Tsipras peut-il gagner son pari de redresser la Grèce dans les cadres actuels ? Bernard Marx en doute mais retient la piste proposée par Yanis Varoufakis d’un mouvement européen pour la démocratisation de l’Euro.

Alexis Tsipras a raison d’affirmer « les batailles perdues sont celles pour lesquelles on ne s’est jamais battu ». Et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le premier ministre de la Grèce semble continuer de bénéficier d’un large soutien populaire – au contraire de François Hollande qui, lui président, n’a pas livré bataille pour une modification des traités européens.

Il n’empêche. Il y a des batailles que l’on mène et que l’on perd, soit parce qu’on les mène mal, soit parce que l’adversaire est plus fort. Celle que le gouvernement grec a menée six mois durant relève surtout de cette seconde catégorie. Le mandat sur lequel il avait été élu était de sortir de l’austérité en restant dans l’euro et d’obtenir un accord viable et raisonnable avec les institutions européennes qui tiennent compte de l’échec patent des deux mémorandums imposés par celles-ci depuis 2010.

Le troisième mémorandum que le gouvernement grec a dû signer le 12 juillet ne correspond pas à ces objectifs. L’austérité est renforcée, la mise sous tutelle de l’État grec par des institutions européennes est telle que l’économiste Daniel Cohen, qui est tout sauf un révolutionnaire, l’a qualifiée de « jamais vue depuis la fin des empires coloniaux ».

Alexis Tsipras fait valoir que la bataille n’a pas été inutile et qu’il a arraché des concessions, y compris grâce à l’appui donné par les Grecs lors du référendum du 5 Août. Il insiste notamment sur le fait d’avoir obtenu « un accord sur trois ans avec un financement sécurisé et non par une simple prolongation de cinq mois du mémorandum précédent et par l’application intégrale des engagements pris par le gouvernement précédent », et sur le fait que « la négociation sur la dépréciation de la dette grecque, qui constitue peut-être l’aspect le plus crucial de la résolution du problème grec, est inscrite pour la première fois de façon explicite et sans équivoque ». Il pense que l’accord va entraîner une stabilisation de l’économie : « L’économie va recevoir un coup de pouce. Le marché va se normaliser. Les banques reviendront bientôt à une activité régulière. » Il espère une sortie progressive des difficultés.

Le programme de Syriza

Tsipras appelle donc les électeurs à soutenir Syriza pour poursuivre le combat dans le cadre de ce troisième mémorandum que la Grèce « a été obligée de signer ». Et il désigne quatre champs de batailles : celui de l’interprétation et la mise en œuvre des dispositions du mémorandum pour en minimiser les conséquences négatives ; celui de la restructuration de la dette dont la négociation doit intervenir en novembre et que la plupart des gouvernements des pays de la zone euro veulent réduire au minimum et sans aucune annulation de dette – alors que le FMI exige qu’elle soit significative pour participer au financement du nouveau plan de crédit de 86 milliards d’euros.

Un troisième champ concerne plus globalement la bataille contre l’austérité au niveau de la zone euro et de l’Europe. Enfin le quatrième enjeu est celui des bonnes réformes nationales pour lesquelles nous avons, dit-il, beaucoup à faire « contre la collusion et la corruption », contre l’évasion fiscale, pour un système fiscal équitable et stable, et « mère de toutes les batailles, pour que l’État devienne plus efficace ».

Le programme d’Alexis Tsipras et de Syriza n’est donc pas un programme de soumission et de renoncement. Il minimise cependant les difficultés prévisibles. Le nouveau programme d’austérité appliqué en situation récessive aura des effets dépressifs. La stabilisation économique puis la reprise espérée ont toutes chances de ne pas avoir lieu. Les prévisions associées au mémorandum sont que la récession serait de 2,1 à 2,3% en 2015 avec une stabilisation en 2016 et une reprise progressive de la croissance. Cela conduirait à une aggravation du poids de la dette déjà insoutenable qui dépasserait les 200% en 2015/2016 sauf restructuration véritable. Mais c’est beaucoup trop optimiste, comme l’ont été toutes les prévisions associées aux précédents mémorandums, minimisant le choc de l’austérité (voir le graphique ci-dessous)

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source : Paul Krugman, « Breaking Greece »

Les 86 milliards de nouvelles dettes (ce qu’on appelle des aides) serviront essentiellement à rembourser les anciennes dettes notamment vis-à-vis de la BCE, ce qui correspond de facto à un simple transfert de dette vers la Mécanisme européen de stabilité (MES) financé par les États membres. Une autre partie de ces 86 milliards (sans doute de l’ordre de 15 à 20 milliards d’euros) servira à recapitaliser les banques grecques après leur étranglement organisé, mais sans que cela garantisse leur capacité à faire repartir le financement de l’économie grecque. Et il n’y aura pratiquement rien pour financer la modernisation de l’État grec et le redémarrage de l’économie. Il ne faut pas compter pour cela sur les privatisations même si le gouvernement grec arrive à empêcher qu’elles soient des pures prédations. Les bonnes « réformes » de l’État grec et de fiscalité contre l’oligarchie financière ne seront pas facilitées.

Pour faire évoluer les choses de façon plus favorable, le gouvernement et le peuple grec vont devoir se battre « avec le courage du désespoir », comme le dit le philosophe Sloveg Zizek. Mais ont-ils un autre choix possible ? Face aux énormes difficultés prévisibles, il est légitime que certains, au sein de la gauche grecque, préconisent des voies alternatives. Les électeurs grecs vont trancher, du moins sur certaines d’entre elles, car les différentes alternatives ne seront sans doute pas toutes représentées. Bien entendu, le débat ne reste pas gréco-grec, puisqu’il concerne les leçons à tirer pour les grecs, pour les progressistes français et européens.

Plans B

Personnellement, je ne crois pas que « le plan B » pour la Grèce préconisé par Yanis Varoufakis consistant à rejeter le mémorandum tout en restant dans l’euro soit possible. Et je ne crois pas que la sortie de la Grèce de l’euro préconisée par Unité populaire, le nouveau parti issu de la plateforme de gauche de Syriza, soit souhaitable. Je suis par contre très intéressé par la proposition exprimée par Yanis Varoufakis d’un mouvement européen dont l’objectif explicite soit la démocratisation de l’euro. Elle est intéressante parce qu’il s’agit d’un plan B pour toute l’Europe et pour tous les Européens. Mais sous réserve de clarifications, elle est très différente du plan B mis en avant par Jean-Luc Mélenchon centré sur « l’indépendantisme » et, me semble-t-il, de plus en plus tourné vers la sortie et l’explosion de l’euro, à laquelle je n’adhère pas.

Si la sortie de l’euro est un levier possible pour une politique de redressement économique et social, s’il peut être une base possible pour une refondation positive de l’Union des peuples européens, et non pas comme je le crains la porte ouverte aux affrontements nationalistes européens, pourquoi ne pas le proposer directement et pas comme une menace ?

« Le printemps d’Athènes, dit Yanis Varoufakis, a été écrasé comme le printemps de Prague l’a été avant lui. Bien sûr il n’a pas été écrasé par les chars. Il l’a été en utilisant les banques. » Je partage cette appréciation (lire aussi « La normalisation de la Grèce » par Jean-François Bayart. Mais, personnellement, je ne pense pas que le plan B de Yanis Varoufakis – émission de monnaie complémentaire, prise de contrôle de la Banque centrale par l’Etat grec, défaut partiel sur la dette – propose des armes suffisantes pour s’opposer victorieusement à ce coup d’État européen. Il n’aurait pas manqué de se poursuivre, jusqu’à paralyser tous les échanges extérieurs de la Grèce et pas seulement les mouvements de capitaux. L’économiste James Galbraith, proche de Yanis Varoufakis, qui a participé par ailleurs au groupe de travail mis en place en Grèce pour établir un plan d’urgence en cas de sortie provoquée de l’euro, considère lui-même que la seule alternative à la signature de l’accord du 12 juillet était pour le gouvernement grec de sortir de l’euro, option dont il reconnaît qu’Alexis Tsipras ne pouvait l’adopter, puisqu’il n’en avait pas reçu le mandat populaire.

Cette alternative de la sortie de l’euro est défendue par le nouveau parti Unité populaire. Les électeurs grecs diront dans quelques jours s’ils la jugent préférable au maintien de la Grèce dans l’euro dans le cadre du troisième mémorandum. Il s’agira là d’une clarification politique essentielle.

Grexit de gauche ?

Pour ma part, je pense qu’il est tout à fait illusoire de croire que la sortie de l’euro pourra permettre à la Grèce de sortir de l’austérité et de mettre en œuvre le programme de redressement social de l’Unité populaire. Ce qu’a dit Alexis Tsipras pour justifier sa signature de « l’accord du 12 juillet » n’est pas la mauvaise justification d’un renoncement ou d’une trahison, c’est une vision réaliste des choses : « Si je faisais ce que me dictait mon cœur – me lever, taper du poing et partir – le jour même, les succursales des banques grecques à l’étranger allaient s’effondrer, nous parlons là d’actifs valant 7 milliards d’euros, plus de 405 établissements, environ 40.000 emplois. En quarante-huit heures, les liquidités qui permettaient le retrait de 60 euros par jour se seraient asséchées et pire, la BCE aurait décidé d’une décote des collatéraux des banques grecques, voire auraient exigé des remboursements qui auraient conduit à l’effondrement de l’ensemble des banques. Il n’était pas donc pas question de décote, seulement. C’était bien la menace d’effondrement. Or un effondrement se serait traduit non pas par une décote des épargnes mais par leur disparition. »

Ce qui était en juillet le restera en octobre. Je rejoins en l’occurrence l’analyse des économistes communistes de la revue Économie et Politique : « Un « Grexit » signifierait une dévaluation estimée au minimum à 40% et donc une perte de pouvoir d’achat de 40% et une augmentation du coût de la dette de 40%. Elle n’apporterait aucun gain de compétitivité dans un pays où les salaires ont déjà baissé de 25% et où l’appareil productif n’est pas capable de répondre à un surcroît de demande. En revanche, cela aurait pour effet immédiat une hausse des prix importés, donc plus d’austérité salariale, une dette privée plus chère, des difficultés accrues pour financer les investissements et, finalement, une soumission encore plus forte à la finance. Avec Aube dorée au bout du processus. »

Un nouveau mouvement européen

Le débat a légitiment franchi les frontières grecques puisqu’il s’agit de tirer les leçons non seulement pour la Grèce, mais pour le combat contre les politiques d’austérité et de réformes antisociales dans les autres pays et dans l’euro zone. Le nouveau « plan B » de Yanis Varoufakis tel qu’il l’a exposé ce dimanche à Frangy me semble constituer une base à même de rassembler toute la gauche parce qu’il veut démocratiser l’euro et non pas en sortir, et parce qu’il veut créer pour cela un nouveau mouvement européen.

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