ΌΧΙ

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À la vieille du référendum grec de dimanche, chacun retient son souffle. Jusqu’au bout, Alexis Tsipras se sera battu pour que les Grecs en fassent un levier pour obtenir un accord viable, et non un référendum sur l’appartenance de la Grèce à l’euro.

Alexis Tsipras a formulé, le 30 juin, au nom du gouvernement grec, de nouvelles et importantes propositions adressées aux dirigeants de la Troïka (BCE, Commission, FMI). Face à ces propositions, le front du refus des dirigeants européens s’est un peu fissuré. Les dirigeants allemands et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem ont rejeté leur discussion, disant attendre l’après referendum pour envisager une éventuelle réouverture de négociations. François Hollande a affiché une position inverse : « Il faut être clair : l’accord, c’est tout de suite, il ne peut pas être différé, il faut qu’il vienne. »

Le sens du référendum

Dans l’immédiat, la position allemande l’a, une fois de plus, emporté. Les négociations sont à nouveau interrompues. Alexis Tsipras a donc maintenu le référendum du 4 juillet. Il espère cependant que ces derniers évènements rendront sa signification et sa portée plus claires: les Grecs ne devraient pas se prononcer « pour ou contre l’euro » ou « pour ou contre rester dans l’Europe ». Mais pour ou contre l’humiliation et le déni de démocratie que les Institutions européennes lui font subir, pour accepter le dictat de la Troïka, ou pour donner plus de force au gouvernement grec afin qu’il arrache un accord acceptable. La ténacité, la qualité des initiatives politiques de ce gouvernement, leur contenu pro-européen constamment réaffirmé, commencent à faire apparaitre quelques désaccords entre dirigeants européens. Les Grecs pourront y trouver des motifs supplémentaires de voter OXI, malgré les gigantesques difficultés quotidiennes maintenues ou aggravées depuis six mois, malgré la peur de l’inconnu et le climat de panique financière distillé par les décisions de la Troïka.

Ce qui se déroule, ici et maintenant, en Grèce et en Europe a une énorme portée. Les réponses qui seront finalement apportées à la crise grecque seront cruciales pour tous ceux qui se battent pour qu’une autre politique devienne possible en Europe. Les désaccords qui commencent à se manifester ne disent pas que cela va être facile, mais que des points peuvent être marqués et qu’une dynamique est possible.

Les nouvelles propositions du gouvernement grec font, une fois de plus, la démonstration que les propositions de la Troïka sont insoutenables. Elles ne peuvent pas résoudre la crise grecque et continue de s’inscrire dans le véritable coup d’État financier mené contre le gouvernement grec afin de faire barrage à tous les changements de gouvernement de même type, en Espagne ou ailleurs.

Une solution viable pour la Grèce doit comprendre trois volets : un programme pour le budget grec qui n’accroisse pas la dépression économique et qui ne consiste pas à condamner la Grèce à dégager des décennies durant un excédent prélevé sur les salaires et les retraites pour payer les créanciers ; une restructuration de la dette de toute évidence insoutenable (même le FMI vient de nouveau de le reconnaître) ; et un plan de rétablissement et de développement de l’économie grecque totalement déséquilibrée par l’oligarchie économico-politique qui la domine depuis des décennies, puis anéantie par la politique super-austéritaire subie depuis cinq ans, sans que rien n’ait été changé de ses structures.

Au lieu de quoi, les négociations avec le gouvernement Tsipras ont été conduites par les institutions européennes et les dirigeants des États européens sous la pression d’un étranglement financier progressif de la Grèce. Depuis août 2014, dans l’attente d’un accord, la Grèce doit payer ses créanciers sans avoir reçu un euro d’aide, et la BCE a restreint ses apports monétaires. Et au bout de cinq mois, l’accord « À prendre ou à laisser », selon la formule du président de l’Eurogroupe, ne concerne que le volet budget. C’est le même cadre et la même politique qu’en 2010 et il ne peut que conduire aux mêmes résultats catastrophiques. À peu près tous les économistes un tant soit peu censés l’admettent en silence ou le disent publiquement. « Aucun économiste sérieux ne peut avaliser ce plan mal fichu et très déraisonnable », a ainsi déclaré l’économiste Patrick Artus, peu suspect de sympathie avec les économistes de Syriza.

C’est économiquement et socialement inepte, comme le dit lui-même l’ancien directeur du FMI, qui appelle à tenir compte des échecs passés. Ce serait effectivement la moindre des exigences s’il s’agissait d’essayer de trouver des solutions et non pas de mener une politique de la force avec l’objectif de faire tomber le gouvernement choisi par le peuple grec. Pour faire bonne mesure, la Troïka a donc ajouté une dimension politiquement odieuse en s’ingérant dans le choix des mesures ayant un même impact budgétaire, refusant, par exemple, une hausse des impôts sur les profits des grandes entreprises et exigeant des hausses de TVA et des baisses de retraites.

Dans leur offre, histoire de la rendre plus présentable, les créanciers ont affiché le versement de 15,5 milliards d’euros d’ici novembre, avec à chaque étape des conditions précises à remplir du coté grec. Mais il n’y a en réalité aucun apport financier supplémentaire à ce qui était prévu dans les plans précédents. L’argent ne servira qu’à payer les échéances d’ici la fin de l’année. Il n’y a pas d’argent frais pour la Grèce. Aucun rééchelonnement ultérieur n’est prévu alors que 14 milliards d’euros figurent au calendrier des remboursements pour 2016. C’est le régime de la négociation et de l’étranglement perpétuels qui se poursuivrait.

De façon très raisonnable, et même peut être de façon trop modeste, les dernières propositions du gouvernement Tsipras visent à trouver un accord autour d’une solution viable, c’est-à-dire comprenant des propositions sur la restructuration de la dette et pour la reprise. À cette condition, « nous sommes prêts à accepter des mesures difficiles », a réaffirmé le ministre des Finances grec Yanis Varoukakis. Ces propositions visent en fait à obtenir le temps (deux ans) permettant au gouvernement de travailler enfin à l’application de son programme économique de réformes pour relancer l’économie.

Pourquoi ces fissures ?

L’alternative n’est pas que l’on ira ou non à une sortie de la Grèce de l’euro selon que les Grecs voteront oui ou non, mais selon que les Grecs arriveront ou non à arracher un accord viable. C’est le rejet des propositions telles qu’Alexis Tsipras les a formulées le 30 juin qui y conduira. Le refus opposé par le gouvernement allemand, par le président de l’Eurogroupe et par le FMI, d’aller vite à un accord sur cette base, indique clairement qu’ils veulent aller à un Grexit.

Placés devant cette évidence qui pourtant de date pas d’aujourd’hui, François Hollande et les dirigeants socialistes français qui nous gouvernent semblent donc commencer à s’en inquiéter. Il y a de quoi, et il y aurait de quoi en faire la base d’une action durable et déterminée. Mais on peut craindre, au vu de l’expérience des années écoulées, et déjà de premières reculades, une simple manœuvre pour essayer d’échapper à ses responsabilités, tout en laissant les choses se faire.

Bien entendu, les dirigeants politiques n’ont pas le pouvoir de décider une sortie de la Grèce de l’euro si celle-ci ne le décide pas elle-même. Mais la BCE, elle, pourra le faire en coupant les crédits et les liquidités à la Grèce, provoquant la faillite bancaire et l’asphyxie totale de la circulation des euros en Grèce. Et même, a dit le ministre Schäuble, elle devra le faire, face au défaut de paiement de la Grèce sur sa dette qui sera dument enregistré, si rien ne se passe d’ici le 20 juillet.

Les cadavres d’un Grexit

Quant aux raisons qu’auraient les dirigeants socialistes français de s’en inquiéter, elles sont multiples. L’euro ne serait plus une monnaie irrévocable. Même pas peur que cela déclenche une crise financière, ont cependant dit les dirigeants français comme les autres dirigeants européens.

Les pare-feux ont été mis ; la dette grecque est détenue par des autorités publiques ; les pertes ne seront pas pour les financiers privés et il n’y a pas de risque de diffusion par les dérivés et la spéculation. À voir. Personne en réalité ne le sait exactement. Mais de toute façon, comme vient de le dire, le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, « l’un des plus gros risques, c’est que les observateurs, et surtout les investisseurs internationaux, ne regardent plus l’Europe de la même façon, ne considèrent plus la zone euro comme une zone stable, parce que celle-ci aurait été incapable de régler le problème d’un pays qui représente à peine 2 % de son PIB ». L’enjeu, ici, c’est la remontée des taux d’intérêt sur la dette des pays le plus fragiles (Italie, Espagne, Portugal…) et au contraire un nouvel afflux de capitaux sur les pays jugés les moins risqués, l’Allemagne au premier rang, avec pour elle le bénéfice de nouvelles baisses de taux d’intérêt.

Dans le climat d’incertitude ainsi créé, le risque est grand de devoir dire adieu aux germes de reprise économique si faiblement semés, mais sur lesquels compte tant les dirigeants socialistes français pour enfin « inverser la courbe » du chômage. Pour éviter que les différentiels d’intérêt se creusent entre les pays de l’euro et pour rassurer les sacro-saints marchés, la BCE interviendra certainement en rachetant la dette de ces pays à tour de bras, ce qui a terme aura pour effet d’amplifier la bulle obligataire jusqu’à son éclatement dans une nouvelle crise financière de grande ampleur.

Mais ce qui inquiète peut être le plus François Hollande et ses collègues socialistes français – en tout cas ce qui devrait le plus les inquiéter –, c’est que l’euro s’identifiera plus que jamais totalement à l’austérité, à la déréglementation sociale et économique et à la mainmise d’institutions européennes absolument non démocratiques pour en définir le contenu. On se rappelle qu’en avril 2015, le ministre Schäuble, avait provoqué des protestations timides de Michel Sapin lorsqu’il avait déclaré que la France « serait contente que quelqu’un force le Parlement » pour réformer le pays. Le Grexit confirmerait que c’est pourtant cela la règle au sein de l’euro, et sans contestation possible. En avril, le ministre allemand a clairement mis la France sur sa short-list.

Bref, si le Grexit se fait, François Hollande peut dire dès maintenant adieu à 2017. Et avec lui, les socialistes confirmeront aussi leur naufrage. On pourra vérifier rapidement, dès le lendemain du référendum grec de quelle consistance est faite l’attitude française.

On peut en tout cas mesurer que si l’éventualité d’un succès du coup d’État financier contre Alexis Tsipras et contre les Grecs (plan de la Troïka ou Grexit) réjouit vivement Nicolas Sarkozy et quelques-uns de ses épigones comme le journaliste de propagande Arnaud Leparmentier, elle mobilise contre elle largement, au-delà même de certains clivages.

Mais l’avenir n’est pas encore écrit.

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