Voir aussi
Dasté successeur Benoin Le théâtre public est en crise, c’est connu. Moins que certains le disent. Autant que l’est la société française. Jean Vilar disait: » Faites une bonne société, je vous ferai du bon théâtre « . Ce n’était pas se défausser. La place et le rôle du théâtre sont en débat. Vérification par le cinquantenaire de la Comédie de Saint-Etienne.
Les gens de théâtre sont en colère et ils le disent. Dans une lettre adressée à Catherine Trautmann, le SYNDEAC, qui regroupe l’essentiel des théâtres du secteur subventionné, écrit: » Nul ne doit être dupe ! Il ne s’agit que de la pratique de vos prédécesseurs immédiats, à savoir les expédients d’une gestion pragmatique de la pénurie « . Réduction du budget, redéploiement des crédits, conséquences des déconcentrations en régions et absence d’une véritable politique culturelle, tels sont les griefs de la profession, et cela après cinq exercices de réduction budgétaire et l’apparition de nombreux dysfonctionnements dans l’institution. Depuis le Festival d’Avignon 97, colloques, débats et tables rondes se multiplient pour repenser le statut et le fonctionnement des institutions théâtrales afin qu’elles puissent répondre aux défis du temps. En novembre 1997, une coordination nationale des metteurs en scène organise un colloque à Brest: » Pour une refondation du théâtre public « . Quand Jacques Blanc, directeur du théâtre du Quartz, puissance invitante, déclare: » Les référents du temps Vilar/Malraux ne sont plus opérationnels. On n’a pas fini de faire le travail de deuil. Il nous faut l’achever et nous construire une autre histoire « , il fut loin de faire l’unanimité. Les 16 et 17 décembre 1997, à l’occasion du 50e anniversaire de la création du Centre dramatique de Saint-Etienne, une table ronde réunissait à la Comédie de Saint-Etienne quelques acteurs ou garants d’un véritable service public (Robert Abirached, Daniel Benoin, Hubert Gignoux). Il s’agissait de définir, là où Jean Dasté avait donné ses lettres de noblesse au théâtre public, quelques pistes pour un nouveau manifeste et de s’interroger sur le sens et la forme à donner à la nécessaire évolution de sa mission. On était ainsi invité à mettre en perspective la situation d’aujourd’hui, ses questions, ses inquiétudes, et de revenir sur la formidable histoire du théâtre populaire et de la décentralisation qui marque profondément le théâtre français et ses structures.
Un après-guerre marqué par la grande aventure de la décentralisation
Tout commence dans les dernières années du XXe siècle en marge de l’affirmation et de la montée de la classe ouvrière, du syndicalisme, des premiers combats du socialisme. Dès 1895, dans le sillage des expériences artistiques et parisiennes d’Antoine et de Lugné Poë, Maurice Pottecher crée à Bussang le théâtre du Peuple, en complicité avec Romain Rolland, le premier théoricien du théâtre populaire. Dès avant la guerre de 14, Firmin Gémier emmène son théâtre ambulant sur les routes de France et c’est en 1920 que le premier Théâtre national populaire est créé à Chaillot. Dans les années 20, Jacques Copeau mène en Bourgogne l’expérience des » copiaus « , considérée comme la source éthique et esthétique de la décentralisation théâtrale après la Libération: austérité, rigueur, vie quasi monacale de la troupe, esthétique du » tréteau nu « , jeu stylisé de l’acteur. Cette activité des » copiaus « , produisit une pépinière d’artistes qui créèrent des » Compagnies » tournant sur les routes de France. Leurs activités furent encouragées par le Front Populaire, mais, jusqu’alors, aucune subvention d’Etat ne les aidait. On connaît les ambiguïtés de la récupération que fit, du moins dans ses débuts, le régime de Vichy, de toutes ces activités théâtrales en province, comme il le fit du travail du Cartel à Paris, au nom d’un refus de la décadence, et de l’esprit de jouissance, qui expliquaient, selon Pétain, la défaite. A la sortie de la guerre, et pour certains d’entre eux, après être passé par la Résistance, des hommes comme Jean Vilar, Hubert Gignoux, ou Jean Dasté étaient prêts pour la grande aventure de la décentralisation. Celle-ci put avoir lieu grâce à la rencontre de ces artistes avec une grande dame de la direction des Arts et des Lettres, Jeanne Laurent, et au désir de nombreux maires de villes de province souhaitant renouer avec la vie théâtrale. C’est ainsi qu’en 1947, Jean Dasté signe avec Jeanne Laurent à la mairie de Saint-Etienne un contrat qui faisait de la Comédie un Centre dramatique (1). Il s’installe avec sa troupe dans le grenier de l’Ecole des Mines, loue pour chaque spectacle qu’il monte, quelques soirées, le théâtre de l’Eden, et parcourt toute la région de Saint- Chamont à Clermont-Ferrand et toutes les petites villes de la Haute-Loire. La recherche d’un nouveau public est sa préoccupation essentielle. En 1947, Saint-Etienne est une ville industrielle: peu de bourgeois, peu d’intellectuels, beaucoup d’ouvriers. Jean Dasté se place d’emblée dans une perspective de démocratisation du théâtre; nécessité d’ailleurs inhérente à la survie de la troupe, la subvention ne couvrant que la moitié du budget. Il met en place un réseau d’amis et de bénévoles, s’appuie sur les bonnes volontés locales, fixe à un niveau bas le prix des places, va parler aux gens avec les comédiens, joue sur les places publiques des quartiers populaires.
L’après-68: mise en question du sens de la représentation
Par tous les moyens, il crée des habitudes de théâtre, suscite une demande, se bat contre les barrières psychologiques, pratique une pédagogie des spectacles, commençant par monter des oeuvres comiques faciles, faisant entrer petit à petit à son répertoire de grandes oeuvres classiques (Cervantès, Molière) puis des oeuvres contemporaines (Brecht). Il pratique un théâtre poétique, jamais naturaliste, humaniste plus que politique, où les valeurs de justice, de paix et de fraternité dominent. Des valeurs qui trouvent un large écho après cinq ans de guerre. Sans aucun doute, la qualité de la présence et du rayonnement de la Comédie de Saint-Etienne passe par ces rapports profonds passés avec le public. En 1947, il y eut 700 abonnés, en 1948, 2500, en 1949, 5500, et 8000 en 1950. La progression est parlante.
Jean Dasté quitta la direction de la Comédie en 1971, à cause de l’institutionnalisation et de l’alourdissement du Centre dramatique, mais aussi parce qu’à la perspective humaniste des années d’après guerre, succédait, après 1968, une période où l’idéologie, la mise en question du sens et de la représentation deviennent les principales préoccupations du théâtre. Après une direction par Pierre Vial qui connut des démêlés avec le ministère des Affaires culturelles et le maire, le ministre Michel Guy nomma une direction bicéphale: Guy Lauzin et Daniel Benoin qui, dès la fin de 1978, assuma seul la direction de la Comédie..
Dasté successeur Benoin
Directeur depuis vingt ans de la Comédie de Saint-Etienne, Daniel Benoin analyse continuité et ruptures pendant ces années.
En vingt, ans, qu’est-ce qui a changé ?
Daniel Benoin: Il y a 20 ans, il y avait une dizaine de spectacles par an dont deux créations. Aujourd’hui, 40 spectacles dont 7 créations. Il y avait 150 représentations; il y en a aujourd’hui 350. Quand je suis arrivé, on pouvait compter sur 5 800 spectateurs. Aujourd’hui, il y en a 13 000. Nous continuons à mener une vraie politique de recherche et de fidélisation du public. Mais il s’est, en 20 ans, considérablement transformé. C’était un public lié à des idées de progrès; qui pensait que demain serait mieux qu’aujourd’hui. Ils ont tendance aujourd’hui à penser que demain sera pire et qu’on ne peut rien y faire. Globalement, c’est un public plus conservateur, notamment sur les formes théâtrales. Il prend moins de risques. Je suis convaincu que si le théâtre ne redonne pas des valeurs d’espoir, on ne le retrouvera pas.
Vous sentez-vous l’héritier des pionniers ?
D. B.: J’ai une profonde admiration pour Jean Dasté. Aujourd’hui, j’ai compris bien des choses que je n’avais pas comprises au début. Quand je suis arrivé, je pensais que le metteur en scène était le centre du théâtre. Je suis sûr aujourd’hui que seule la communauté des hommes occupe cette place. Cela, Jean l’avait immédiatement compris. Etre un pionnier au sortir de la guerre, voir le visage ébahi de gens qui découvrent pour la première fois le théâtre, cela devait donner une énergie formidable. J’ai compris qu’il s’agissait d’un théâtre au milieu de la cité. Les gens qui y travaillaient à mon arrivée étaient là du temps de Jean. Ils m’ont transmis une histoire et cela m’a fait bouger. Aujourd’hui, répéter cette histoire est impossible. Je ne me sens pas vraiment un » héritier « . Plutôt un » successeur « .n
Propos recueillis par Sylviane Bernard-Gresh
1. La Comédie de Saint-Etienne est le deuxième Centre dramatique créé après la guerre; le premier, le Centre dramatique de l’Est, d’abord installé à Colmar, fut inauguré en janvier 1947.
Laisser un commentaire