Souvent sans les connaître nous nous promenons dans les oeuvres d’Alexandre Chemetoff et Gilles Clément, ces importants paysagistes. Plusieurs ouvrages nous placent au coeur de leurs préoccupations.
Par quel nuage commmencer la peinture d’un ciel ? Qu’il s’agisse des jardins de l’Abbaye de Valloires dans la Somme (sa première véritable commande publique, en 1986), du parc André-Citroën à Paris, pour lequel Gilles Clément conçoit une prairie minuscule et sauvage, des jardins du château de Blois, du domaine du Rayol dans le Var, de tel hôtel XVIIIe siècle, des jardins de l’Arche (en collaboration avec l’architecte Paul Chemetov) ou encore du parc Henri Matisse à Euralille, dont le chantier est en cours.
Quand un free- jazzman du végétal fait l’éloge de la friche
Une école buissonnière, publiée chez Hazan, apporte des éclairages nécessaires à la compréhension de problématiques chaque fois différentes et comment le jardinier (L’artiste ? Si Gilles Clément se rappelle utilement que le projet de Blois fut financé très largement par la délégation aux arts plastiques, il note que, bien qu’ » honoré par cette noble élévation sociale « : » le temps et la nature nous obligent quoi qu’on dise au partage de la signature. Quel artiste s’en accommoderait ? « ) décide d’y répondre. Une sorte d’introduction bienvenue à la plongée dans les concepts qui fondent le travail de ce free-jazzman du végétal, homme de toutes les interrogations, laissant dans sa Vallée les marguerites, les digitales et les ancolies discourir librement dans le carré du potager, les fougères australes côtoyer les orangers du Mexique. Avec d’abord chez Sens ß Tonka, son premier éditeur, le Jardin en mouvement, de la Vallée au Parc André-Citroën (1994, une nouvelle édition augmentée est annoncée pour mars), superbe ouvrage permettant notamment la lecture en images des théories de l’auteur où l’on apprend comment de l’observation de la nature en perpétuelle évolution, du flux des végétaux et des questionnements que cela entraîne: » Que planter, quoi supprimer ? Je ne voulais pas de machines bruyantes pour tondre, couper, faucher ou traiter « , naît cette idée d’ » aller le plus possible avec, le moins possible contre les énergies en place « . Avec, pour continuer, Eloge de la Friche (Lacourière et Frelaut, 1994), ces friches que l’on » dénonce comme une perte de pouvoir de l’homme sur la nature ne seraient-elles pas les pages neuves dont nous avons besoin ? « , et à propos de laquelle il fait sonner ces quelques lignes magnifiques: » Elle émerge du feu ou d’une longue errance agricole. Elle acquiert ses richesses sur les cendres accumulées où naissent les mousses rousses; elle invente.elle installe ses espèces dans l’ordre conquérant des pionniers (…) et l’air farouche qu’elle arbore s’il n’est pas familier, est un air de famille avec tout ce qui lutte pour exister. »
Terriens sur le continent virtuel issu du brassage des flores et des faunes
Toujours chez Sens ß Tonka, ces deux petits ouvrages latéraux (mais attention, chez lui, quelque chose en marge n’est jamais très éloigné du propos central) que sont le Traité succinct de l’art involontaire (1997), art » peu estimé, car non prémédité « , qui » flotte à la surface des choses « : envols, vracs ou îles, et les Portes (à paraître en février), portes domestiques, portes faciles, portes du silence… Enfin Thomas et le voyageur, Esquisse du jardin planétaire (Albin Michel, 1997) qui commence par ces mots: » Ensemble nous décidons que la Terre est un seul et petit jardin « , grand catalogue de réflexions qui, sur les traces du biologiste anglais James Lovelock, considérant la planète comme un organisme vivant, propose une gymnastique, une révision de notre regard, d’autres mesures du respect, et, sur ce continent théorique (ou virtuel) issu du brassage des flores et des faunes, l’apprentissage d’une inédite » citoyenneté terrienne « .
Quittons le continent théorique, et concentrons-nous sur un seul jardin, et son histoire de bout en bout. Le Jardin des Bambous au Parc de la Villette d’Alexandre Chemetoff, photographies d’Elizabeth Lennard (Hazan, 1997), offre la relation délicate et extrêmement précise du surgissement conceptuel et des étapes de la réalisation de ce qui, plus qu’un simple jardin d’ornement, dont la mode fait aujourd’hui ses choux gras, se présente comme l’expression véritable d’une pensée: » Je m’intéresse à des projets pour lesquels la notion d’oeuvre ne réside pas seulement dans le contrôle et l’aboutissement d’une image, écrit Alexandre Chemetoff, mais dans le rapport, l’équilibre qui s’installe entre les moyens de la transformation, le site existant, la nécessité du changement et le résultat (…) Il s’agit ici non seulement de décrire le jardin comme une réalisation mais de montrer comment il a été produit, comment s’opère le rapport entre le projet et l’état des lieux « . Des premières discussions sur le sens des jardins à la fin du XXe siècle, menées en commun avec l’architecte Jean-Louis Cohen et l’ingénieur Henry Bardsley, à la plantation des bambous eux-mêmes, occasion d’un hommage ému à Mazel – parti en Chine chercher des mûriers il s’éprit de ces graminées, en fut ruiné, mais nous laissa la bambouseraie d’Anduze à la porte des Cévennes -, nous suivons pas à pas l’avancement de l’entreprise. » A chaque fois qu’il se passait quelque chose, nous appelions Elizabeth, qui arrivait avec son Leica pour prendre quelques instantanés sur le chantier. »
Du surgissement conceptuel et des étapes de réalisation
Les tours et détours de ce chantier ont des noms: » la paroi à la parisienne et les murets « , » les ovoïdes « , » canalettes et cheminements « , » le cylindre sonore » qui accueille l’architecture de sons de l’Allemand Bernhard Leitner (on lira avec amusement les instants où les psychologies se font face), » les emmarchements « , » une présence discrète » (sur la contribution de Daniel Buren qui déroute finement la géométrie des lignes du parc). En tournant les pages qui nous découvrent les » jardins éphémères successifs qui déterminent la forme du jardin telle qu’il apparaît aujourd’hui « , nous semblons attendre quelque chose: » Lorsqu’on surveille un chantier, que l’on suit les travaux, on est parfois surpris. Un jour apparaît un jardin. On commence soi-même à le parcourir, l’attitude des compagnons, des ouvriers, des jardiniers change, ils travaillent au jardin, alors que, hier encore, ils étaient sur un chantier. » Ce livre remarquable nous fait aussi partager ce moment magique..
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