Panthéon : catafalque d’une gauche

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Le choix de François Hollande d’écarter la Résistance communiste du Panthéon national n’est pas anecdotique. Il s’est parfois dit dans la presse que le président, par son discours, voulait « renouer avec la gauche ». En fait, il enterrait une certaine idée de la gauche.

Avec ce choix, François Hollande n’a pas seulement opéré un détournement de l’histoire française. Il a aussi conforté symboliquement un tournant décisif pour l’avenir de la gauche. Depuis 1988 et l’inflexion centriste de François Mitterrand, les responsables socialistes s’étaient fixés pour objectif de désarmer les inquiétudes de la gauche de gauche. Vis-à-vis du PCF, il s’agissait soit de l’attirer dans un succédané d’union de la gauche (la « gauche plurielle » de 1997), soit d’émousser les critiques en donnant des gages de fidélité à la symbolique d’une gauche sociale.

Le calcul stratégique de François Hollande

À l’automne de 1997, à l’époque où le Livre noir du communisme faisait un tabac en librairie, quand la droite se livra à une provocation violente contre le PC et son histoire, le premier ministre lui-même, Lionel Jospin, prit la parole à l’Assemblée pour dire qu’il était fier que des communistes siègent dans son gouvernement. Aujourd’hui, nous en sommes loin. Il y a quelques semaines, le président de la République lui-même s’est permis de faire l’amalgame entre Georges Marchais et Marine Le Pen. Et c’est sous sa haute autorité que la mémoire communiste a été effacée officiellement de la geste patriotique de 1940-1944 (lire « Panthéon 2015 : la photo retouchée »).

Le calcul stratégique est double. François Hollande considère que le choix « social-libéral » opéré depuis quelques mois ne souffre plus d’atermoiements et que la cohérence stratégique écarte désormais les considérations tactiques. Plus question, comme en 2012 au Bourget, de tenir un discours bien à gauche pour appliquer ensuite une politique recentrée. On n’en est plus au temps où Lionel Jospin se démarquait de Tony Blair par sa formule magique : « Oui à l’économie de marché, non à une société de marché. » Le choix résolu du marché et de la compétitivité ne s’accompagne plus de ronds de jambe et de demi-mesures.

Il y a plus. Le président joue ouvertement la carte d’un bipartisme français écorné par la poussée du Front national. La droite française, pense-t-il, a une très grosse épine dans le pied avec la pression permanente d’une extrême droite relookée. Dans son esprit, il n’en est pas de même dans son camp. À la différence de la Grèce ou de l’Espagne, la gauche de gauche française n’a pas su utiliser le séisme du « Non » référendaire de 2005. L’élection présidentielle de 2012 laissait entrevoir un regain intéressant. La suite ne l’a pas confirmé. Le président veut en profiter. Il sent à sa gauche du flottement et de la fragilité ; il entend donc pousser les feux et lever définitivement une hypothèque bien trop dérangeante.

Établir la mort clinique de la gauche de gauche

En défiant symboliquement l’espace communiste, Hollande dit haut et fort que, s’il y a deux droites concurrentes, il n’y a qu’une gauche pensable et qu’elle n’a pas d’autre possibilité que de se regrouper autour de la logique politique pilotée par l’Élysée et Matignon. C’est autour de cette logique, martèle le pouvoir, que la gauche peut encore espérer tirer profit des divisions de la droite en 2017. Les fins stratèges pensent aussi, en tout cas in petto, que c’est cette logique qui, en cas de défaite en 2017, permettra de reprendre le pouvoir cinq ans plus tard.

Mais dans tous les cas, horizon 2017 ou horizon plus lointain, la stratégie choisie suppose qu’une condition soit réalisée : que soit établie la mort clinique, organisationnelle et symbolique, d’une gauche de gauche. L’effacement de la mémoire communiste est, en France, une dimension de la recomposition en cours. Le magistère qui fut celui du communisme sur la gauche française, entre 1936 et 1978, doit être définitivement tenu pour une parenthèse malencontreuse, sinon une aberration de l’histoire.

Il faut prendre au sérieux ce qui se noue autour de la mémoire communiste. Ce n’est pas seulement une question de susceptibilité partisane. Derrière l’enjeu PCF, se profile une question bien plus large : le devenir d’une tradition révolutionnaire, plébéienne et démocratique qui, en France, n’a jamais été politiquement marginalisée, comme elle l’a été dans d’autres pays européens. Il faut mettre fin à cette exception française, pensent les chantres du pouvoir socialiste. La cérémonie du Panthéon participait de cette visée.

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