50 nuances de rouge

Professeure de Lettres, Pascale Fautrier a publié son roman Les Rouges en 2014, la saga d’une « dynastie » familiale de gauche. Il sort ce mois-ci en édition de poche. Une occasion de se plonger dans ce livre attachant.

Tout le monde n’a pas la chance d’être dans une famille où l’on est communiste depuis… 1789. Dans celle de Pascale Fautrier on a été continûment jacobin après 1789, démocrate socialiste en 1848-1849, insurgé en décembre 1851, communard avec Zéphirin Camélinat, puis guesdiste, socialiste et communiste avec le même Zéphirin, figure totémique de la saga familiale. Communiste, on l’est à fond, bouffeur de socialistes jusqu’en 1934, antifasciste avant-guerre, résistant, stalinien à 100% puis à 100% critique avec Bernard, le père, brillant et intransigeant, jusqu’à la rupture avec le PCF, si douloureuse pour tant de communistes « fervents ».

Tout cela se passe en Bourgogne, dans l’Yonne, au pied de la basilique de Vézelay, où fut prêchée la première croisade et d’où partent encore les pèlerins de Compostelle, puis à Migennes, ville cheminote et fief communiste, jusqu’à il y a peu. Dans cette famille enracinée, on n’a connu que le bleu de la Grande Révolution et le rouge de la révolte ouvrière.

Héritage formidable, héritage écrasant

Avec une telle continuité de mémoire, l’histoire intime et l’histoire tout court se chevauchent. Par héritage et transmission soigneusement entretenue, génération après génération, on finit par « être » soi-même le peuple, l’univers ouvrier, le combat prolétarien, le communisme comme architecture de valeurs, comme mode de vie et comme parti. Héritage formidable, héritage écrasant qui donne toute sa singularité à ce qui est, en même temps, une histoire commune, pouvant se partager avec tant d’autres.

Pascale Fautrier a choisi une forme qui, à elle seule, dit cette complexité et cette totalité. Elle est la narratrice de la saga, mais sa voix est alternativement la sienne, celle de sa grand-mère qui a lui a donné les mots et les images de ses racines, celle de ses aïeux, celle de son père. Ce livre vaut d’être lu, car il raconte en même temps l’Histoire avec un grand « H », des histoires particulières et une histoire personnelle, qui ne fait pas le tri entre le public et le privé, le politique et l’intime. Pour qui ne connaît pas l’histoire, ce livre est un acte d’éducation populaire et une réflexion sur l’histoire, sur la politique, sur l’engagement, sur une conviction qui peut fonctionner comme une foi. Pour qui la connaît un peu mieux, c’est une manière originale de penser la dialectique redoutable de l’individu et du collectif, de l’éthique de la vérité et des intérêts partisans.

Comment rester rouge ?

On n’est pas obligé de s’intéresser à tout. On peut préférer l’évocation d’Antoine, le vigneron jacobin, ou de Zéphirin, le bronzier communard, plutôt que celle de « JC » – Jean-Christophe Cambadélis – l’étudiant trotskyste et anticommuniste devenu un hiérarque de la rue de Solferino. Mais dans tout le parcours, quel que soit le personnage central, il y a le désir, dans chaque membre de la lignée, de rester fidèle à un engagement d’égalité réelle et de totale liberté.

Rouge, toujours, solidaire et libre, sans compter. Comment l’être aujourd’hui, après tant de tensions, de générosité et de souffrance, d’espoirs fulgurants et de rudes désillusions ? Pascale Fautrier avoue qu’elle ne saurait le dire de façon simple. Continuer et être fidèle, à une couleur, à une idée, à un parti pris ? Sans doute, mais pas de la même manière. Continuer, lucidement, sans oubli et sans cynisme : Pascale Fautrier a essayé de vivre cette tension. À sa manière, dans ses dialogues, aimants et/ou tendus, avec sa grand-mère, avec son père ou avec « JC ». On apprécie ou on n’apprécie pas les choix retenus, à tel ou tel moment. Mais on ne peut rester indifférent devant l’écriture élégante et vive, l’honnêteté, la sensibilité et la volonté farouche de persister, contre vents et marées.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *