La Générale : dernière station avant terminus ?

generale-home.jpg

Ancien squat devenu coopérative, la Générale, haut-lieu culturel du 11e arrondissement, est menacée par l’appel à projets « Réinventer Paris » lancé par la ville. Défendant son importance pour les politiques culturelles, elle se mobilise pour son avenir.

Coopérative artistique, politique et sociale, la Générale voit son projet remis en question, la sous-station électrique Parmentier qu’elle occupe faisant partie des sites de « Réinventer Paris », appel à « projets urbains innovants » lancé par la Ville de Paris en novembre dernier. À vrai dire, il y a de tout parmi les vingt-trois sites concernés. Comme on le précise au cabinet de Jean-Louis Missika (adjoint chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité), cela va « d’un hôtel particulier dans le Marais aux friches industrielles dans le Nord de paris. C’est une palette très diverse mais qui a sa cohérence et représente les grands défis parisiens. »

Missika ayant énoncé le souhait, lors de la conférence de lancement en novembre, que la majorité des permis de construire soient délivrés fin 2016, leur point commun est de pouvoir « être mis en vente rapidement et libérés gratuitement ». Outre le fait que cette ambition de réinvention de Paris fait étrangement l’impasse sur les quartiers de l’Ouest et du centre de Paris – le cabinet de Missika arguant là d’une « question d’opportunité, la répartition des projets suit la réalité du foncier municipal » –, elle pose à travers le cas de la Générale la question de la politique culturelle de la Ville à l’égard des lieux culturels alternatifs.

Du squat à la pépinière

C’est en 2005, rue du Général-Lasalle dans le 19e arrondissement que la Générale voit le jour. À l’origine, l’aventure est conforme à celle de nombre de squats artistiques : une poignée de créateurs décide d’investir un bâtiment vacant depuis des années pour inventer un espace de travail. Comme le raconte Sidonie Han (qui a rejoint l’équipe lors de l’installation à Parmentier), le collectif s’étoffe et se structure rapidement « autour majoritairement de deux pôles. Le pôle des plasticiens et celui des personnes travaillant dans le spectacle vivant. Mais il y a aussi d’autres personnes, des activistes – nous sommes à l’époque du combat contre le CPE –, des associations défendant des sans-papiers, etc. ».

Revendiquant à travers ses projets la circulation des corps et des idées, le partage et l’échange des outils de travail, la Générale va voir naître une myriade de formes : expositions, performances, spectacles, concerts, projets d’éditions (on compte parmi ses résidents les revues Vacarme et Multitudes), émissions de radio, et même une cantine associative. Si l’aventure est éphémère – le bâtiment est vidé à l’automne 2007 –, elle marque les esprits, notamment par la capacité du projet à excéder les seuls cercles alternatifs pour fédérer une large variété de spectateurs et de partenaires. « Des journalistes, des programmateurs et aussi des membres de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) venaient voir des spectacles ».

Tandis que les plasticiens migrent à Sèvres sur proposition de la DRAC arts plastiques, une partie du collectif revendique de prolonger le travail sur l’Est parisien et de pérenniser son existence. Après deux années de négociations marquées par des rapports de force « rendus possibles par le buzz autour du projet », la Générale s’installe en 2008 au 14 avenue Parmentier, signant avec la Ville de Paris un bail de trois ans renouvelable trois fois. Depuis, le « collectif a pas mal évolué et réunit des plasticiens, des graphistes, des gens travaillant dans le cinéma, le spectacle vivant, ou s’intéressant aux croisements entre arts et autres disciplines. »

Manufacture et laboratoire

Le collectif de la Générale s’est surtout adapté à son lieu, modelant son projet pour ce nouvel espace. « Petit à petit les choses se sont organisées : nous avons créé des postes, investi financièrement dans le bâtiment, notamment en concevant la boîte noire [« boîte » permettant à des spectacles de jouer, ndlr]. » Elle souhaite également prolonger dans la durée son travail de terrain. À l’image de cette structuration, la Générale obtient du Conseil régional d’Île-de-France l’aide « Fabriques de culture », « un dispositif destiné aux lieux dits « intermédiaires » comme le collectif 12 à Mantes-la-Jolie, Le Théâtre la Loge, la Blanchisserie à Ivry-sur-Seine, etc. S’ils sont très différents, tous ont le cul entre deux chaises et se situent dans un espace intermédiaire à l’institution. »

Aujourd’hui, la Générale emploie quatre salariés permanents et de nombreux intermittents. Space Invader, le Surnatural Orchestra, le compositeur Tom Johnson, l’École nationale supérieure des arts décoratifs, ou encore le festival Sonic Protest font partie des expositions, spectacles, concerts, festivals, etc. que les spectateurs ont pu découvrir gratuitement.

Mais ces ouvertures publiques ne sont que la part émergée de l’iceberg. Toute l’année, le lieu est mis à disposition d’artistes sans contrepartie financière et des équipes sont accompagnées, des plus établies aux plus précaires. Selon Sidonie Han, le collectif « revendique un travail qui devrait être fait à Paris et qui est à la mesure d’autres lieux plus institutionnels. Nous avons accueilli des compagnies en répétition avant leurs représentations au Théâtre Paris-Villette ou au Théâtre du Rond-Point. Quelque part, c’est très ingrat, car nous « absorbons » la contraction des périodes de répétition et de création due à la baisse des financements, alors que ce temps invisible est nécessaire aux équipes. »

Mobilisation Générale

C’est en découvrant la plaquette du programme « Réinventer Paris » que la Générale apprend officiellement les projets de la Ville pour la sous-station électrique Parmentier. Alors que la majorité des sites sont libres quant aux usages possibles, le bâtiment a ici vocation à accueillir un cinéma « populaire et qualitatif ». Interrogée sur la pertinence d’un nouveau cinéma dans une ville qui dispose déjà d’un des parcs de salles les plus importants au monde avec près de 400 écrans [[Dont 90 classés « art et essai » (ce qui amène à un écran pour 6.000 habitants, là où à Berlin il y en a un pour 12.000 habitants). Sur les 815 projets présentés, 59 concernent la Générale. Parmi les candidatures figurent, selon Le Film français, celles de MK2, du Ciné-Movida (L’épée de Bois et le futur cinéma des Batignolles), ou encore de Cap’ Cinéma (L’Étoile Lilas)]], l’adjointe à la culture de la mairie du 11e Martine Debieuvre explique : « le onzième est sous-doté. On a un déficit de cinémas très important, puisqu’il n’y en a que trois, tous situés à Bastille. »

Depuis, en vue de l’arrivée à échéance de son bail en juillet 2017, la Générale se mobilise. Lancée le 17 mars, une pétition demande des garanties écrites de la Ville – l’équipe n’ayant pour l’instant eu que des confirmations orales du cabinet d’Anne Hidalgo et de Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris chargé de la culture –, quant à son relogement. Parmi les soutiens figure notamment Corinne Rufet, vice-présidente (EELV) de la région Île-de-France qui a, selon Le Parisien, interpellé Bruno Julliard sur le fait que la Ville voudrait remplacer la Générale « par un énième lieu de conso culturelle ».

Derrière le relogement se dessine la crainte de voir un projet démantelé, amputé, vidé de sa substance via l’éloignement de son territoire d’action, l’attribution d’un bâtiment non adapté à son travail, ou la signature d’un bail de courte durée. Si ces inquiétudes se concrétisaient, elles seraient aussi un signe éloquent de l’instrumentalisation de la culture par la municipalité, et des artistes par les élus, sans aucun égard pour les projets menés. Avec tous les paradoxes que cela charrie… Ainsi, tout en évoquant le fait que leurs interlocuteurs aient « beaucoup de mal à imaginer qu’on fait un travail de terrain », Sidonie Han rappelle : « En même temps, c’est ce qu’ils demandent dans tous les cahiers des charges des projets. Mais c’est comme s’ils n’y croyaient pas vraiment. »

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *