Le parti au pouvoir en Grèce avait clairement écarté en 2012 l’option d’une sortie de l’euro, défendue par l’aile gauche du parti. Face à l’inflexibilité des “partenaires” européens, le sujet revient sur la table et divise la formation d’Alexis Tsipras.
Costas Lapavitsas et Stathis Kouvelakis, qui avaient jusque là mis en sourdine leur divergence avec la ligne majoritaire, multiplient depuis quelques jours les tribunes présentant la rupture avec la zone euro comme seul moyen d’échapper à l’austérité. Selon eux, l’accord trouvé in extremis entre le 19 et le 24 février pour prolonger de quatre mois l’aide financière européenne négociée par le précédent gouvernement en échange d’une liste de “réformes” achète du temps, mais confirme l’impasse dans laquelle se trouve la Grèce.
La fin de l’austérité compromise
Alexis Tsipras voulait « un programme-relais transitoire de quatre mois sans mesures d’austérité pour sécuriser des liquidités et pouvoir commencer à implémenter au moins en partie son programme en respectant l’équilibre budgétaire. Il demandait aussi aux prêteurs de reconnaître la non-viabilité de la dette et la nécessité d’organiser les négociations sur de nouvelles bases. L’accord final rejette point par point toutes ces demandes », résume dans Jacobin Mag Stathis Kouvelakis, membre du comité central du parti.
De son côté, le député Syriza Costas Lapavitsas estime sur son blog que, même si l’accord précise que les « circonstances économiques » seront prises en compte dans l’évaluation des finances publiques hellènes en 2015, les nouveaux engagements de Syriza quant au remboursement intégral de la dette et au maintien d’un excédent primaire “adéquat” sont incompatibles avec les promesses de campagne sur l’arrêt de l’austérité et l’effacement partiel de la dette. D’autant plus qu’une partie des ressources sur laquelle comptait le gouvernement pour financer les mesures “humanitaires” n’est plus disponible : le HFSF, un fonds alimenté par des prêts européens dédié à la recapitalisation des banques, n’est plus sous contrôle du gouvernement grec, précisément pour éviter qu’il soit utilisé autrement que pour soutenir les banques.
« Changer le nom de la Troïka en “institutions”, celui du mémorandum en “accord” et celui des créanciers en “partenaires”, ne change en rien par rapport à la situation antérieure », avait déclaré au lendemain de l’accord le député européen Syriza Manolis Glezos, s’excusant auprès des Grecs d’avoir contribué à « l’illusion » Syriza.
Contestations de l’aile gauche de Syriza
Ces voix ne sont pas isolées au sein de la coalition de gauche radicale. Le 27 février, environ un tiers du groupe parlementaire a manifesté son opposition à l’accord avec l’Eurogroupe lors d’un vote indicatif. Six ministres ont marqué leur désapprobation, rejoints par la présidente de l’Assemblée nationale, Zoé Kostantopoulou, obligeant Alexis Tsipras à renoncer à soumettre l’accord à un vote parlementaire qui exposerait les fractures au sein de sa majorité. Lors de la réunion du comité central du parti le week-end dernier, l’aile gauche du parti, emmenée par le ministre de la reconstruction productive Panagiotis Lafazanis, a rassemblé 41% des voix sur un amendement rejetant l’accord.
« Pour la Plateforme de gauche, le gouvernement doit sortir du cadre des accords signés et mettre en œuvre certains de ces engagements-phare, en se passant de l’accord préalable des « Institutions », affirme Stathis Kouvelakis dans le Nouvel Obs. En vue des négociations de juin, elle propose « un plan alternatif », qui n’hésiterait pas à prendre des mesures unilatérales, y compris, en cas de nouveau chantage à la liquidité, une rupture avec le cadre de l’euro. »
« L’étape la plus cruciale est de réaliser que la stratégie qui consiste à espérer obtenir un changement radical au sein du cadre institutionnel de la monnaie unique s’est épuisée, écrit dans le Guardian Costas Lapavitsas, ex professeur d’économie à l’université de SOAS à Londres. Cette stratégie nous avait rapporté un fort succès électoral car elle promettait au peuple grec de le libérer de l’austérité sans avoir à subir de rupture dramatique avec la zone euro. Hélas, les événements nous montrent désormais avec certitude que ceci est impossible. »
Un rapport de force défavorable
De fait, la Grèce n’est pas en position de force pour “changer l’Europe”. D’abord, elle est complètement isolée. À peine le nouveau gouvernement a-t-il annoncé ses premières mesures anti austéritaires que la BCE l’a sanctionné en restreignant l’approvisionnement en liquidité des banques hellènes. La Grèce ne peut pas non plus compter sur d’autres membres de la zone euro pour infléchir la position allemande. Même les dirigeants supposément de gauche de France et d’Italie n’ont pas levé le petit doigt pour plaider sa cause. [[Il faut dire que laisser la Grèce déroger aux principes de rigueur budgétaire des traités européens risquerait de prouver (s’il en était besoin) que l’austérité est non seulement inefficace, mais aussi contreproductive, et donc que tous les pays se saignent pour rien depuis quatre ans.]]
Deuxième faiblesse de la Grèce : les caisses du Trésor sont vides et ses banques extrêmement fragiles. Le gouvernement se serait retrouvé à sec dès le 24 février, et aurait été contraint de faire défaut sur sa dette au FMI dès le mois de mars s’il n’avait pas conclu d’accord avec l’Eurogroupe. Quant aux banques, leur survie tient aux dispositifs exceptionnels de refinancement de la BCE. Bref, la Grèce dépend trop de l’aide européenne pour être en mesure d’imposer ses conditions. Enfin, Tsipras a renoncé à utiliser l’arme d’une possible sortie de l’euro dès lors qu’il s’est fermement positionné en 2012 contre cette éventualité.
« La Grèce a montré lors des négociations qu’elle craignait plus le « Grexit » que ses interlocuteurs, et ça, c’est une erreur fatale », commente ainsi Kouvelakis dans un entretien au site ijsbergmagazine. De toute façon, depuis la restructuration de 2012 qui a permis de transférer le plus gros des titres grecs aux mains des créanciers publics, et donc de supprimer le risque pour les banques allemandes, la menace d’une sortie unilatérale de l’euro produit moins d’effet : Angela Merkel a clairement fait savoir qu’elle préférait cela plutôt que le moindre réaménagement de sa dette.
Quatre mois pour préparer une rupture avec l’euro
Dans ce contexte, les partisans du retour à la drachme jugent qu’il ne sera pas plus envisageable en juin qu’il n’aura été possible en février d’obtenir la moindre concession significative de la part des “institutions”. Faute de marges de manœuvre pour pouvoir transformer l’Europe de l’intérieur, la libération du carcan européen permettrait au moins à la Grèce de recouvrer les instruments de politique monétaire et budgétaire dont elle est privée par la monnaie unique et par les règles des traités. Instruments indispensables si elle veut mener une politique économique progressiste.
Les quatre mois de répit devraient alors être mis à profit pour préparer la stratégie de rupture avec la zone euro : c’est à dire préparer l’opinion publique à cette éventualité, à laquelle elle est pour le moment majoritairement défavorable, et surtout prévoir la gestion de la période de transition qui serait inévitablement houleuse et difficile.
Si le cercle resserré autour d’Alexis Tsipras est réticent à envisager une issue aussi radicale, il semblerait néanmoins que le premier ministre ne soit pas décidé à renoncer de sitôt à ses promesses de campagne les plus symboliques. Dès lundi, il a lancé son premier projet de loi visant à affronter la crise humanitaire. [[Le texte prévoit de rétablir le courant chez les ménages ne pouvant payer l’électricité et de leur fournir jusqu’à 300 khw d’électricité gratuite jusqu’à la fin de l’année. Jusqu’à 30.000 foyers vont aussi recevoir une aide au logement de 70 à 220 euros et une aide alimentaire sera procurée à quelque 300.000 personnes. D’autres projets de loi doivent être déposés dans la foulée, visant à interdire la saisie immobilière pour cause de dette, à aider les ménages modestes à payer leurs arriérés d’impôt, à reconstituer l’audiovisuel public ou encore à créer une commission d’enquête sur les responsabilités des politiques qui ont conduit à la signature des Mémorandums.]] Si ces initiatives ne sont théoriquement pas interdites par l’accord du 19 février, Stathis Kouvelakis aime à lire dans ces mesures sociales volontaristes qui ont tout pour déplaire aux instances européennes, un début de « désobéissance contrôlée ».


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