Bernard Calabuig, dernier dirigeant ouvrier du PCF

Hommages à Bernard Calabuig, figure marquante du Parti communiste, dont il a incarné les parcours exceptionnels que pouvaient connaître les individus en son sein, tout en y préservant son humanité et son indépendance.

Un communiste devenu libertaire

Bernard Calabuig vient de mourir d’un cancer. Il était encore jeune, papa d’une fille de quinze ans. Ami fidèle de Regards, il était aimé de beaucoup.

À quatorze ans, début d’une vie de maçon… et de fumeur, premiers pas d’homme et de militant dans l’Aude. Assez vite, il monte à Paris et devient un dirigeant national de la JC. Il l’est resté longtemps. « Ça conserve », disait-il en se moquant de ce temps exagéré passé à Bagnolet, à la DN de la JC. Il y noue des amitiés pour la vie. Il a adoré ce temps de l’engagement total, fougueux, absolu. Ce dont je me souviens, c’est qu’il n’est jamais devenu sectaire. Nous nous croisions au bureau national de la JC. Il était au secrétariat du mouvement des Jeunes communistes, moi à l’Union des étudiants communistes. Dès 1984, je pris d’explicites distances avec la ligne officielle: les temps sont devenus rudes pour moi, genre blacklistée. Mais pas par lui. Il continua de me parler comme si j’étais encore normale. Ils n’étaient pas nombreux.

Nous l’avons souvent évoqué ensemble. Il était content, lui, l’apparatchik conforme, de n’avoir pas franchi la ligne de l’humanité. Du coup, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Je repense à son sérieux. Officiellement j’étais étudiante, en vérité il étudiait bien plus que moi ! Il découpait les articles de l’Huma et les rangeait dans des chemises, par thèmes. Sa maison était pleine de cartons, d’archives. Il était l’incarnation incroyablement pure, préservée, de l’homme qui s’élève par le militantisme et trouve dans le Parti communiste une société qui le reconnaît.

Il est monté très haut dans l’appareil communiste… et dans sa vie d’homme libre. Il a raconté dans son dernier livre[[Un itinéraire communiste, Du PCF à l’altercommunisme. Éditions Syllepse.]], avec une franchise inégalée, la vie d’un permanent communiste dans les années noires du PCF, les années 80/90. Il a tout vu, il a tout fait. Il a tout accepté. Et il a réfléchit. Et il s’en est émancipé. Il a commencé par vouloir jouer aux marges, puis par contester en interne la ligne et les pratiques. Il le fit d’abord en respectant les codes qu’il connaissait si bien. Ainsi il put, un temps, rester à la direction du PCF et de la fédération du Val d’Oise. Et puis un jour, avec d’autres, en 2010 il a pensé que cela n’avait plus de sens. Il a quitté le PCF. Pas le communisme.

Ses amis de la JC n’étaient pas loin. Ils se sont retrouvés… à Aubagne. Nouvel engagement pour installer les Communistes unitaires dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons continué nos discussions. Chacun de nous a construit une continuité avec ses engagements de jeunesse: il était devenu, de façon assumée, un communiste libertaire.

Catherine Tricot

Le dernier ouvrier…

J’ai connu Bernard sur le tard, à la fin des années 1990. Il venait d’être élu au Conseil national du PCF. Très discret, classique dans son apparence… Pour tout dire, je le remarquais à peine. J’ai compris très vite que je me trompais du tout au tout. Je me souviens ainsi d’une réunion publique, dans le Val d’Oise. Un grand « machin », comme le parti les aime, avec plusieurs ateliers. Nous étions tous deux dans l’un d’entre eux, consacré à la démocratie et aux institutions. Bernard introduisait le débat. J’attendais de lui un discours convenu. En fait, il nous a présenté une réflexion subtile, personnelle, remarquablement charpentée. Il ne s’était pas contenté de répéter une doctrine, mais s’était approprié un sujet et l’avait restitué à sa façon, précise et concrète.

Il ne faut jamais juger les individus de façon superficielle. Au fil du temps, des conversations, des combats partagés, j’ai découvert ce qui faisait la richesse de cet homme indéracinable et tranquille. De famille communiste et ouvrière, ouvrier lui-même, il portait la fierté d’une classe aspirant à la dignité, pour elle et pour toute l’humanité. Ce garçon que l’école n’avait pas su cultiver avait une telle foi dans l’avenir que, autodidacte, il était devenu un intellectuel. Comme des milliers de militants ouvriers y étaient parvenus avant lui. Grandeur du militantisme et du parti pris communiste…

J’ai compris alors jusqu’à son paraître. Tant qu’il a été élu, Bernard portait par exemple un costume, classique comme je le disais à l’instant. Non par conformisme, ou par désir de paraître, mais à la manière de tant d’élus socialistes puis communistes avant lui : par respect pour ceux-là mêmes dont il portait la parole au sein des institutions. Il faisait partie de ces quelques personnes dont j’admirais le courage. Son indépendance n’était pas que dans le discours. Être secrétaire d’une grande fédération communiste francilienne et afficher en même temps sa différence voire sa dissidence… Il fallait une sacrée carrure pour tenir le cap, sans soumission ni provocation.

Préfaçant son récent livre, mon vieux complice Serge Wolikow se risquait à dire qu’il était sans doute le dernier ouvrier dans les hautes sphères du PCF. C’est un honneur d’avoir côtoyé cet ouvrier-là et une fierté immense d’avoir été son ami. Honoré et fier, mais d’autant plus triste et abattu.

Roger Martelli

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