Clémentine Autain : « Un de nos défis est de redonner goût à la politique »

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Clémentine Autain mène une vie sur plusieurs fronts. Directrice de Regards, elle est élue de Sevran et porte-parole d’Ensemble, amoureuse des livres et des idées. De tout cela, elle a tiré un ouvrage singulier, « Nous avons raison d’espérer ». Qu’elle présente.

Regards. Ton nouveau livre Nous avons raison d’espérer ressemble à un carnet de bord, une chronique de tes expériences, réflexions, lectures des derniers mois. Pourquoi cette forme éclatée ?

Clémentine Autain. La vie politique est aujourd’hui perçue comme un espace clos sur lui-même. Les grandes idéologies ont failli, et singulièrement à gauche, et l’idée que la politique peut transformer positivement nos vies a pris du plomb dans l’aile. Les représentants politiques apparaissent enfermés dans leur monde et dépourvus d’intérêt véritable pour la société, sa réalité et son avenir. De ce constat, je retire que l’un de nos défis est de redonner goût à la politique, au sens fort du terme. C’est elle qui façonne nos vies. Pour mener à bien cette entreprise, je crois qu’il faut trouver des manières nouvelles, différentes, de raconter le monde et notre projet. Partir du quotidien est une façon de redonner du concret, de la chair au récit politique. Alors qu’elle semble perchée dans le monde technocratique ou abstraitement idéologique, la politique est présente au bureau comme au supermarché, dans le métro ou dans nos amours. C’est une façon d’expliquer par le menu ce que le néolibéralisme, le consumérisme ou le sexisme produisent sur nos vies, et de tenter ainsi de susciter le désir de transformer cet ordre des choses injuste et aliénant. C’est aussi une façon de donner à voir ce qui, dans la société, résiste et invente, comme autant de points d’appui pour construire un autre monde.

« Une tentative pour s’adresser à d’autres publics que les militants aguerris »

Il s’agit aussi de faire le lien entre tous ces fragments ?

Le caractère fragmenté du livre part d’un autre constat : nous cherchons les voies pour articuler, dans un nouveau tout, les combats émancipateurs, c’est-à-dire la critique du capitalisme mais aussi du productivisme, de l’hétéro-sexisme, de toutes les formes de racisme ou du développement inégalitaire des territoires. Après les échecs des expériences de type soviétique et les impasses de la social-démocratie, nous cherchons la stratégie de transformation du XXIe siècle. J’ai voulu écrire un livre sincère, qui ne raconte pas de salades mais porte des convictions, une cohérence, une stratégie et exprime aussi des doutes – qui sont utiles pour avancer. J’ai voulu montrer que nous sommes en chemin et que nous avons le devoir de réussir. Et pour y arriver, il faut espérer. Car nous nous mobilisons d’autant plus et mieux que nous sommes portés par une projection collective dans un avenir meilleur.

Mi-livre politique, mi-journal, parfois assez littéraire, ne crains-tu pas de déboussoler tes lecteurs ? À qui t’adresses-tu ?

Ce livre est une tentative pour s’adresser à d’autres publics que les militants aguerris, même si ce livre s’adresse aussi à eux. Nous avons à convaincre celles et ceux qui pensent comme nous ou pas loin de nous – et ils sont nombreux, je veux même croire qu’ils sont potentiellement majoritaires dans le pays – mais ne trouvent pas leur compte dans nos discours formatés, parfois datés ou répétitifs. Je n’ai pas peur de déboussoler, car j’assume de prendre ce risque : mon angoisse profonde, c’est de ressasser les mêmes formules et de tomber sur les mêmes murs, ceux qui ne nous permettent pas de sortir des cercles de convaincus. Et je fais le pari que « mes » lecteurs, c’est-à-dire ceux qui me connaissent, retrouveront dans ce livre mes boussoles et ma quête d’autrement pour parler et faire de la politique.

Tu vas renoncer à faire des livres classiques, des essais ?

Non ! Sans doute le prochain sera-t-il plus classique…

En général, les dirigeants politiques de la gauche disent « nous ». Toi, ici, tu dis « je ». Que cherches-tu ? Nous faire rentrer dans ta vie quotidienne ? Créer un sentiment de proximité ?

Je crois cette forme très contemporaine. Dans les romans de notre époque, l’autofiction a le vent en poupe. Les réseaux sociaux porte aussi le sceau de ce récit personnel qui cherche à rencontrer l’histoire commune. Le lien entre le personnel et le politique est l’une des marques de fabrique féministes. Ainsi, à partir de nos quotidiens, nous avons inventé la critique du patriarcat et invité dans le débat public des questions enfermées dans la sphère dite privée. Je suis faite de ce bois-là. J’emprunte ce va et vient entre l’individu et le collectif au féminisme car je suis convaincue que cette articulation entre le « je » et le « nous » est l’une des questions clés du moment et l’un des leviers pour que notre espace politique grandisse. Ce n’est pas un hasard si le slogan le plus arboré dans les manifestations ces dernières années est : « Je lutte des classes ». La subjectivité est aussi un moyen de faire passer un message plus authentique. La politique connue aujourd’hui pour sa langue de bois en a besoin.

« Les exemples de Syriza et de Podemos montrent que tout peut aller très vite »

Tu affirmes en titre « Nous avons raison d’espérer ». Quand on termine la lecture on se dit que tu as la foi du charbonnier : les raisons d’espérer ne sont pas si nombreuses… C’est ton côté volontariste ?

Je préfère les discours lucides aux promesses de grands soirs pour demain qui ne viennent pas. La période que nous traversons en France est difficile : la situation sociale, économique, environnementale, démocratique, morale, est préoccupante. La peur domine. Tout est au rouge. Et pourtant, notre gauche n’a pas la main. Les forces qui résistent et inventent sont nombreuses dans le pays, mais elles sont éclatées. Dans ce moment de grandes tensions, nous devons regarder les freins à notre percée comme les potentialités pour parvenir à percer. Même si les situations des pays sont différentes, les exemples de Syriza et de Podemos montrent que tout peut aller très vite. C’est pourquoi nous avons raison d’espérer. En réalité, nous en avons le devoir car sinon, pourquoi se mobiliser, militer ou voter ? Or, c’est bien la capacité du peuple à faire mouvement qui peut changer la donne. Il ne peut y arriver sans une part de détermination positive et de sentiment de participer à une bataille commune porteuse de mieux vivre.

Tu croques un air du temps. Tu le sens comment notre moment ?

Difficile. Ce qui est motivant, voire enthousiasmant, c’est que les choses ne sont pas figées. Elles sont en tension. Les possibilités pour la gauche de transformation sociale et écologique sont plus ouvertes qu’on ne le croit. Il nous faut travailler, chercher, fédérer, et surtout ne pas se résigner.

Qu’as-tu lu récemment qui te donne envie d’avoir envie ? Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment qui te fait chanter ?

Pas pleurer de Lydie Salvaire m’a bouleversée. Elle donne la rage de la liberté. Et, en ce moment, j’écoute en boucle Fauve : « La tête haute, un poing sur la table et l’autre en l’air ».

Dans le e-mensuel de Regards, c’est toi qui a eu l’idée de solliciter des amis avec le questionnaire de Proust. À ton tour, dis-nous quelle est ton héroïne, ton héros dans la fiction ? Et dans la réalité ? Quel est ton principal défaut ? Ton auteur préféré ?

J’ai beaucoup de mal avec les héros et les héroïnes… Je ne fonctionne pas vraiment avec un modèle. Dans la fiction, je dirais Mary Poppins parce que sa joie et son pouvoir magique qui nous porte au-delà du réel nourrissent mon imaginaire depuis l’enfance. Dans le réel, ce serait Hubertine Auclert parce que l’imaginer devant un parterre d’hommes dans un congrès du mouvement ouvrier au début du XXe siècle, expliquant que les femmes doivent être les égales des hommes, me donne la chair de poule. Je ne sais pas dire mon principal défaut, j’hésite entre plusieurs, mais celui qui me pourrit la vie, c’est la distraction. Mon auteur préféré, c’est une torture comme question… Sans doute Dostoïevski.

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