Théâtre

Le théâtre de Bertold Brecht est et sera très présent sur les scènes françaises pour le centenaire de la naissance du grand dramaturge allemand. Toujours monté en France depuis une première mise en scène de Jean Vilar en 1951, célèbre dans les années 60, éclipsé dans les années 80, il revient en force, revisité par diverses générations de metteurs en scène.

Que nul n’entre ici, s’il n’est brechtien « , telle aurait pu être la devise inscrite sur les frontons de maints théâtres dans les années 60. Quand le Berliner Ensemble vint en France en 1954, ce fut si fort, si brillant, si accordé à l’utopie de nombreux intellectuels et artistes au sortir de la guerre, que Brecht devint la référence presque obligée. A cette époque, sa fortune en France est liée à l’histoire du TNP de Jean Vilar, à la revue théorique Théâtre populaire, et à la politique de  » décentralisation  » issue de la Résistance. Si Brecht fut alors beaucoup joué et dans des mises en scènes mémorables, celles de Jean-Marie Serreau, Jean Vilar, Bernard Sobel, ou Roger Planchon, le  » brechtisme  » devint l’enjeu d’un débat politico-esthétique qui dégénéra parfois en vaines querelles idéologiques.

Un grand poète nourri de la Bible et de culture classique

En 1968, d’autres formes de théâtre menacent sa présence, comme les happenings, les créations collectives, mais de grandes mises en scène des pièces de Brecht, sont à l’affiche des théâtres de la décentralisation. On pense à la Bonne-Ame de Se-Tchouan, montée par Strehler, à Sainte Jeanne des Abattoirs, montée par Guy Rétoré, à Maître Puntila et son valet Matti monté par Georges Lavaudant. Une pétition, lancée par Guy Scarpetta, et signée notamment par Ionesco, mettant en cause la place de Brecht et des brechtiens en France, déclenche une vague de repli et d’intimidation. C’était la fin des années 70, le début d’une période de pertes des valeurs collectives. Durant les années 80, il n’était pas de bon ton de monter Brecht. En 1990, au moment même de la chute du Mur, trois mises en scène de Brecht sont annoncées. Les journaux titrent sur le  » retour de Brecht « . Antoine Vitez monte la Vie de Galilée à la Comédie-Française, Bernard Sobel la Bonne-Ame de Se-Tchouan avec Sandrine Bonnaire à Gennevilliers et Marcel Maréchal reprend Maître Puntila et son valet Matti à la Criée à Marseille. Ils soulignent tous trois la correspondance non innocente entre les événements politiques et leur décision de revenir à Brecht. Antoine Vitez, dans une formule devenue célèbre, déclare:  » Avec Brecht, on rentre à la maison « , soulignant par là qu’en montant la Vie de Galilée il revisite de manière problématique et polémique tout ce qui a constitué sa vie et son ancrage dans l’histoire depuis son enfance. Il ajoute qu’avec la chute du Mur, un cycle historique s’est achevé et qu’il est désormais possible d’aborder Brecht comme un classique. Les trois metteurs en scène s’accordent pour affirmer que le dramaturge allemand est un grand rhétoriqueur au même titre que Shakespeare ou Beckett; un grand poète nourri de la Bible et de culture classique, notamment Goethe.

Un théâtre bref, non conclusif, capable de rendre la scène utile

Antoine Vitez et Bernard Sobel en s’interrogeant sur les figures d’ » intellectuels « , personnages centraux des pièces qu’ils montent, affirment leur certitude que Brecht entrevoyait l’effondrement de l’Utopie et que son théâtre pose la question  » comment traverser les temps d’aujourd’hui « ; qu’il s’agit d’un théâtre ouvert, non conclusif, capable de rendre la scène utile et créatrice. Ces trois metteurs en scène ont connu la guerre, la construction du socialisme avant de se sentir responsables de son effondrement. Aujourd’hui, petits fils et arrière-petits-fils de Brecht, les metteurs en scène ne partagent plus la même histoire. Avant de les interroger, pour comprendre comment ils l’abordent, rappelons quelques traits caractéristiques de sa dramaturgie. Il s’agit d’un théâtre entièrement tourné vers l’éveil de la conscience critique du spectateur et qui fait de la représentation théâtrale autant un objet de jouissance que de connaissance. Il met en oeuvre une écriture dialectique qui révèle le jeu des contradictions dans le comportement des personnages, leurs déterminations multiples et les liens entre le privé et le politique: une dialectique qui pose plus de questions qu’elle n’y répond et dont l’issue ouvre le plus généralement sur une béance, jamais sur un enseignement univoque.

Un théâtre épique, qui vise à briser l’illusion réaliste

Il oppose son théâtre  » épique  » à un théâtre de l’identification et de la fascination et par toutes sortes d’effets de rupture (sons, lumières, ruptures dans le jeu), il vise à briser l’illusion réaliste. C’est un théâtre entièrement fondé sur l’analyse idéologique des comportements humains qui ne vise à la transmission d’aucun message politique direct. Brecht, paraît-il, aimait cette formule anglaise selon laquelle on ne peut connaître le pudding qu’en le mangeant. Connaître Brecht, c’est le pratiquer. Ce qu’ont fait les metteurs en scène interrogés ici. Sur les scènes, en effet, il est à nouveau très présent cette année. Centenaire oblige. Dans la Jungle des Villes au théâtre de la Colline (voir ci-contre), Grand Peur et misère du IIIe Reich au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Sainte Jeanne des Abattoirs, à la Manufacture de Colmar et au Théâtre de Colombes, le Cercle de craie caucasien à la Scène nationale de Marne-la-Vallée, et la Noce chez les petits-bourgeois et Tambours dans la nuit au Théâtre de l’Odéon. Nous avons rencontré Didier Bezace, Marie-Noëlle Rio et Stéphane Braunschweig qui présentent respectivement: Grand Peur et Misère du IIIe Reich, Sainte Jeanne et Dans la Jungle des villes..

1. Le 4e salon algérien du cinéma et de la vidéo s’est tenu à Tebessa du 24 au 28/11/ 1997.

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