La stratégie économique de Tsipras face à l’Europe

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Le nouveau ministre des Finances grec Yanis Varoufakis s’est lancé dans une tournée des capitales européennes pour tenter de les convaincre d’accepter un allégement de la dette du pays. Quels sont ses leviers, et a-t-il la moindre chance d’arriver à ses fins ?

Après des premiers jours marqués par une entrée en force sur la scène médiatique et politique européenne, les nouveaux dirigeants grecs se trouvent au pied du mur, tout en espérant ne pas l’être à ceux de leurs interlocuteurs. Comment évaluer leurs marges de manœuvre ? Réponse en six questions.

Quelle est la situation financière de la Grèce?

Les cinq années de cure d’austérité ont été non seulement désastreuses pour la croissance (le PIB a fondu de 25% et le taux de chômage a triplé), mais aussi contreproductives pour les finances publiques : la dette publique représente désormais 174% du PIB, contre 113% en 2010. Lors de la restructuration de mars 2012, les créanciers privés avaient accepté une décote de 50% à 75%, ce qui a permis d’effacer 100 milliards d’euros d’obligations. La Grèce doit donc aujourd’hui un total de 320 milliards d’euros à ses créanciers, dont 9 milliards à rembourser cette année au FMI, 6,7 milliards à la BCE ainsi que 15 milliards aux banques grecques. Or les caisses de l’État sont quasiment vides.

Que propose le nouveau gouvernement pour réduire le fardeau de la dette?

Deux choses : d’un part, de remplacer les prêts accordés par les partenaires européens par des obligations indexées sur la croissance : plus le PIB de la Grèce progresse, plus le taux d’intérêt du prêt serait élevé. Comme l’explique Romaric Godin dans La Tribune, il s’agit « d’inverser les priorités par rapport au programme de 2012 : on ne fait pas passer la capacité de remboursement de la dette avant la croissance, on adapte cette capacité à la croissance ». D’autre part, de remplacer les obligations détenues par la BCE par des obligations “perpétuelles”. Ces dernières ne sont jamais remboursées, mais continuent de produire des intérêts indéfiniment. La BCE pourrait donc aisément les revendre à des investisseurs cherchant des placements de long terme.

N’est-ce pas une demande moins ambitieuse que prévu?

Si. Durant sa campagne électorale, Alexis Tsipras promettait d’exiger l’annulation de la moitié de la dette. En édulcorant sa demande, il tente de rassurer les États européens, puisqu’une simple restructuration ne les obligerait théoriquement pas à inscrire de pertes aux budgets nationaux, et serait donc plus facile à faire passer politiquement auprès des contribuables. Il n’empêche que ce réaménagement serait quand même bénéfique à l’État grec, qui dégagerait ainsi des moyens pour investir dans le pays.

Mais encore faudrait-il, pour pouvoir remonter la pente, qu’Athènes obtienne que ses futurs emprunts auprès des Européens ne soient plus du tout assortis des mêmes conditions de réformes structurelles et de rigueur budgétaire qui ont plongé le pays dans la récession et la déflation. Or pour le moment, Varoufakis a confié au Financial Times lundi qu’il a plutôt l’intention de continuer de dégager un excédent budgétaire primaire, même si cela implique de renoncer à des dépenses publiques promises lors de la campagne de Syriza. Certes, le gouvernement compte sur son programme de lutte contre la fraude fiscale des riches pour remplir les caisses de l’État, mais ceci ne suffira pas.

La Grèce peut-elle obtenir gain de cause?

Le gouvernement a en tout cas réussi un joli tour de force en annonçant vendredi qu’il ne discutait plus avec la Troïka et qu’il ne voulait pas de la dernière tranche d’aide de 7 milliards d’euros qui devait être versée à la fin du mois. « Pour la première fois vous avez un gouvernement qui dit : “Nous ne vivons pas pour la prochaine tranche, comme un drogué qui attend sa prochaine dose” », lance Varoufakis dans un entretien au Monde.

La stratégie est audacieuse : théoriquement, dès lors qu’Athènes ne respecte plus les conditions de la Troïka, la BCE est censée couper l’accès des banques grecques au programme ELA d’aide à la liquidité d’urgence. Or ceci reviendrait très exactement à faire sortir la Grèce de la zone euro. Faute de liquidités dans les banques, le gouvernement serait en effet contraint de réarmer sa banque centrale nationale et d’imprimer sa propre monnaie pour empêcher un effondrement bancaire national.

Le gouvernement grec transfère ainsi habilement à la BCE la responsabilité d’éviter l’éclatement de la zone euro par la prolongation du programme ELA, et incite ses partenaires européens à engager des négocations sur de nouvelles bases : « La bonne stratégie pour Sisyphe est d’arrêter de pousser son rocher, pas de le monter en haut de la colline, explique Varoufakis au Monde. Nous voulons discuter avec nos partenaires pour être sûrs que, quand on empruntera de nouveau, ce sera dans le cadre d’un plan durable. Il est possible de le mettre en place en quelques mois. »

L’Allemagne va-t-elle accepter une restructuration?

C’est la grande inconnue de l’équation. Syriza voit dans l’essor de Podemos en Espagne et dans les mesures de « quantitative easing » décidées récemment par le président de la BCE Mario Draghi les signes d’un mouvement général de rejet de l’austérité en Europe qui isole l’Allemagne. De plus, Tsipras a revu ses ambitions à la baisse précisément dans l’espoir d’amadouer Berlin. Mais juste avant les élections, Angela Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble ont fait savoir que si la Grèce tentait déchapper, même partiellement, au remboursement de sa dette, ils n’auraient pas de scrupules à la laisser quitter la zone euro.

Il y a malheureusement des raisons de penser qu’ils ne bluffent pas. D’une part, l’Allemagne est viscéralement attachée au respect des principes de discipline budgétaire qu’elle a fait graver dans le marbre des traités européens. Même si le montant de la dette grecque est en fait relativement insignifiant et que son effacement ne générerait pas des pertes insurmontables, l’Allemagne ne veut surtout pas envoyer aux autres pays en difficulté le message qu’il est admissible de déroger à l’orthodoxie budgétaire. Deuxièmement, la « haircut » de 2012 a eu pour conséquence de transmettre le plus gros des titres grecs aux mains des créanciers publics. L’UE, le Mécanisme européen de stabilité (MES), le FMI et la BCE détiennent en effet 254 milliards d’euros, contre 44 pour le secteur privé. Autrement dit, un “Grexit” ne représente plus un risque systémique pour les banques européennes.

C’est pourquoi Merkel et Schaüble « jugent supportable une sortie du pays de la monnaie unique en raison des progrès accomplis par la zone euro depuis le sommet de la crise en 2012 », assurait le Spiegel début janvier. L’Allemagne pourrait donc se montrer inflexible jusqu’au bout, en pariant sur le fait qu’Alexis Tsipras, qui répète depuis deux ans qu’il s’oppose à toute sortie de l’euro, finira par rentrer dans le rang. Il ne lui resterait plus alors qu’à renoncer à une véritable restructuration et à poursuivre les « réformes structurelles » engagées par ses prédecesseurs.

La Grèce a-t-elle un plan B ?

Si l’UE refuse de lui accorder un nouveau prêt dans de bonnes conditions, la Grèce pourrait-elle chercher de l’argent ailleurs pour éviter le défaut de paiement ? Certains commentateurs évoquent un possible recours à la banque de développement que les cinq grands pays émergents, (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont créée en juillet dernier. Athènes pourrait-elle toquer à la porte de cette nouvelle institution? A priori, cette dernière n’en a ni les moyens, ni la vocation. Son capital initial s’élève à 50 milliards de dollars – soit plus de quatre fois mois que celui de la Banque mondiale. Et elle a pour objectif de financer de grands projets d’infrastructures dans les cinq pays concernés.

Cependant, le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, avait déclaré jeudi dernier que la Russie envisagerait d’accorder une aide financière à la Grèce si celle-ci lui en faisait la demande. Après tout, le parti souverainiste ANEL qui est au gouvernement avec Syriza est pro-russe, tout comme le ministre Syriza des affaires étrangères, Nikos Kotzias. Alexis Tsipras est allé rendre visite, dès son premier jour aux affaires, à l’ambassadeur russe et surtout il a menacé de mettre son veto aux sanctions européennes contre la Russie. Cependant, le précédent chypriote n’est guère encourageant. Nicosie avait demandé en vain de l’aide aux Russes pour éviter un plan de sauvetage européen, et pourtant c’était avant la chute du prix du brut qui affaiblit aujourd’hui la Russie.

Surtout, il est douteux que la Russie puisse avancer les sommes nécessaires en cas de réelle crise. Lors des élections grecques de juin 2012, la BCE avait dû concéder jusqu’à 135 milliards d’euros d’aide aux banques grecques via le dispositif ELA. Autrement dit, la Russie pourrait allonger un prêt symbolique, mais seule la BCE a la force de frappe suffisante pour faire face à une crise de liquidité des banques grecques. Dans ces conditions, il est certainement plus prudent de ne pas braquer l’UE en se jetant dans les bras de la Russie. Tsipras a en tout cas exclu lundi de se tourner vers Moscou pour le moment.

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