L’espoir grec : ne pas se tromper de bataille

L’espoir grec est-il que la victoire de Syriza va aider à faire bouger l’Union Européenne ? Ou bien est-il que cette victoire va entraîner un processus de destruction de cette Union et d’abord de l’euro ?

Dans mon compte rendu des prises de position des économistes à l’approche des élections grecques, j’avais noté le soutien à Syriza de nombreux économistes critiques français et étrangers et le silence bruyant des économistes français orthodoxes partisans, en toutes choses des règles du marché et de la lutte contre les rentes de situation, sauf pour ce qui les concerne. Constatons que le silence perdure, alors que tout le monde a maintenant le devoir d’agir.

Illusion « européiste » ?

Mais je dois dire que j’étais passé à côté du point de vue de Frédéric Lordon, l’un des fondateurs des Économistes atterrés, très critique à l’égard du programme de Syriza et de son leader Alexis Tsipras : « l’étau allemand et les inconséquences de la formation grecque condamnent celle-ci à des acrobaties douloureuses ».

Frédéric Lordon pourfend, en fait, toute volonté de rester dans l’euro, toute aspiration à un New Deal européen. Tout cela n’est, selon lui, qu’« européisme » et illusion. Illusion qu’il soit possible de faire réellement changer de cap à l’Union européenne sans la détruire préalablement. Et illusion qu’un tel programme puisse être autre chose que des aménagements mineurs. Le fond de l’affaire serait que l’Allemagne ne voudra pas et que c’est elle qui mène la danse. Le compromis est impossible. Tsipras et Syriza ont tort de s’inscrire dans la recherche d’un accord. « Le salut pour Syriza ne viendra ni de quelque compromis européen, ni d’une chimérique reconstruction institutionnelle à froid, promesse aussi vide de réalisme politique que faite pour être renvoyée à des horizons perpétuellement repoussés. Mais l’inanité des fausses solutions n’exclut pas qu’il y en ait de s’inscrire dans la recherche de vraies. Puisqu’il y a toujours une alternative. En l’occurrence, non pas caler le pied de table, pour ravauder son estime de soi avant de passer dessous, mais la renverser. »

En étrange compagnie

Affublant d’un petit nom qui se veut méprisant tous ceux qui ne partagent pas son point de vue, Frédéric Lordon ne devra pas s’étonner d’être rangé lui-même dans la case nationaliste, quoi qu’il en dise. Car enfin, dans sa prise de position en faveur de la sortie de la Grèce de l’euro, il ne se trouve pas seulement en compagnie de son collègue Jacques Sapir, mais aussi de celle de Hans-Werner Sinn, le très ordolibéral et influent économiste allemand, sans compter les propos de madame Merkel indiquant aux Grecs, deux semaines avant les élections, que la porte de la sortie de l’euro leur était effectivement ouverte s’il leur prenait le désir de changer de programme et de vouloir obtenir une réduction de leur dette.Face à quoi, Frédéric Lordon se livre à beaucoup de circonvolutions pour expliquer à la fois que l’Allemagne use de la menace et que la Grèce devrait néanmoins le faire.

Pour joindre les deux bouts de cette étrange dialectique, il explique que le but de l’Allemagne est d’empêcher la contagion à L’Espagne qui va bientôt voter… avant que la Grèce ne tire bénéfice de sa sortie de l’euro. « Car il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’entre difficultés logistiques de la réinstallation de la drachme, imperfections de la mise en place des contrôles de capitaux, super-dévaluation de fait, immédiateté de l’inflation importée, temps de réponse des exportations, etc., un processus de sortie-défaut commencera par une phase passablement chaotique, dont la stabilisation, puis la matérialisation des bénéfices, demanderont au moins douze et plus probablement dix-huit mois. Fin 2015, ce sera le fond du creux – soit la plus mauvaise image possible à offrir pour une stratégie de sortie de l’euro, et un caviar pour les « on vous l’avait bien dit » européistes. »

Dix-mois mois, deux ans pour qu’une sortie de l’euro réussisse, foi d’économiste hétérodoxe qui n’a pas lu cela dans le marc de café mais vous le garantit du plus profond de sa science ! Foi partagée par Hans Werner Sinn qui le dit aussi : la sortie de l’euro pour les Grecs c’est « la sortie de la vallée des larmes ».

Illusion souverainiste

Comme si la sortie de la Grèce de l’euro ne serait pas une première étape dans un démantèlement plus que chaotique de toute la zone. Comme si cela ouvrirait la voie à moins de compétition par les coûts salariaux. Comme si cela ouvrirait la voie à plus de transferts de solidarité et de coopérations productives. Comme si cela n’entraînerait pas une surenchère de dévaluations compétitives et de rétorsions protectionnistes. Comme si, dans un contexte de crise européenne durable et profonde, ce n’était pas ouvrir une redoutable boîte de pandore politique. C’est une illusion que de penser que le peuple grec, et à leur suite les autres peuples d’Europe, pourraient ainsi retrouver leur souveraineté, c’est-à-dire leur liberté de choix démocratique, seuls, dans la mondialisation capitaliste financiarisé.

C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je me situe, modestement mais résolument, dans l’hypothèse que le gouvernement Tsipras est un espoir pour modifier le cours de l’Union européenne et de la zone euro, ici et maintenant. À condition bien sûr de ne pas rester les bras croisés contre tous ceux qui ne veulent rien changer ou qui veulent changer trop peu.

Dans la partie cruciale qui s’engage, les questions forment un bloc. Ce sont la réduction de la dette grecque, le rejet de la tutelle de la Troïka, la fin de l’austérité, la mise en œuvre de réformes structurelles qui s’attaquent au clientélisme et aux autres formes de pillage de la Grèce. C’est en même temps un nouveau développement des capacités de production de ce pays et la manière dont l’Europe doit y contribuer. Et déjà, nous avons affaire non seulement à Mme Merkel et à M. Juncker, mais aussi à M. Macron qui proclame qu’il ne voit pas en Grèce « la possibilité d’une nouvelle politique économique » et à M. Sapin qui ne veut pas entendre parler d’une annulation de la dette grecque. Et aussi aux dirigeants de la BCE ou à ceux du FMI qui proclament qu’il n’est pas question de réduire les dettes grecques qu’ils détiennent, etc. Comme nous avons affaire avec l’idée que réduire la dette grecque, ce serait faire payer les contribuables européens et notamment français.

Bref, pour que vive l’espoir grec, nous ne devons pas nous tromper de bataille.

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