Romain Rolland

Pierre Sipriot publie Guerre et paix autour de Romain Rolland. La guerre, c’est celle de 1914-1918, saisie au fil des jours. La paix, c’est celle que le grand écrivain défend,  » au-dessus de la mêlée  » (1).

Romain Rolland se trouve en Suisse quand la guerre éclate. Il a 48 ans, il n’est pas mobilisable, mais aussitôt, armé de sa plume, il se  » mobilise  » en faveur de la paix. Multipliant les rencontres, les appels, les manifestes, il invite les élites culturelles des pays en guerre à s’unir pour libérer les esprits de passions nationales ( » La France ne vaut pas mieux que l’Allemagne, écrit-il. Ce sont deux bêtes enragées qui ne songent plus qu’à se dévorer « ). Il n’est pas suivi. Bergson soutient l’opinion commune: la lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte de la civilisation contre la barbarie… En Allemagne, le Manifeste des 93 (intellectuels) exalte la conscience patriotique allemande. En France, Romain Rolland est traité d’ » agent grassement payé de Berlin « , d’ » allié des Boches « , accusé de vouloir  » assassiner la France « . Lucide, il écrit en 1915:  » Qui s’obstine à défendre, au milieu de la guerre, la paix entre les hommes, sait qu’il risque pour sa foi, son repos, sa réputation et ses amitiés mêmes. Mais que vaudrait une foi pour laquelle on ne risque rien ?  » Il rédige aussi un texte grandiose sur les  » Peuples assassinés « . C’est le célèbre cri:  » Peuples infortunés (…) jamais consultés, toujours sacrifiés, acculés à des guerres, obligés à des crimes qu’ils n’ont jamais voulus… » Ce texte, paru en Suisse, est censuré en France. En 1916, toute la presse française attaque l’écrivain, hormis (cette presse-là mérite bien d’être citée) l’Humanité, la Bataille syndicaliste, la Guerre sociale, le Bonnet rouge, la Vie ouvrière, le Mercure de France.

La position politique de Romain Rolland est particulière. En 1916, il se dit proche des socialistes internationalistes qui ont dénoncé l’Union sacrée et affirment que  » cette guerre n’est pas notre guerre « . Il a pris conscience des intérêts économiques qui sous-tendent le conflit, mais il refuse de mettre au premier plan la lutte des classes: il faut d’abord restaurer la communauté humaine  » criminellement dissoute « . Fidèle à son idéal de liberté individuelle et de justice sociale, profondément mystique, homme d’aucune religion mais qui les embrasse toutes, sa vision du monde est celle d’une  » grande famille humaine « , vouée à se développer, matériellement, spirituellement, en harmonie et fraternité.

L’évolution d’une expérience intérieure exceptionnelle

C’est dans cet esprit qu’en 1917 il apporte son soutien généreux, passionné, à la révolution russe (Aragon le saluera plus tard comme  » l’un des premiers écrivains soviétiques de France « ). Il a immédiatement saisi l’importance historique de cette révolution, il partage sa grande espérance. Dans son lyrique Appel en faveur des bolcheviks, figure une mise en garde prémonitoire:  » Frères de Russie (…) nous n’avons pas seulement à vous féliciter; nous vous remercions. Ce n’est pas pour vous seuls que vous avez travaillé, en conquérant votre liberté, c’est pour nous tous, vos frères du vieil Occident (…) Souvenez-vous de la Convention française, comme Saturne, dévorant ses enfants ! Soyez plus tolérants que nous ne l’avons été.(…) Que votre Révolution soit celle d’un grand peuple, sain, fraternel, humain, évitant les excès où nous sommes tombés ! « .

Le livre de Pierre Sipriot, passionnant, foisonnant, riche de facettes multiples, éclaire minutieusement un grand pan d’histoire, en même temps qu’il met au jour, dans toute sa complexité, l’évolution d’une expérience intérieure exceptionnelle. Il a le mérite, rare aujourd’hui, de restituer les événements historiques dans leur contexte exact, sans faire jouer le jugement a posteriori qui les fausse. On assiste aux rencontres de Romain Rolland avec Einstein, Herman Hesse, Stravinski, Stefan Zweig, Gorki (qui le reçoit en URSS en 1935), ainsi qu’à l’étonnant entretien de Romain Rolland avec Staline qui, après les procès de Moscou, lui apparaît aussi  » révoltant  » que Mussolini et Hitler (dès 1933, Romain Rolland a dénoncé Hitler comme l’ennemi de l’humanité,  » le monstre « )…

Avec la  » découverte  » de l’Inde, c’est la certitude pour l’écrivain d’un nouvel humanisme capable d’embrasser  » les forces spirituelles du monde entier « . Il se voudrait le trait d’union entre les deux révolutions qui lui sont chères, celle de Lénine, celle de Gandhi… Le vieux monde renversé, il voit se lever, dans la paix générale, un homme libre de toutes les dominations et oppressions modernes…n S. B.

Pierre Sipriot, Guerre et paix autour de Romain Rolland (le désastre de l’Europe, 1914-1918), éditions Bartillat, 430 p., 145 F

1. C’est le titre d’un texte  » adressé à la jeunesse héroïque du monde « , puis celui du volume qui, regroupant ses articles et publié en 1915, connaît un grand retentissement en France et à l’étranger.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *