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A l’usine Métro, boulot, expo est le fruit d’une thèse de doctorat. Jean-Michel Leterrier (1), son auteur, n’est pas un pur produit de l’Université: ouvrier à seize ans, il en passe douze en usine, avant de se consacrer à l’action culturelle. C’est dire s’il connaît son sujet de l’intérieur.
Son analyse, pertinente, fouillée, savamment illustrée, nous plonge dans l’univers relativement peu connu (car partiellement analysé) de l’activité culturelle menée par les comités d’entreprise. Son exhaustivité en la matière fait figure d’exception, et plus précisément sur le rapprochement de l’art et du monde de l’entreprise.
Jean-Michel Leterrier tente une classification thématique des différentes formes d’intervention des CE, à l’aide d’outils par lui-même forgés. Ici, ce sont les notions de médiation (idée d’un » art à domicile « , d’expositions au coeur de l’entreprise), d’éducation (volonté à plein revendiquée, par le milieu ouvrier, d’une instruction artistique), de créativité populaire (pratique des amateurs) de métissage enfin (thème tardivement apparu, passionnante initiative consistant, au sein de l’entreprise, à faire réaliser des oeuvres par des artistes). Cette classification prend figure de long examen, dont l’intérêt est nourri de maints exemples.
Une réflexion sur la réceptivité des oeuvres d’art
L’abondance des matériaux, chaque fois singuliers, étoile la réflexion sans la rendre absconse. Ici ou là, on aimerait voir développée telle ou telle remarque en passant. Lorsqu’il dit, notamment, qu’ » il faut raccourcir la distance entre les oeuvres de la création et le monde du travail « , Jean-Michel Leterrier ajoute ceci: » formulation à la fois explicite et ambiguë « , mais il se » rattrape » à la fin, au fil d’une analyse extrêmement fine de la culture esthétique des salariés. Dans le sous-chapitre intitulé » Culture du travail et discours esthétique des salariés « , il effectue, sans conteste, un retournement salutaire puisque y est reconnue, à part entière, une forme de culture populaire, non codifiée, non prise en compte par la sociologie. L’auteur parle d’une culture plastique » sauvage « , sorte de face cachée de la culture » légitime » (entendue comme celle que perçoit la sociologie). Cette culture, qui ne se laisse pas approcher par les modes d’acquisition méthodologiques traditionnels, est ici envisagée en termes d’acquis et de valeurs.
On voit bien l’utilité d’un tel travail, fouillé, puisqu’il permet » de renouveler, ainsi que l’écrit l’auteur, les approches de la sociologie de l’art, de l’esthétique et des conditions d’accès et d’appropriation de la création artistique « , ainsi que les conditions d’une politique de démocratisation propre au monde du travail. C’est en cela que la connaissance des comités d’entreprise et de leur action fera date, dans la réflexion et les connaissances sur la réceptivité des oeuvres d’art. Formulant ce voeu en fin d’ouvrage, Jean-Michel Leterrier ajoute: » Puisse le présent travail susciter des études dans cette direction. » .
1. Responsable de la politique culturelle de la CGT.Métro, boulot, expo.Les comités d’entreprise et les arts plastiques, éditions La Dispute 1997, 250 p., 160 F.
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