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Longtemps, le cinéma anglais a été tenu en piètre estime. Voire méprisé, comme dans cet article du Guardian qui, en 1991, s’interrogeait:  » Qui se soucie encore de savoir s’il existe ou non un cinéma britannique ?  »

Six ans après l’apostrophe du journal anglais, le démenti est spectaculaire. Au cours des derniers mois sont sorties des oeuvres aussi contrastées et intéressantes que Ne pas avaler de Gary Oldman, the Full Monty de Peter Cattaneo ou les Virtuoses de Mark Herman. Ken Loach vient de terminer le tournage de son dernier film, My name is Joe. Mike Leigh, après sa Palme d’or avec Secrets et mensonges, a sorti récemment sur les écrans français Deux Filles d’aujourd’hui. Tous ces longs métrages reposent sur un tissu social similaire. La volonté de s’ancrer dans la réalité quotidienne est très forte et révèle une sensibilité spécifiquement anglaise autant qu’une opération plus mercantile (the Full Monty est un succès dans le monde entier. En France, il avait attiré, début décembre, plus de 1,5 million spectateurs).

Ken Loach, précurseur du film de critique sociale

Cette vogue actuelle doit, en grande partie, son origine à un seul homme: Ken Loach. Son engagement politique a toujours été inséparable de sa conviction de la force des images pour dénoncer les abus de toutes sortes. Ses films baignent dans un mélange de réalisme et d’humanité pour des laissés-pour-compte chômeurs ou marginaux. Paradoxalement, les milieux culturels ont vu, dans cette attitude, plus de défauts que de qualités. Pendant près de dix ans, il n’a pratiquement pas tourné, bridé par le système. Il n’a pas été reconnu avant le succès cannois de Raining Stones en 1993. Même si Ken Loach a surtout lutté contre Margaret Thatcher et la politique qu’elle incarnait – Regards et sourires (1981) ou Ladybird (1994) sont nés de cette volonté de témoigner contre l’inéluctable – la montée en puissance du parti travailliste ne l’a nullement servi. Il s’attaque à eux, aussi bien qu’aux syndicats trop frileux à son goût.

The Full Monty ou Ne pas avaler sont les enfants de cette frustration. Les Virtuoses se termine sur cette phrase:  » Depuis 1984, le gouvernement britannique a fermé 140 puits de mine et ainsi privé de travail 250 000 personnes dont la vie a été brisée. » Il y a, chez ces jeunes réalisateurs, la volonté de s’interroger sur ce qu’est devenue l’Angleterre moderne. Ken Loach a servi de précurseur. Sans lui, le cinéma britannique n’aurait continué qu’à parodier les vieux succès de David Lean ou Laurence Olivier. Gary Oldman ou Peter Cattaneo reprennent la critique sociale mais l’adaptent au goût du jour. Le premier avoue avoir été influencé par Scorsese et Cassavetes. Le second joue sur un comique de situation parfois un peu épais.

Le  » petit film  » britannique, phénomène de mode ?

Le spectateur est toutefois amené à se demander s’il n’assiste pas à un phénomène de mode. Chaque  » petit  » film britannique est accompagné par une rumeur flatteuse. On l’encense sans préciser que le cinéma anglais repose entre les mains des compagnies hollywoodiennes. Miramad a produit les Virtuoses. Une filiale de la Fox s’est occupé de the Full Monty. L’équipe a été laissée totalement libre. Mais que se passera-t-il le jour où ils perdront de l’argent ? Parallèlement, les écrans britanniques sont dominés par la production américaine. Le succès des multiplexes outre-Manche (68 en 1995 contre 1 en 1985) leur est largement dû. Mais un spectateur du Yorkshire a moins de chance de voir un film de son pays qu’un Parisien. La distribution favorise plutôt le dernier Spielberg. Economiquement, le public ne provient pas du même milieu que la communauté minière des Virtuoses. A Londres, une place de cinéma peut atteindre 9 livres (90 F).

Le ministre du cinéma, symbole d’une politique culturelle

Depuis le 1er mai dernier, l’élection de Tony Blair pourrait considérablement transformer la situation. Les charges pour les productions ont été baissées. Cela permettra de créer près de 11 000 emplois. Plus symboliquement, un poste de ministre du cinéma a vu le jour. Il s’agit maintenant de voir quel type d’oeuvres va surgir de ces réformes. Dans d’autres domaines, la politique travailliste n’a pas apporté les résultats escomptés. Pendant des années, Mike Leigh ou Stephen Frears se sont nourris de la haine qu’ils éprouvaient face aux conservateurs. Ne vont-ils pas perdre une partie de leur inspiration avec l’échec de John Major ?

Le seul acquis des années Thatcher se situe peut-être dans le mariage incongru (pour nous, Français) mais heureux entre cinéma et télévision. Un metteur en scène comme Ken Loach réalise, régulièrement, des reportages pour Channel 4, la chaîne culturelle anglaise. Son dernier documentaire, les Dockers de Liverpool (diffusé sur Arte) sonne comme un bilan. Il s’éloigne de la volonté d’étendre une certaine réalité sociale au grand public et se concentre, au contraire, sur une situation aride. La grève de ces dockers est sans espoir. La détresse de ces gens abandonnés par tous résonne comme un cri d’alarme. Le dernier pouvoir du septième art ne réside-t-il pas, aujourd’hui, dans cette capacité à enregistrer l’angoisse de ceux qui se noient ?

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