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La grogne des gens de théâtre Zladek, soldat de l’Armée noire est une pièce peut-être jamais représentée en France, de l’écrivain hongrois de langue allemande Odön von Horváth. Elle est jouée à Gennevilliers dans la mise en scène de Jacques Osinski qui l’a créée au Festival » En Mai » de Dijon.
Né en 1901, Horváth écrit en 1928 une première version de Zladek, puis, en 1929, une seconde (1), l’amputant de tout un acte, afin que la pièce puisse être jouée au Lessing Theater de Berlin. Encore y déchaîne-t-elle de violentes attaques des nationaux-socialistes. La visée de l’auteur, qui se déclare » résolument contre l’écriture manichéenne « , est de montrer dans le personnage de Zladek » les forces de la société qui ont produit ce type d’homme « . Cette société est déjà travaillée par un nationalisme revanchard et un antisémitisme qui rendent extrêmement troublés les débuts de la République de Weimar. C’est qu’elle doit assumer l’humiliation de la défaite, exacerbée par l’occupation de la Ruhr, et n’arrive pas à juguler une inflation galopante. D’où l’engrenage de la violence obtuse où se trouve pris le jeune Zladek, enrôlé dans l’Armée noire, moins par conviction que par manque de repères et par fatalisme: » Dans la nature, ça tue, ça ne changera pas. » Cette Armée noire, elle existe, ça se sait, mais il est très dangereux de paraître même soupçonner son existence. Ce n’est jamais que 5 000 fanatiques ultra-nationalistes, mais pratiquant le terrorisme, et le plus radical de ces corps francs qui veulent établir » une dictature nationale « .
Le texte de Horváth, une écriture à chaud mais prémonitoire
Clandestine et devant le rester, elle a en sous-main l’appui du haut commandement de la République, jusqu’au moment- élections législatives qui marquent le recul de l’extrême droite, perspective d’amélioration économique-où, en haut lieu, on juge prudent de lui ordonner de se dissoudre. Refusant d’obtempérer, l’Armée noire est réduite à néant par les troupes régulières dans son refuge de la forteresse de Spandau. Zladek, qui se définit » un homme en retrait « , a laissé s’accomplir sous ses yeux l’assassinat » politique » d’Anna, sa maîtresse, mais il a crié » arrêtez « , se rendant ainsi suspect à ce milieu de reîtres orduriers et violents. Il n’empêche qu’il est le seul, » ni un traître, ni un lâche « , à rester aux côtés de son capitaine, alors que les autres prennent la fuite dès le début de l’assaut. A deux reprises, il a croisé le journaliste pacifiste Franz (porte-parole d’Horváth) et entré en discussion avec lui. » J’essaie de penser par moi-même « , assure-t-il, mais rien ne l’y a préparé, les événements le dépassent. Son désarroi d’ » homme de notre temps » (titre du court récit, dernière oeuvre d’Horváth) s’en accroît, bien qu’une certaine prise de conscience émerge. La deuxième version de la pièce s’achevait par la mort de Zladek dans l’assaut de la forteresse.
Jacques Osinski a le mérite d’avoir choisi la première version, reprenant en compte le IIIe acte sacrifié, qui révèle un esprit Armée noire toujours vivace. Franz est jugé pour » tentative de haute trahison « : le journaliste a dénoncé l’existence du groupuscule terroriste, violant le tabou du silence. Zladek, par contre, jugé pour l’assassinat d’Anna, est condamné puis amnistié, indulgence significative d’un état d’esprit général.
Un spectacle foisonnant, autour de 25 personnages
L’Allemagne est mûre pour tomber dans les bras d’Hitler. Déboussolé et amer, Zladek ne songe plus qu’à émigrer au Nicaragua: » on étouffe…c’est trop étroit ici « . Horváth écrit à chaud mais il est prémonitoire. On peut voir se profiler l’Allemagne d’après Hitler: juges compréhensifs et fuite protégée des criminels nazis vers l’Amérique latine. Jacques Osinski, qui a à son actif cinq mises en scène, dont la Faim, de Knut Hamsun présenté au Théâtre de la Cité internationale, s’affronte à une oeuvre foisonnante qui comporte 25 personnages. Il s’en tire, et fort bien, avec sept comédiens, Jérôme Kircher n’assumant qu’un rôle, celui de Zladek, et Nicolas Bonnefoy, presque uniquement celui de Franz. Tout se passe sur un vaste plateau en ellipse posé sur la scène; peu d’accessoires, c’est le jeu des lumières qui localise les lieux de l’action. La traduction est d’Henri Christophe, le meilleur connaisseur du théâtre autrichien, organisateur, sous son nom de Heinz Schwarzinger (2), de cycles de lectures d’auteurs dramatiques autrichiens, qui se déroulent chaque année. Un médiateur éclairé entre deux cultures.
La grogne des gens de théâtre
Pas une semaine ne s’écoule depuis l’été sans qu’un article sur le ministre de la Culture, le budget du ministère, le théâtre public, ses subventions et le rôle de l’Etat ne paraisse. Les titres sont parfois alarmants: » Mais que fait le ministre ? » (Télérama), » Les subventions étouffent-elles la créativité ? » (le Figaro), » Un ministre de la Culture est-il nécessaire ? » (France-Inter). Les gens de théâtre sont inquiets; ils se réunissent en colloque au Théâtre du Quartz à Brest ( » Pour la refondation du Théâtre public « ). Aucune publication n’en sort. Seulement deux interventions paraissent dans le Monde: » Inutile et glorieux théâtre » signé Jean-Loup Rivière, conseiller artistique et littéraire à la Comédie-Française, et » Politique des arts de la scène: du discours à la réalité » signé Pierre Hivernat, responsable de la rubrique » Scènes » des Inrockuptibles. Politis, quant à lui, lance un appel » Pour un service public au service du public » mettant directement en cause » le carriérisme » et » l’irresponsabilité » de certains directeurs d’équipement, et se déclare » scandalisé » par » certaines tendances actuelles dans le théâtre public « .
Le Syndicat des directeurs de théâtres et d’établissements d’action culturelle (SYNDEAC), silencieux jusqu’à présent, appelle à une assemblée générale extraordinaire à Nanterre, au Théâtre des Amandiers, début de ce mois de janvier 1998. Le débat est donc vif, pas toujours clair. La profession grogne, s’interroge mais reste divisée. Les clivages sont multiples: entre les directeurs de théâtres nationaux et les compagnies, entre la génération issue des années 70, et celle qui émerge aujourd’hui, entre les artistes et les gestionnaires de scènes nationales. Le débat tourne autour de trois thèmes: budget, déconcentration des budgets, nouvelle charte du service public. La profession a été refroidie à Avignon, quand la ministre Catherine Trautmann, bénéficiant pourtant d’un préjugé favorable, a annoncé qu’elle entérinait le gel sans précédent des crédits en 1997, proposés par le précédent ministre de la Culture. L’augmentation annoncée pour 1998, qui n’atteint pas le 1% promis par Jospin dans sa campagne électorale, n’a pas calmé les esprits. La » déconcentration » doit s’appliquer dès le 1er janvier de cette année; elle consiste à transférer aux préfets de région, assistés de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), la gestion des subventions d’Etat. Les gens de théâtre, qui ont déjà fait de tristes expériences, à Verdun, Chateauvallon ou Corbeil-Essonne, en ce qui concerne le clientélisme, la primauté de l’intérêt politique et local, se méfient grandement. Ils craignent un désengagement de l’Etat sur le plan moral et financier.
A cette crainte de dérive, la ministre répond qu’il s’agit de » responsabiliser l’Etat » qui » doit piloter, initier, évaluer « . Catherine Trautmann annonce donc une véritable redéfinition du rôle de l’Etat et propose une charte de refondation du théâtre public. Le débat est donc vaste et se situe historiquement au centre de la vie culturelle française, très exactement au lieu de » l’exception culturelle « . S’il est vrai qu’on ne peut plus simplement se référer à Jean Vilar et à Jeanne Laurent dans une société qui traverse une profonde crise sociale, le théâtre ne peut se contenter de se regarder lui-même. Il paraît effectivement nécessaire de replacer la question du public au centre du débat. S’il est dangereux d’instrumentaliser l’art pour en faire un objet socioculturel (réduire la fracture sociale), il paraît tout aussi dangereux de le réduire à un produit de simple consommation culturelle. Peut-être est-il temps, enfin, de sortir du mauvais débat: Théâtre d’art/Théâtre populaire; Théâtre d’art/Action culturelle. La profession attend d’un gouvernement de gauche un geste politique fort qui va dans le sens d’un grand théâtre de service public.
Par Sylviane Gresh
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