Maurice Roche

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Maurice Roche, rendez-vous posthume Décédé le 19 juillet 1997, Maurice Roche est l’un des écrivains contemporains les plus importants. Viennent de sortir deux livres, qu’il avait achevés. Vrais testaments après son Testament de 1979.

Voici donc Maurice Roche entré en postérité. Avec deux livres: (Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil) et (Grande Humoresque opus 27). Ne serait-ce pas une facilité que de considérer la mort comme l’un des thèmes majeurs de l’auteur de Camar (a) de ? Bien sûr, le titre de Grande Humoresque – que nous nommerons GH – se situe encore sur ce terrain si l’on veut interpréter le mot créé en l’inclinant plus du côté des  » humeurs  » (Roche n’oublie jamais qu’il a été étudiant en médecine) que de celui de l’humour, même si l’écrivain jongle en permanence entre ces deux topologies. N’essaie-t-il pas, plutôt, de faire rendre gorge au langage, de lui faire dire de la réalité ce qu’il aurait pour fonction, en dernière analyse, de masquer ? Par là, faire ressortir la tragédie humaine, qu’un Sartre nommerait liberté et que Maurice Roche tente de traquer, avec un résultat toujours différé.

Des questions ouvertes pour lecteurs courageux

Qu’en est-il donc de  » l’aigresistence  » (Mémoire, 1976, p.81) ?  » qu’eSt-ce QUE LETTrE ?  » (Macabré, 1979, p. XXVIII). Interrogations récurrentes, sans fin peut-être sinon celle de la matérialité du corps. C’est justement la sienne qu’envisage explicitement le romancier – l’indication  » roman  » sous le titre de GH est suivie d’un point d’interrogation. Comme s’il pressentait le grand rendez-vous:  » On reste sur sa fin  » conclut-il avant un  » à suivre « , en italiques et entre parenthèses – qui pourrait bien renvoyer à l’une des oeuvres les plus originales qui puissent se trouver de nos jours. En tout cas, les habitués eux-mêmes ne manqueront pas d’être surpris par le caractère totalisant, achevé, de ce livre ultime qui comporte, fait rare, plus de 200 pages (à titre de comparaison, Je ne vais pas bien, mais il faut que j’y aille, 1987, dans la même collection, en comprend 115 et Compact, oeuvre inaugurale reparue au Seuil en collection rouge, 165). Le fait que GH s’appuie sur une dizaine d’années de la vie d’un village provençal, où a vécu l’auteur, n’explique pas tout. Entrent en coïncidence de nombreuses références culturelles: littérature, bien sûr; musique, le métier originel de l’écrivain lui ayant permis légitimement de s’enorgueillir d’être l’un des premiers signataires de musique concrète – c’était une musique de scène pour les Epiphanies, de Henri Pichette, en 1947; peinture (Camar (a) de, chez Artaud, n’est-il pas aussi un livre d’art ?). L’habillage d’une vie, en quelque sorte, où l’individu cherche pourquoi du sens advient et quels circuits inattendus il peut emprunter, dévoilant les impensés qui, peut-être, commandent le monde:  » On ne peut pas naître et avoir été  » (GH p.12);  » Y avait une paye qu’on l’attendait, l’salaire  » (Mémoire, p.85). Mais tout ne reste-t-il pas, en fin de compte, mystère ? Ou inaccompli ?  » Tout ce qu’on n’a pas fait est plus important que ce que l’on a fait (ou aurait pu faire)… Et ça, fallait le faire !  » (Un petit rien-du-tout…p.23). Errant entre le jour et la nuit (la vue/la vie; l’existence/la mort), la quête de savoir de Maurice Roche ne pouvait emprunter que des chemins inauguraux. Aussi bien ne  » narratise « -t-il pas, n’y a-t-il chez lui ni véritable début ni fin définitive. Tout reste ouvert, à charge pour le lecteur courageux de s’emparer des questions posées. Qu’on le veuille ou non, elles sont là, bien présentes, fussent-elles tapies dans l’ombre, négligées ou rejetées. Tant pis pour ceux et celles qui font mine de rien,  » littérature  » comprise. Après le  » nouveau roman « , quelques expériences  » limites  » (Bataille, Artaud, Sade, Leiris, Blanchot…) et la plus-riche-qu’on-ne-pense histoire du roman baptisé  » structuraliste  » par certains, voici qu’on est revenu au XIXe siècle, voire à une caricature de celui-ci. Maurice Roche, seul ou presque, a poursuivi, infatigablement, son chemin. Pourquoi ?  » Le père de Maurice était ouvrier chez Michelin  » (Un petit…p.31) Ancrages dans les réalités de l’entre-deux-guerres et dans les quotidiennes pratiques du rugby ou de la boxe… Etudes de médecine, de musique. Il était outré que le Who’s Who fasse de lui un fils d’ingénieur; il rappelait fermement, mais sans rancune, qu’Aragon l’avait viré de Ce soir alors qu’il était journaliste. Tout se passe comme si l’écrivain était toujours, par avance, averti (Sans espoir ?)  » On prétend que j’ai le regard perçant mais que je vis dans le flou./Tant mieux. Cela me permet de voir ceux qui m’entourent tels qu’ils sont  » (Un petit…, p.20)

Un écouteur du monde qui intègre à sa culture le quotidien

Il n’a donc pas besoin de donner le change, contrairement à bien d’autres, la  » haine de soi  » effectuant actuellement un retour en force. Donc: les réalités de l’existence, du milieu social et de la recherche. Donc: ce qui révèle cela, dans toutes ses contradictions; le langage, traité alors non pas comme une espèce d’outil neutre propre à révéler un réel plus tangible – fût-il anecdotique -, mais comme un instrument qui intervient directement sur le travail de notre conscience et de notre inconscient, c’est-à-dire, en fin de compte, dans la réalité même. Ne nous étonnons pas, par conséquent, que ce formidable écouteur du monde intègre à sa riche culture le quotidien qui est le nôtre: entre autres références, Gilbert Bécaud, Graham Obree (un moment recordman du monde de l’heure à vélo), Madonna, etc., traversant les riches échanges avec les amis de toujours: Edouard Glissant, Jean Paris (auteur d’un Maurice Roche chez Seghers, coll. » Poètes d’aujourd’hui « ), Jean-Louis Baudry… Autant dire que la modernité – ou l’hyper-modernité, devrait-on dire aujourd’hui – de la page, de ses caractères diversifiés, pensés, composés, procède d’une modernité de l’homme, immergé dans le monde de son temps qu’une grande culture lui permet de resituer en l’historicisant. De nouvelles trouvailles (d’infimes surlignes, par exemple) ne masquent pas le caractère abouti de GH, construit en chapitres dont chacun arbore un exergue et un titre.

Le langage pris en flagrant délit de dire tout et son contraire

Le dernier:  » Dormir, dormir le plus loin possible… » Le rire du lecteur, à chaque fois que le langage est pris en flagrant délit de dire tout et son contraire ( » A force de boire, je me suis altéré « , p.155) s’échappe d’une émotion particulièrement forte de ces deux livres. Qu’a-t-elle de neuf ici ? Le caractère de somme, de bouclage de la boucle ? Ou bien cette  » assumation « , sans gêne aucune, d’une métaphysique pourtant déjà lisible à qui voulait bien ne pas la rejeter ? Un rien, dans Un tout petit rien… Une petite camarade a trucidé le Bibendum en caoutchouc du petit Maurice, lequel ne lui en veut pas après qu’elle lui a avoué avoir commis cela par jalousie:  » ……………. Ze t’aime bien malgré tout; quand tu seras morte ze te ferai empailler et on fera dodo ensemble./ – Sic ! oh ouif ! Ze veux bien  » (p.17). Drame de petits ne sont pas petits et Jean-Louis Baudry, dans le train qui nous emmenait, avec Jean Thibaudeau, vers la vraie cérémonie funèbre de Maurice Roche, s’interrogeait:  » Ne passe-t-on pas toute une vie à essayer de guérir de blessures très anciennes, venues parfois de mots qui n’avaient pas, à l’origine, la même importance ? « . » Et peut-être n’y arrivons-nous pas « , concluait-il. Nous restent Maurice Roche et ses maîtres nommés – François Rabelais et Claudio Monteverdi; ce n’est sans doute pas hasard si tous les premiers livres portent un  » C  » ou un  » M  » en titre – hommage feutré – Compact, Circus, CodeX, Macabré, Maladie Mélodie. Parenté de confrérie (médecine) et rire pour l’un; parenté d’existence avec l’autre ( » Perdre sa vie à la gagner dit le proloète « ) outre un goût pour la musique qui, peut-être mieux que n’importe quel autre art, permet l’illusion de cerner les grandes questions dans ce qu’elles ont de plus vivace, de plus imparable à qui sait ne pas fermer les yeux, fût-ce en pleine nuit.n P. F.

Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil, éditions Gallimard, coll. » Haute enfance « , 115 p., 75 F

Grande humoresque opus 27, roman (?).éditions du Seuil, coll. » Fiction et Cie « , 203 p., 130 F

Maurice Roche, rendez-vous posthume

Ce sont les amis les plus fidèles qui ont accompagné Maurice Roche dans un ultime hommage. Que la chose se soit déroulée en juillet n’explique rien. Les fidèles étaient là, soit: Jean Paris, Jean-Louis Baudry, Jean Thibaudeau, Jean-Pierre Faye, Mathieu Bénézet, Denis Roche, un producteur de  » France-Culture « , etc. Moins de monde, en somme, que pour quelque anonyme. Roche n’en a cure: l’avenir, celui de la postérité, lui appartient.

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