Collage

On part d’une pomme ridée posée sur un coin de table qui, depuis trois ans, mène sa vie sans histoire  » d’avatar froissé  » et l’on en vient à attendre des nouvelles de l’enfant qui est à naître, dans la pièce d’à côté. Celui-là même qui, demain, quand il aura  » la bouche un peu plus haute et la main moins sauvage, [ira] découvrir la table sous un autre jour « . Est-ce bien une pomme, d’ailleurs, cette chose bizarre, ramassée un jour d’automne trois ans auparavant, et dont  » les creux, les rides, rappelaient une tête humaine « ? Peut-être une personne, puisque le narrateur, aux premiers mots de son livre, écrit:  » Près d’elle, je suis les traces de l’histoire de toujours… ». Et ce livre, le Pli de la nappe au milieu du jour (Gallimard) de Bruno Bayen, c’est quoi ? Un roman, celui de cette jeune femme croisée Alexanderplatz, à Berlin qui tiendra en deux lignes, juste assez pour la traversée d’un demi-siècle ? Un traité de savoir-vivre, par lequel  » au moyen des goûts, des textures et de l’aspect des choses [se fabrique] le tissu futur de notre hospitalité « ? Les digressions d’un gardien de musée qui, regardant par dessus l’épaule de Proust, ces verres peints par Chardin  » où quelques gorgées de vin doux se prélassent comme au fond d’un gosier…à côté de verres déjà presque vides, comme, à côté des emblèmes de la soif ardente, les emblèmes de la soif apaisée  » apprendrait au visiteur à marcher à son pas ?

Le charme de ce petit livre est tout entier dans ces dérives concertées. Un effet de montage, en quelque sorte, qui, renvoyant sans cesse de la banalité d’un décor quotidien aux savants arrangements d’une nature morte, sert de tremplin aux successives fictions esquissées que ces rapprochements préparent, amorces de romans que le lecteur pourra, le menant à terme, faire sien. Effet de montage ou plutôt de mise en scène. Passant d’un  » jardin sec  » de Kyoto à une table où sont disposées ces  » oeuvres mortes  » aussi diverses que sont fruits, légumes, fleurs, bêtes, livres, coquillages et nautiles, Bruno Bayen écrit:  » Elles sont nomades, pour que nous soyons sédentaires. Nous ? Généralement des citadins. Les choses nous reviennent. Nous voyons l’arrivage du dehors, la route de l’approvisionnement. » Un autre a dit cela, ou plutôt, poète, l’a montré sans un mot. C’est Pablo Neruda. Sur un promontoire trapu au bord du Pacifique, il a bâti sa maison chilienne d’Isla Negra, ajoutant sans hiatus pièce à pièce au fil des ans, pour y disposer, traces d’une vie formant d’inattendues  » natures mortes « , les trésors ramenés de ses voyages, poupées, coquillages, masques, jouets, bouteilles.

Affaire encore d’une mise en scène de  » l’arrivage du dehors « . Aussi cette maison est-elle toujours vivante et qui la visite aujourd’hui ne peut s’empêcher de penser qu’hier encore le poète ramassait sur la plage en contrebas l’une de ces improbables épaves, portée par les longues vagues du Pacifique. Le livre de Bruno Bayen est comme cette maison du bout de la terre. Habité. On a envie, le lisant, d’y ajouter sa petite pierre, comme, à Isla Negra, de laisser un caillou sur une étagère, pour Pablo. C’est que Bayen est aussi metteur en scène. De théâtre et de cinéma. Et, dans ce Pli de la nappe au milieu du jour de sa propre parole, de son écriture.

Tempête sur l’Asie, comme aurait dit il y a soixante-et-dix ans de cela un cinéaste soviétique qui, il est vrai, ne parlait pas tout à fait de la même chose. Le baht thaïlandais s’effondre, le yen vacille et la bourse de Hong Kong, qui commençait à peine à goûter à l’ivresse capitaliste, a déjà la gueule de bois. L’onde de choc touche une place boursière après l’autre, en une trajectoire qu’on croirait tracée par la plus froide raison financière. Raison ? Vous n’y êtes pas du tout. Dans le Monde du 8 novembre, Monsieur André Orléan, qui a quelque raison de posséder sur la question certaines lumières, puisqu’il est économiste et directeur de recherche au CNRS, révèle que tout cela n’est en fait que poésie pure. Ce n’est pas, bien sûr, le terme exact qu’il emploie, mais c’est bien ainsi que le profane peut le lire. » Si l’on pense, écrit-il, que les marchés ont un rôle essentiellement informationnel et qu’en conséquence il convient de mesurer leurs performances à leur capacité à former des prix qui reflètent fidèlement les données fondamentales des économies, ils sont certainement irrationnels. » Et, pour eux qui n’auraient pas encore compris que le comportement des  » marchés « , ces dieux contemporains, est aussi fantasque que celui de leurs ancêtres qui peuplaient l’Olympe des Grecs, il explique avec force détails que ce qui compte pour les opérateurs de ces marchés, c’est moins son état réel que ce que pensent ses confrères, dans l’espoir de les devancer d’une infime fraction de temps, pour, hausse ou baisse, les gagner de vitesse. Et gagner sur eux. A l’appui de ces explications, monsieur Orléan avance la théorie des  » taches solaires « . C’est trop beau pour qu’on ne le cite pas, même un peu longuement. » Il s’agit, écrit-il, d’une situation théorique où les prix sont corrélés aux taches solaires, non pas parce que ces taches solaires auraient des effets sur la productivité agricole, comme le croyait Stanley Jevons à son époque, mais simplement parce que les individus croient qu’il en est ainsi. Même si cette relation n’est pas objectivement vraie, la croyance unanime des acteurs économiques suffit à la réaliser. » De la poésie pure, on le voit, l’imagination qui dicte sa loi à l’argent. Et il n’y aura que les tenants attardés de la lutte des classes pour penser à ces millions de gens de par le monde réduits au chômage parce que des Golden Boys stressés ont cru voir dans les yeux de leurs concurrents le reflet d’une tache solaire.

Le rationnel, pour ne pas dire la sagesse, on ira donc le chercher du côté de ceux qui n’en font pas métier. Par exemple, chez Charles-Albert Cingria (1883-1954), écrivain suisse bien oublié aujourd’hui. Dans une de leurs collections de poche, les éditions L’Age d’Homme ont publié, sous le titre la Fourmi rouge et autres textes, quelque chose comme une anthologie de lui. Ou plutôt un apéritif, qui donne envie de lire tout ce qu’il a publié, dans des genres si divers. Son préfacier, Pierre-Olivier Walzer, écrit: « Henry Miller, qui professe…une vive admiration pour [C.-A. C.] disait de lui: « Cet homme a l’air d’un clown, ou d’un prêtre défroqué « . Justement, le Suisse se méfie des défroqués et, s’il accepte les clowns, c’est au cirque, et une fois par an. » On ne l’aimait pas, et il semble bien que cela ne se soit pas arrangé avec le temps. C’est que ce chercheur de bibliothèque, spécialiste de la musique du Moyen-Age et des troubadours (on lira dans ce livre cette très curieuse pièce, entre érudition, fiction et canular:  » Musiques et langues romanes en pays romand « ) ne se laissait pas raconter d’histoire quand il s’agissait du monde dans lequel il vivait. Ainsi, de ce début d’un texte de 1931, le Canal exutoire:  » Il est odieux que le monde appartienne aux virtuistes – à ces dames aux ombrelles fanées par les climats qui indiquent ce qu’il faut faire ou ne pas faire- car vertu, au premier sens, veut dire courage. C’est le contraire du virtuisme. La vertu fume, crache, lance du foutre et assassine. »

Dans cette attaque, et dans pas mal d’autres, passe la fureur libertaire qui secoua ce début des années trente, et l’on croit parfois, ici ou dans le réjouissant Grand questionnaire, entendre le jeune Brecht. Une voix qui parle d’autant plus fort que Cingria sait être un observateur attentif.et tendre de ses contemporains. Parlant d’un village de l’Oise, il écrit:  » Il y a beaucoup d’acuité et de sens d’aventure dans les visages ici. Pas mal de réserve, une sorte de puritanisme racial, aussi chez les pauvres, qui est délicieux à contempler dans sa lutte avec une gentillesse, un don facile de soi qui est d’une étonnante venue. » Bref, une lecture roborative, pour les jours où il y a un peu trop de cafard dans les taches solaires.

* Ingénieur à la direction internationale de France-Telecom, membre du Club  » Planetcom  » de l’association prospective 2100.A participé au programme de Globalstar.

1. L’intranet est un réseau local et privé.Il fonctionne avec les mêmes outils que l’Internet: le world wide web (le web, en français: la toile), le courrier électronique (l’e-mail, en français, sur les recommandations de l’Académie française: le mél…), les forums de discussion, mais il est  » réservé  » aux utilisateurs (le personnel d’une entreprise, d’un réseau d’associations, etc.) qui en possèdent le code d’accès.

2. Le  » débit  » est la quantité d’information transmise dans temps donné.La vitesse de transfert s’exprime en bits/seconde (bps).Le minitel est dans les bas débits: de 2,2 à 9,6 kilo bits par seconde (soit 1 024 bps); la télévision est dans les moyens débits: de 1,5 à 5 méga bits par seconde (soit, 1 048 576 bps); la fibre optique est dans les hauts débits: 2,5 giga bits par seconde (soit, plus d’un milliard de bps).

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