Cyberculture

Entretien avec Eric Zinovieff

Demain, le savoir du monde descendra des constellations de satellites, comme Globalstar, qui entre en service dans un an. Balade dans l’avenir technologique de la dissémination de l’information et des cultures.

De l’univers des satellites…

Les satellites sont des infrastructures techniques, des outils qui permettent de transmettre des messages d’un bout à l’autre de la planète. Depuis leur conception jusqu’à leur mise en service, ils sont l’objet d’interventions nombreuses et diverses. Des industriels, qui travaillent pour le civil et le militaire, les construisent. Les plus importants se trouvent aux Etats-Unis: Hugues, Loral, Lokheed, bientôt Boeing,… En Europe, ils ont pour nom Alcatel, Matra, Alenia, DASA Aérospatiale. Une fois fabriqués, il faut procéder à leur lancement. Ariane est le lanceur européen, Delta l’américain. Il y a aussi des lanceurs russes, ukrainiens ou chinois, Zenit, Proton, Longue Marche, etc.

De la gestion du spectre radioélectrique…

Une fois dans l’espace, les satellites émettent sur des fréquences radioélectriques d’où la nécessité d’une réglementation internationale et nationale. L’UIT, l’Union internationale des télécommunications, organisation intergouvernementale auprès de l’ONU, attribue des fréquences à différents types de services au niveau mondial. Il existe des services fixes:  » le point à point « , des services mobiles,  » le point à mobile « , des services de radiodiffusion, de radio-astronomie, de radio-navigation maritime ou aéronautique, etc. L’UIT élabore un règlement des radiocommunications qui a valeur de traité international. Il n’y a ni abandon ni transfert de souveraineté au profit d’un réglementeur mondial. Cette réglementation est révisée et réapprouvée tous les deux ou trois ans. C’est ensuite aux Etats d’intervenir. En France, l’Agence nationale des fréquences (ANF) rassemble tous les utilisateurs potentiels du spectre et définit au niveau national de l’attributaire des bandes de fréquences. Les administrations désignées – défense, transports, recherche, etc.- peuvent les utiliser en propre, ou les ouvrir à des exploitants qui mettent en forme le service rendu à l’utilisateur final, et le lui vendent. L’ANF est aux utilisateurs du spectre ce que le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, est aux radios utilisant la bande FM.

De l’orbite géostationnaire…

Les satellites placés sur l’orbite dite géostationnaire (à 36 000 km) ont la même vitesse de rotation que la Terre. Ils sont donc fixes par rapport à un observateur terrestre. Ils servent de relais pour les communications intercontinentales lorsqu’ils sont placés au-dessus des océans ou permettent d’offrir de la radio ou de la télévision de manière optimale lorsqu’ils sont au-dessus des continents.

De la naissance des constellations…

Dans une constellation, les satellites bougent par rapport au sol. Plus bas en altitude, ils permettent l’interactivité en temps réel: quelques millisecondes de décalage non perceptibles à l’oreille. Jusqu’à présent, dans le civil, seuls les Russes et les Canadiens avaient recours à ces orbites, en raison de l’excentricité de leur pays par rapport à l’orbite équatoriale. En revanche, elles étaient utilisées par les militaires. On peut d’ailleurs penser que l’idée des constellations est née de la guerre froide et qu’elle a progressivement transité vers des applications civiles. Grâce aux constellations, il sera désormais possible d’entrer dans le monde des télécommunications mobiles grâce aux systèmes Iridium (66 satellites) et Globalstar (48 satellites) qui entreront en service dans un an. Grâce à un terminal bi-standard, l’utilisateur établira ses communications par le réseau terrestre lorsqu’il se trouvera dans sa zone de couverture et par le réseau satellitaire, dans le reste du monde. D’autres constellations offriront dès 2002 ou 2003 des accès Internet et Intranets (1): Teledesic, 288 satellites, le projet de Bill Gates, patron du géant des logiciels, Microsoft; il y a aussi les programme Skybridge, 64 satellites; Celestri, 63 satellites. Ces systèmes proposeront aux utilisateurs de l’accès large bande, c’est-à-dire du haut débit (2), à même de transmettre de l’image fixe ou vidéo, du son, du texte vers les ordinateurs. Avec les constellations, on passe d’une approche domestique ou nationale à une approche mondiale ou globale.

Du chaos engendré…

La mise en place des constellations engendre des bouleversements structurels. Les constructeurs doivent s’organiser pour produire des séries. Le coût du satellite diminue mais son processus de fabrication nécessite des investissements. La série, contrairement aux pièces uniques que sont les satellites géostationnaires, pose cependant le problème de la fiabilité du matériel. Aux industriels de calculer si l’abaissement du coût unitaire est suffisant pour construire plus de satellites que requis et  » jeter  » ceux qui présenteront des défaillances. Quant aux lanceurs, ils devront mettre en orbite des grappes de satellites. Les constellations compliquent aussi les travaux des assemblées de l’UIT: coordonner des fréquences entre des points fixes est plus simple que de coordonner des points mobiles entre eux. Il est, en outre, important d’organiser le jeu entre les satellites geostationnaires qui couvrent par nature certaines régions du globe, et les constellations qui encerclent la planète.

Des jeux d’influence…

L’UIT prend en général ses décisions par consensus. Jusqu’à présent, les compromis qui ont vu le jour n’ont été transgressés par personne. Mais les Américains exercent de plus en plus de pressions économiques. En 1995, ils avaient réussi un coup de force en imposant l’attribution de fréquences dans des conditions qui favorisaient étrangement Teledesic, le projet de Bill Gates. Les Européens, avec l’appui des autres pays, ont rééquilibré la situation lors de la dernière conférence, en novembre dernier, en favorisant la mise en concurrence de la constellation Teledesic avec celles de Celestri, de Motorola et de Skybridge, d’Alcatel.

Des effets de la mondialisation…

Les constellations coûtent cher: Iridium, 5 milliards de dollars; Globalstar, 2,5; Télédesic, 11; Celestri, 13; Skybrige, 3,5, d’où des alliances mondiales. Alcatel a passé des accords aux Etats-Unis, au Japon, au Canada, accords également justifiés par la possibilité d’une couverture mondiale. Des liaisons satellites d’une constellation permettent quelquefois de ne pas utiliser les réseaux terrestres, c’est le cas pour les projets Iridium et Teledesic. Or, les revenus des opérateurs des pays en voie de développement proviennent aux deux tiers des communications internationales. Ecarter ces opérateurs ne serait pas sans conséquence sur l’économie de ces pays. Un forum organisé par l’UIT a permis de réfléchir aux conditions dans lesquelles les pays en voie de développement – qui ne sont pas partie prenante dans ces projets satellitaires parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’investir – pourraient néanmoins participer à l’exploitation des services offerts sur leurs territoires: outre l’octroi de licences payantes, la seule solution crédible est probablement d’établir des partenariats locaux forts avec des entreprises du pays concerné.

De la propriété de l’espace…

Aujourd’hui, l’espace appartient juridiquement à tout le monde, il est patrimoine commun de l’humanité. Pour en partager les revenus, il faudrait commencer par attribuer des droits de propriété. Dans les années 70, l’Equateur a tenté de devenir propriétaire de son  » espace « :  » La portion de l’arc de l’orbite géostationnaire au-dessus de mon pays m’appartient donc je la vend à qui je veux ! « . L’UIT, c’est-à-dire l’ensemble des Etats, a refusé, mais la question demeure. D’un côté, dire que l’espace n’a pas de valeur économique est erroné. D’un autre, donner un prix au mégaherz ou au km linéaire de l’orbite est difficilement envisageable. De plus, personne aujourd’hui n’est à même d’évaluer les conséquences politiques qui en découleraient. La prudence est donc de mise.

De l’IUT face au marché…

Depuis sa création au début du siècle, l’UIT a parcouru un long chemin. Organisme technique à l’origine, lieu de débat politique Nord-Sud et Est-Ouest après la guerre froide, l’assemblée est aujourd’hui confrontée aux pressions du marché car, derrière les requêtes des Etats, apparaissent de façon de plus en plus transparente les intérêts économiques de sociétés privées. Le projet Teledesic est clairement soutenu par le gouvernement américain. Aujourd’hui, la seule force politique et économique organisée capable de résister aux  » lobbies  » monopolistiques est l’Europe. La pauvreté croissante des pays du tiers monde fait qu’ils ne sont actuellement pas en mesure de constituer un contre-pouvoir.

De la liberté du savoir…

Les constellations vont entraîner une égalité technique de traitement entre toutes les populations du monde. L’ensemble du globe aura potentiellement accès à la même information. Mais, afin d’en préserver sa richesse et sa diversité – c’est-à-dire la démocratie – des partenariats diversifiés sont, là aussi, nécessaires. Certains Etats, tels que la Chine ou l’Iran redoutent la globalisation de la communication et réclament le contrôle des contenus des informations. En Algérie, les islamistes extrémistes appellent les antennes paraboliques  » antennes paradiaboliques « . Les Etats membres de l’UIT sont très sensibles à la liberté de la circulation des informations, mais sans sous-estimer les problèmes culturels… Dans un autre registre, il y a peut-être chez un Bill Gates la volonté d’uniformiser, de standardiser un mode de pensée autour de contenus particuliers, de fonctionnements techniques. Mais, pour l’instant, son influence est relative au regard du succès mondial des hamburgers Mac Donald !

* Ingénieur à la direction internationale de France-Telecom, membre du Club  » Planetcom  » de l’association prospective 2100.A participé au programme de Globalstar.

1. L’intranet est un réseau local et privé.Il fonctionne avec les mêmes outils que l’Internet: le world wide web (le web, en français: la toile), le courrier électronique (l’e-mail, en français, sur les recommandations de l’Académie française: le mél…), les forums de discussion, mais il est  » réservé  » aux utilisateurs (le personnel d’une entreprise, d’un réseau d’associations, etc.) qui en possèdent le code d’accès.

2. Le  » débit  » est la quantité d’information transmise dans temps donné.La vitesse de transfert s’exprime en bits/seconde (bps).Le minitel est dans les bas débits: de 2,2 à 9,6 kilo bits par seconde (soit 1 024 bps); la télévision est dans les moyens débits: de 1,5 à 5 méga bits par seconde (soit, 1 048 576 bps); la fibre optique est dans les hauts débits: 2,5 giga bits par seconde (soit, plus d’un milliard de bps).

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