Alors que les intermittents et les salariés du secteur culturel ne décolèrent pas, Manuel Valls a annoncé trois mesures, dans l’espoir de contenir l’embrasement du mouvement de contestation, qui menace les festivals et les manifestations des semaines à venir.
Député PS d’Indre-et-Loire et « pompier du gouvernement » dans le cadre du conflit des intermittents, Jean-Patrick Gille a rendu son rapport jeudi soir. Avec plus d’une heure de retard, mais largement dans les temps, au vu de l’urgence qui a présidé à ce travail. Car depuis sa nomination le 7 juin dernier au poste de médiateur, Jean-Patrick Gille aura entendu plus de soixante-dix personnes au cours d’une quinzaine d’auditions, rendez-vous, ou prises de contact.
Pressé par un gouvernement inquiet devant l’ampleur des mobilisations du secteur culturel, le médiateur a même dû rendre son rapport avant les quinze jours prévus. D’ailleurs, à parcourir « Une nouvelle donne pour l’intermittence », on saisit bien que l’enjeu n’est pas tant d’émettre des propositions que de désamorcer la bombe estivale. « Ces auditions et échanges ont été conduits dans l’objectif d’établir les conditions d’un dialogue entre ces parties prenantes, à même de faire émerger des solutions de sortie de crise », peut-on lire dans le document d’une dizaine de pages.
Si, toujours au vu du rapport, la mission a « permis progressivement, en dépit de l’apparent blocage des positions des personnes entendues, de reconnaître la nécessité d’échanges associant l’ensemble des parties concernées, pour aborder, enfin, la question de l’intermittence du spectacle dans sa globalité », tout reste à faire. Interrogé le soir même sur I-Télé quant à l’annulation possible des festivals estivaux, Jean-Patrick Gille demeurait prudent : « Je crois que ce n’est pas gagné, il faut que la température redescende ».
Opération séduction
En effet, rien n’est gagné. Côté gouvernement, le Premier ministre Manuel Valls sur le sujet a confirmé l’agrément prochain de la nouvelle convention d’assurance-chômage et évoqué trois actions. Outre le maintien des crédits à la création et au spectacle vivant pour 2015, 2016 et 2017, Valls a annoncé la prise en charge par l’État, dès le 1er juillet et pour une durée de six mois, du différé d’indemnisation. Particulièrement critiqué en ce qu’il a pour conséquences une précarisation accrue des intermittents, ce délai de carence serait ainsi indolore. Mais cette mesure, d’ores et déjà estimée à « quelque chose de l’ordre de 20 millions » sur les six premiers mois (car progressive) par Jean-Patrick Gille, est floue quant à son financement. Tandis que Valls a annoncé que l’État la financera « pour que Pôle emploi n’ait pas à l’appliquer aux intermittents concernés », le médiateur expliquait quelques heures plus tard sur I-Télé que ce différé relèverait du « régime interprofessionnel, [Manuel Valls n’étant] pas du tout pour créer une caisse. »
Troisième point évoqué, la création d’une commission chargée de plancher, avec l’ensemble des concernés, sur le dossier des annexes VIII et X régissant le régime de l’intermittence. On en arrive ici au cœur du rapport de Jean-Patrick Gille et à la discussion tripartite réunissant partenaires sociaux, représentants des intermittents et du secteur culturel et services de l’État. Pour mener les débats et faire des propositions de réformes avant la fin de l’année 2014 (le temps de la prise en charge du différé, en somme), trois personnalités sont nommées. À Jean-Patrick Gille et l’ancienne co-directrice du Festival d’Avignon Hortense Archambault, s’ajoute l’ancien directeur général du Travail Jean-Denis Combrexel (auteur notamment de la critiquée recodification du code du Travail en 2008). Un bien étrange attelage, qui a tout du casting tripartite, chacun étant, on le suppose, sensé séduire son « secteur ».
Réactions mitigées
À vrai dire, mise à part la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filipetti, qui a évoqué une « avancée historique pour les intermittents », l’ensemble de ces mesures n’a pas séduit les foules. Peut-être parce que là où la prise en charge du délai de carence a tout de cacahuètes (qu’on grignote histoire de patienter), le maintien des budgets relève lui de la carotte…
Côté acteurs du secteur culturel, la circonspection semble dominer. Le secrétaire général de la CGT Spectacle Denis Gravouil a qualifié les annonces de Manuel Valls de « mesurettes » et évoqué la probabilité d’un préavis de grève au 1er juillet. Le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), principal représentant des employeurs du spectacle vivant, s’est déclaré partagé : séduit par la préservation du budget à la création et par la mise en place de la commission et d’un espace de dialogue, nettement moins par l’incursion de l’État dans le financement de la protection sociale. Quant à la Coordination des intermittents et précaires, chef de file du mouvement (dont la sagacité sur la défense des droits des intermittents n’est plus à prouver), l’un de ses représentants, Loïc Canitrot, a évoqué à l’AFP le sentiment de subir « déception sur déception ».
Si déception il y a, c’est peut-être parce que, aussi intéressante soit la création d’une mission de réflexion, l’ensemble du dispositif proposé par Manuel Valls – tout comme les conditions qui ont prévalues à son intervention –, ont toutes les allures d’un déminage d’urgence. Une action menée sans projection ni pensée politique et uniquement destinée à éteindre le feu dans l’espoir que cessent les grèves et les annulations de spectacles, alors qu’approchent les festivals d’Avignon et d’Aix-en-Provence. Soit le meilleur moyen de pression de la profession culturelle.
Quant au maintien de l’agrément par le ministre du Travail François Rebsamen, il est la preuve que le gouvernement n’entend remettre en cause ni l’accord du 22 mars, ni son idéologie. Il s’agit de calmer le jeu, sans en modifier les règles… Mais les mouvements de revendication dans le secteur culturel portant sur l’accord Unedic dans son ensemble, pas sûr que les intermittents acceptent de déjà rejouer dans ces conditions…
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