Pour redonner du sens et de la vigueur au projet de la vraie gauche, il convient d’abord de ne pas se tromper sur le diagnostic. Pour ensuite redonner corps à un communisme immédiat, capable d’offrir un contre-modèle et de reprendre l’espace public.
Le score effrayant du Front national et l’effondrement de toute la gauche ont occulté un fait important : ce scrutin européen valide le diagnostic du Front de gauche sur deux points essentiels. Premièrement sur le fait que l’austérité détruit tout – les chiffres du chômage et de la pauvreté le montrent, concrétisant chaque jour un peu plus les craintes que nous exprimons depuis des années. Deuxièmement sur le fait que le peuple ne veut pas de l’austérité. Qu’elle soit menée par Sarkozy, accélérée par Ayrault ou aggravée par Valls, le résultat est le même : c’est le désaveu populaire.
Ainsi, non seulement les socialistes n’ont pas de mandat pour mener leurs réformes néolibérales (purge budgétaire de 50 milliards, cadeaux fiscaux aux entreprises à hauteur de 35 milliards, suppression des départements et de la moitié des régions), mais en plus, la droite, boutée hors de l’Elysée voici deux ans, ne reprend-t-elle aucune couleur. L’idéologie de l’oligarchie ne fait plus recette.
Ce constat n’atténue en rien l’ampleur du camouflet que le Front de gauche a reçu dimanche – ceux qui se révoltent légitimement contre le néolibéralisme des différents partis de gouvernement grossissant bien plus les rangs du FN que ceux de la gauche radicale. En France, l’extrême droite est aux portes du pouvoir et le Front de gauche bien mal en point. Alors, qui est coupable de ce désastre ? Si le diagnostic de fond opéré par le Front de gauche est validé, où réside l’explication de l’échec ?
L’ampleur de la tâche
Certains, sur la lancée des municipales, sont pressés de rejeter la faute sur le Parti communiste. Il serait trop complaisant avec Solferino. Sa stratégie du cas par cas aux municipales aurait brouillé l’image du Front de gauche. Faisons brièvement litière de ce discours mensonger.
- 1) Bien avant la séquence des municipales, toutes les élections partielles montraient une stagnation du Front de gauche au premier tour en parallèle d’un PS en chute libre.
- 2) L’extrême gauche, malgré sa tactique d’autonomie totale, n’existe plus (le NPA passe de 4,5% à 0,4%) et ne profite d’aucun report venant du Front de gauche ou d’ailleurs.
- 3) Le PG et Ensemble défendent des « fusions techniques » avec le PS au second tour, ce qui nuance de fait leur mot d’ordre d’une autonomie totale vis à vis du PS et donc les accusations à l’encontre du PCF.
De fait, qui peut croire que le problème du Front de gauche ne ressortirait que d’une mauvaise stratégie d’alliance ? Qui pense sincèrement qu’il suffirait de permettre « l’adhésion directe » pour solutionner les divergences de ligne ? Donner crédit à de telles fausses solutions, c’est s’illusionner sur l’ampleur du problème et de la tâche qui nous attend.
D’autant moins que ce qui donne au vote Front national son attrait aux yeux des mécontents, c’est son caractère contradictoire de vote diabolisé (transgressif et capable de sanctionner les partis de gouvernement) et de vote embourgeoisé (de moins en moins différent d’un vote de droite traditionnelle). Cette tension idéologique interne permet au parti d’extrême droite d’attirer des électorats divergents (très schématiquement le Nord populaire et le Sud « artisan et commerçant », les jeunes antisystème et les vieux sécuritaires, etc.).
Reconquérir une idée de parti
Face à cette machine dialectique redoutable, le Front de gauche fait pâle figure. S’il est renvoyé avec l’UMP, le PS et EELV dans l’ornière des partis de gouvernement (duquel il est écarté depuis douze ans !), c’est qu’il paraît dépourvu de ce caractère anti-institutionnel dont jouit le FN. La solution ne peut consister cependant dans une facile radicalisation, que ce soit vis-à-vis des autres partis de gauche ou contre l’idée même de coopération entre les peuples européens. Il s’agit en revanche de reconquérir une identité de parti, cette même identité qui permet à des candidats du FN de gagner sur la seule étiquette et sans faire la moindre campagne.
Le Parti communiste — et ses alliés du Front de gauche — doit être le parti de la rue. Cela veut dire que nous devons bien sûr renforcer notre place dans le mouvement social, notre présence dans les luttes. Mais cela veut dire plus. Sortons de nos tanières, tenons les murs, construisons des réseaux solidaires de quartiers, des lieux d’entraide. Donnons corps à un communisme immédiat, du jour le jour, de l’immeuble, du quartier. Après tout, la fraternité est le sens originel de tout engagement communiste. Reprenons l’espace public. Dans un pays abîmé par les marchands et vampirisé par l’extrême droite, faisons groupe et secourons les victimes de la régression libérale. C’est retisser des liens dissous par le capitalisme et ses crises. C’est engager la résistance en acte contre la lepénisation des consciences. C’est offrir un contre-modèle visible bien plus adapté au chaos actuel que les pratiques militantes traditionnelles, meetings, tractage et affichage, communes à tous les autres partis.
Cette solidarité rendue nécessaire par la catastrophe électorale, cette solidarité de fait qui nous fait taire nos désaccords et serrer les rangs, transformons-la immédiatement en un programme actif. Ce nouveau déploiement militant est seul à même de donner pleinement la mesure de cette « urgence de communisme » évoquée par le philosophe marxiste Lucien Sève : tout montre que l’humanité va à la catastrophe, tout projet de l’en détourner ne peut être qu’un projet communiste. Il s’agit d’agir dès maintenant dans ce sens.


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