Fondatrice d’Osez le féminisme, Caroline de Haas a quitté le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem et rendu sa carte du PS. Aujourd’hui dirigeante d’une entreprise de formation pour l’égalité femmes/hommes, elle est candidate aux élections européennes, tête de la liste « Féministes pour une Europe solidaire » en Ile-de-France. Ses explications.
Regards. Tu as initié des listes « Féministes pour une Europe solidaire ». Pourquoi ?
Caroline de Haas. L’élément déclencheur, c’est ce qui s’est passé en Espagne avec la remise en cause du droit à l’avortement. Martine Storti est la première à avoir lancé l’idée, le 6 janvier dernier sur les listes de diffusion. Nous en avons discuté à l’occasion de la manifestation du 1er février sur l’avortement. J’ai ensuite fait le tour des organisations féministes. Le retour était soit enthousiaste, soit mitigé – notamment chez les militantes politiques –, soit très dubitatif : est-ce la meilleure stratégie ? Pour celles qui se sont engagées dans cette campagne, il y a un changement de stratégie par rapport à ce qu’elles faisaient avant.
En quoi consiste ce changement ?
Avant, l’interpellation s’exerçait de l’extérieur. Nous avions par exemple réuni 600 personnes à Évry autour des rencontres d’été des féministes en mouvements. 45 associations féministes s’y étaient retrouvées pour mettre en garde la droite et interpeller la gauche. L’année de la présidentielle, la veille du 8 mars, nous avions invité les candidats à un meeting à la Cigale qui a rassemblé plus de 1.300 personnes. Sont venus Eva Joly, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon et François Hollande. La première question que l’on pose alors, c’est de savoir s’ils créeront un ministère des Droits des femmes. Toutes et tous répondent oui. Nous avons réussi à placer l’égalité femmes/hommes comme enjeu de la campagne. Sans notre mouvement, il n’y aurait pas eu de ministère des Droits des femmes. Cette revendication n’apparaissait ni en 2007 ni 2002. Je suis très satisfaite de ce que nous avons fait bouger. Ce sont des éléments qui permettent de faire progresser la société mais l’interpellation ne suffit plus.
« Les coups portés appellent une mobilisation d’un nouveau genre »
Comment aller au-delà ?
Aujourd’hui, il faut manifestement prendre les choses en main. Pour ces élections européennes, c’est la première fois que nous nous engageons sur nos propres listes. Je n’ai jamais cru que François Hollande allait changer la face du monde, mais les coups portés appellent une mobilisation d’un nouveau genre : la contre-réforme des retraites, le CICE, le Pacte de responsabilité ou plutôt d’austérité… Nous sommes dans une situation dans laquelle des avancées sont réalisées pour les droits des femmes mais tant qu’elles ne seront pas inclues dans une politique sociale et économique plus large, les femmes ne s’y retrouveront pas. Le gel du point d’indice des fonctionnaires, annoncé par Manuel Valls, concerne par exemple à deux tiers des femmes. Cette mesure creuse de fait l’écart de salaires entre hommes et femmes. Il y a un paradoxe à dire « nous sommes un gouvernement féministe » qui fait par exemple des choses contre les violences – élargissement du numéro de tel 3919 ou création de places d’hébergement –, ou pour l’égalité professionnelle – décret en décembre 2012 qui transforme la réforme des retraites de Fillon pour réintroduire les règles initiales et prévoir des sanctions. Il se passe des choses positives grâce à ce gouvernement en matière d’égalité mais, dans le même temps, l’austérité creuse les inégalités hommes/femmes. Résultat : j’ai eu le sentiment que dans la présidentielle, on a poussé au plus loin notre capacité à peser pour les droits des femmes. Les avancées du ministère sont liées à l’action des féministes. Mais la politique d’ensemble fait défaut.
Pourquoi as-tu fait le choix de l’autonomie féministe et non rejoint des listes de gauche qui portent le combat contre l’austérité et pour les droits des femmes ?
C’est une question que je me pose. Il n’est pas dans ma tradition de faire de la politique de manière thématique. Je suis arrivée au PS avant d’être militante féministe. Ce débat-là existe au sein de celles et ceux qui constituent ces listes. On est toutes d’accord pour estimer qu’il fallait faire ces listes au regard de l’urgence à dénoncer la remise en cause du droit à l’avortement en Europe et l’austérité qui frappe les femmes de plein fouet. Une fois que cette expérience aura eu lieu, après le 25 mai, faut-il créer un parti féministe ou faire autre chose ? L’hypothèse circule de créer une association féministe à vocation politique. L’autre possibilité, c’est que les féministes soient parties prenante d’une recomposition à gauche afin de créer une alternative à François Hollande en 2017. C’est mon avis. Au vu de l’état de la gauche, je mesure le défi considérable que représente cette perspective. Mais il n’y a pas d’autre solution puisque Hollande est hermétique à tout rapport de force qui vient de gauche, alors qu’il entend ceux venant de la droite et de la finance.
« L’objectif est que cette gauche décomplexée ait une candidate ou un candidat unique en 2017 »
Comment envisages-tu cette recomposition ?
Je veux participer à une aventure qui rassemble des personnes comme Cécile Duflot, Christiane Taubira, Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon, toi, Pouria Amirsha, Philippe Marlière, Pierre Larrouturou… L’objectif est que cette gauche décomplexée ait une candidate ou un candidat unique en 2017.
Est-ce donc pour des raisons politiques que tu as quitté le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem ?
Oui. La contre-réforme des retraites arrivait. Le gouvernement s’apprêtait à ne pas rompre avec les réformes de la droite. J’avais déjà du mal à assumer d’être au cabinet, mais là, c’était trop pour moi. Professionnellement, c’était passionnant. Humainement, c’était super. Mais je voulais faire de la politique et les retraites ont représenté la goutte d’eau.
En attendant la recomposition, est-ce que les listes féministes européennes ne risquent pas d’affaiblir le score des listes de la gauche du PS au soir du 25 mai prochain ?
Plusieurs militantes du MLF me disaient qu’au contraire, ces listes nous permettraient de participer à cette dynamique. Dans la campagne, nous recrutons de jeunes militantes et militants de gauche, pas forcément très politisés mais profondément de gauche et déçus par le gouvernement. Ils et elles ont envie de changer la donne, mais ne seraient allés dans aucun parti existant. Sans ces listes, ils et elles ne seraient pas venus à la politique. On s’y est pris deux mois avant l’élection, nous n’allons pas créer un mouvement de masse. Mais nous aurons créé des équipes de centaines de militantes et militants féministes qui auront fait campagne sur une liste de gauche. C’est de l’énergie en barre. Et je souhaite qu’elle vienne nourrir cette recomposition.


Laisser un commentaire