Quand un des cinéastes les plus inventifs part à la découverte d’un des plus grands intellectuels de l’époque, c’est plus l’homme que ses théories qu’il livre au spectateur. Avec « Conversation animée… », Gondry met sa vision imagée au service des mots de Chomsky.
Il ne faut pas aller voir Conversation animée avec Noam Chomsky dans l’espoir d’enfin comprendre ce qu’est la « grammaire générative » ou la « continuité psychique »… Bien sûr, Michel Gondry interroge le célèbre intellectuel américain sur ses théories linguistiques, mais c’est le point faible du film : les réponses, denses, manquent de clarté, et sont difficilement compréhensibles par ceux qui ne sont pas déjà familiers des travaux de l’éminent professeur de MIT.
Et pourtant, on ne s’ennuie pas, car l’intérêt du documentaire est ailleurs. D’abord il y a une forte dimension biographique. Le linguiste et philosophe n’explique pas seulement les origines biologiques du langage. Il raconte aussi ses souvenirs d’enfance à Philadelphie, la transmission des savoirs par son père, mais aussi l’antisémitisme dont il a souffert enfant et dont il n’a jamais osé parler à ses parents… Il évoque aussi, avec autant d’émotion que de pudeur, sa femme Carol, disparue en 2008, avec qui il a vécu pendant soixante-et-un ans.
La théorie illustrée
Surtout, toute l’originalité du projet est dans la forme. Comme on pouvait s’y attendre de sa part, le réalisateur de Eternal Sunshine of the spotless mind, La Science des rêves ou encore The we and the I ne se contente pas de filmer en champ contre champ ses séances d’entretien avec le grand penseur. Il illustre, interprète et donne vie aux propos de son interlocuteur avec des séquences animées naïves, colorées et joyeuses, typiques de l’esthétique bricolée et artisanale que l’on retrouve notamment dans ses clips musicaux.
Il ne s’agit donc pas seulement de recueillir et de fixer sur pellicule « avant qu’il ne soit trop tard » le visage et la voix du vieux maître – plus la voix que le visage, d’ailleurs, puisque l’on voit finalement assez peu des images issues de l’entretien filmé. Il s’agit avant tout de faire surgir de cette rencontre un terrain d’expérimentation visuelle où Michel Gondry peut laisser libre cours à son imagination et sa créativité plastique débordante.
C’est cette implication subjective qui donne toute sa profondeur à la proposition du cinéaste, qui ne fait rien pour couper au montage ou maquiller ses maladresses, son ignorance, parfois sa frustration et ses difficultés à se faire comprendre en anglais. Celui qui admet volontiers être intimidé par « le plus grand penseur vivant », ne joue pas à l’intervieweur professionnel. Il interrompt même parfois le cours de l’entretien pour justifier auprès du spectateur, un peu honteusement, un malentendu qu’il n’a pas réussi à dissiper. Et tant mieux, car ses questions candides et personnelles posées avec sincérité et naturel sont autant d’aperçus précieux sur sa démarche artistique, les voies de son imaginaire et ses sources d’inspiration. Sans compter que ses interventions apportent de l’humour et de la légèreté à un dispositif qui risquerait, sinon, de s’avérer aussi imperméable qu’aride.



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