« Pas son genre » : d’amour et de classes

Le film de Lucas Belvaux met en scène, dans la rencontre entre un prof de philo et une coiffeuse, l’annulation – forcément temporaire – des distances entre les classes. Le réalisateur y parvient habilement, sans sacrifier l’émotion ni la subtilité du roman dont il est adapté.

Une comédie romantique et politique, Pas son genre, donne un air de printemps au cinéma français. Le pari n’était pas facile : le réalisateur Lucas Belvaux a choisi d’adapter sur grand écran le roman de Philippe Vilain. C’est l’histoire d’un professeur en philosophie, nommé à Arras, qui s’amourache d’une ravissante coiffeuse. Le livre de Philippe Vilain pose un enjeu, habituellement très peu présent dans le roman d’amour, qu’est la dimension sociale et culturelle du rapport amoureux, du couple, et décrypte habilement l’intimité du mépris de classe. Le passage au cinéma comportait le risque de la caricature des personnages, d’une perte en ligne des éléments de subtilité de cette relation d’amour et de classes.

Tout en prenant ici et là ses distances avec le roman, Lucas Belvaux en conserve la trame et le propos. C’est une réussite : l’adaptation, le jeu d’acteurs et la réalisation sont convaincants. Emilie Dequenne est aussi lumineuse qu’éblouissante en Arrageoise joyeuse et mélancolique à la fois. Loïc Corbery, de la Comédie française, campe avec talent le grand bourgeois parisien, professeur jargonneux. La rencontre est celle d’une confrontation improbable entre Kant et Anna Gavalda, le doute méprisant et la simplicité empathique, l’Opéra et le karaoké, le Café des Deux Magots et la fête populaire, Le Monde et Gala, la jouissance du temps présent et l’intellectualisation des affects.

Le piège des origines

On rétorquera que tous les bourgeois parisiens ne sont pas aussi ridicules que Clément et que toutes les coiffeuses ne ressemblent pas à Jennyfer. Mais le cœur du portrait d’une mécanique infernale de la reproduction est brossé : l’amour n’échappe pas aux rapports de classes. L’origine sociale et culturelle, le niveau d’études se répercutent en autant d’enjeux de standing, de goût, d’esthétique, de préoccupations, de rêves, de réalités concrètes, de rapport à la vie. L’un et l’autre se retrouvent quelque part enfermé dans leur monde. L’affaire est cruelle. Du film au livre, l’émotion reste entière.

Connu pour ses films d’auteur, Lucas Belvaux offre avec Pas son genre un cinéma potentiellement très populaire. Reste à savoir si le film trouvera son public, mais aussi quel sera l’accueil en fonction des salles. Si nous sommes toutes et tous titillés par ces personnages, les sourires ne seront pas égaux. Dans la salle de projection d’avant-première au cœur de Paris, Jennyfer suscitait bien plus que Clément des éclats de rires – notamment avec ses récurrents « mon chaton ». Et pourtant…

Pas son genre de Lucas Belvaux, dans les salles à partir du 30 avril.

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