Allemagne

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Expositions Sous le titre  » Saison photographique allemande « , le Centre national de la photographie propose un ensemble d’expositions. Pour voir ce que voient les photographes allemands.

La création photographique allemande, entre ses constats et ses concepts, entre la tentation de l’inventaire objectif et celle de la performance, se donne à voir depuis le début de l’automne. Programmation en deux temps. Jusqu’en novembre: l’accrochage des collections de la Maison européenne de la Photographie donnait un aperçu historique que ponctuaient deux jeunes auteurs: Thomas Ruff (Centre national de la photographie et Goethe Institut) et Candida Höfer (également au Goethe Institut). En décembre, Anna et Bernard Blume, et, toujours, Candida Höfer prennent le relais pour ce parcours qui comporte tous les dangers d’une interprétation nationaliste alors qu’il s’agit plutôt d’analyser ici des écoles et des positions face à l’histoire, à l’identité et à l’art.

Ainsi de l’objectivité, appellation lancée dans les années 20 par Albert Renger Patsch, et Karl Blossfeldt avocats de la  » Nouvelle Objectivité  » qui, grâce à la précision optique, faisait du gros plan le meilleur instrument de la représentation objective du réel. Leur ambition, trouver dans le vivant des modèles de formes et démontrer leur analogie avec les objets manufacturés, aboutit finalement à une affirmation sur les archétypes, très éloignée du regard documentaire qu’implique l’ambition d’imiter ou de décrire la nature. C’est ce même projet classificateur qu’on a prêté à Thomas Ruff, pour ses célèbres portraits de 1984, une centaine de bustes d’une telle neutralité que, malgré leurs particularités physiques, les visages en deviennent indifférenciables. Or, au vu de son récent travail, des photomontages hilarants où il dénigre les idées de pouvoir avec les outils de la propagande, l’oeuvre de Ruff prend une tout autre interprétation. Ce n’est pas l’objectivité qu’il recherche dans l’enregistrement machinique du réel, mais la nature polysémique, ouverte à l’interprétation de l’image. En contrôlant dans la série de 1984 tout débordement d’expression, il indiquait une voie radicale pour se dérober à toute inquisition. Leçon de savoir vivre à l’intérieur de soi, dans un monde aliéné par la répétition et les délires sécuritaires, à laquelle il confronte maintenant les images obscènes et réificatrices des médias. C’est aussi ce monde officiel que décrit Candida Höfer, autre photographe formée à l’école frontale de Bernd et Hilla Becher à Düsseldorf. Höfer s’attache aux espaces publics: musées, bibliothèques, restaurants, zoos. Intérieurs et extérieurs sur lesquels elle porte un regard subtil, quoique distancié, pour interroger leur fonctionnalité. Elle révèle ainsi dans l’espace clos du tirage les agencements entre le décor et l’usage, mais aussi l’usure du décor par l’utilisation du lieu qui en corrode peu à peu l’apparat.

Le couple Anna et Bernhard Blume se réclame ouvertement de la photographie subjective, autre courant fort de la photographie allemande, mais aussi de Joseph Beuys et de Fluxus. Leurs performances enregistrées sur de grands formats noir et blanc, déclinés en séquences, les projettent dans un univers de chaos dans lequel les objets quotidiens s’animent d’intentions agressantes mettant en déroute le confort petit-bourgeois et la cohérence même de l’existence. Atmosphère de possession, avec ballets de chaises, vases et carafes en apesanteur, qui s’empare des grands mythes allemands (la famille, la forêt) et subvertit l’imagerie romantique. Le tryptique Hansel et Gretel les montre ainsi agrippés à une branche de ce qui pourrait être un arbre à la manière de Lilliputiens dérisoirement équipés des symboles de la respectabilité, tailleur et talons pour Anna, costume et chapeau pour Bernhard. Imperturbables au milieu de cette anarchie, les Blume introduisent par le grotesque et le comique une déconstruction de la philosophie kantienne. Pour le philosophe, le monde n’existait que par la pensée. Anti-héros, les Blume lui opposent la simulation d’un monde agissant, d’une énergie indépendante du sujet pensant, rendant ce dernier incapable de maîtriser son environnement et son destin.

En un siècle, le conceptualisme photographique allemand aura donc renoncé à donner un sens à l’univers des formes. Interrogeant sur le sens en général, dans un registre très différent, Thomas Ruff et les Blume démontrent plutôt l’impossibilité du sens unique. Pour enrichir et documenter l’actualité de ce destin d’une nation, il est bon de voir l’ exposition  » Berlin, mutations urbaines « . C’est un regard français, extérieur, analytique, qui se pose sur les métamorphoses d’une ville qui, tentant de reconstituer son unité, exhibe béants ses friches, ses vides, ses abandons, ses fractures constitutifs de l’archéologie de son histoire récente.n A.-M. M.

Publications Thomas Ruff, CNP/Actes Sud, introduction de Régis Durand, 130 FF. Le no4 du journal du CNP réalisé par Anna et Bernhard Blume, 10 FF.

Expositions

Candida Höfer, Centre Photographique d’Ile-de-France, Pontault Combault du 15 déc au 15 mars

Anna & Bernard Blume, Goethe Institut, av.d’Iéna, jusqu’au 19 décembre,Centre National de la photographie, 11 rue Berryer, 3 décembre-9 février

Bernhard Blume (1972-1986) jusqu’au 31 janvier, Galerie Françoise-Paviot, 57 rue Sainte-Anne, 75002

Anna Blume: la sensation pure, 1er décembre-15 janvier Goethe Institut

Berlin, mutations urbaines, Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, jusqu’au 18 janvier.

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