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Des livres pour les enfants Heinrich Heine, dont on fête le bicentenaire de la naissance, aima la France, la liberté, l’égalité, la fraternité.
Quand Heinrich Heine naît, en 1797, à Dusseldorf, il relève de l’autorité bonapartiste. Quand il meurt, il est, à son corps défendant, prussien. L’époque était compliquée. Elle exigeait énormément d’invention intellectuelle de celui qui cherchait à la comprendre. Car la situation était entièrement inédite. Elle demandait de l’intrépidité de coeur et d’esprit à celui qui voulait participer à l’énonciation et à l’élaboration d’un monde plus habitable. Pour tout dire, c’était une de ces terribles époques de transition où il est si compliqué de se sentir synchrone: soit on est resté attaché au passé, soit on rêve de l’avenir, mais déchiffrer le présent, ah ça, c’est dur, c’est lourd, c’est même parfois, exactement, tuant. A propos et en passant, vivrions-nous par hasard une de ces exténuantes transitions ?…
Son père vend du tissu, sa mère s’occupe du foyer. Mais il ne s’agit pas là pour autant d’un intérieur petit-bourgeois. Une partie de la famille est splendidement riche et, chez le jeune Heinrich même, règne longtemps une très charmante opulence. Sa mère est rousseauiste et convaincue des bienfaits de l’instruction. Au fil des changements apportés par l’histoire, les projets qu’elle fait pour le jeune Heinrich changent. Il doit, initialement, devenir une notabilité de l’Empire. Très bien, mais survient Waterloo. Il lui faudra alors faire un stage » d’apprenti millionnaire « , pour s’épanouir dans la finance. Il n’a aucun talent. Tant pis, il sera juriste. Effectivement, il devient docteur en droit, en baillant prodigieusement. Un incident parvient à l’intéresser: il se fait exclure du club d’étudiants auquel il avait adhéré: il est juif. Décidément, il préfère la France. La France a su produire un grand homme comme l’abbé Grégoire, qui se battit pour que tous les citoyens, quelle que soit leur confession, aient les mêmes droits. Oui, décidément, il préfère la France, qui a su rappeler aux peuples qu’ils n’étaient pas des masses. L’Allemagne est étriquée, autoritaire, en proie à la grande réaction des nobliaux dangereusement soulagés par l’effondrement de Napoléon. Bien sûr, malgré tout, ça bouge. Un peu. Un mouvement républicain commence à se dessiner. Mais c’est sacrément surveillé.
La Jeune Allemagne, un groupe informel qui dit le présent
Heine a la trentaine gaillarde et, après avoir tourné sans hésitation le dos au droit et à ses charmes, s’est soudain fait connaître comme poète lyrique. Qui croirait qu’un poète lyrique peut être dangereux pour l’ordre établi ? Splendeur, le XIXe va découvrir que le lyrisme peut être subversif. Et Heine va être remarquablement mal vu des autorités. Il faut dire qu’il est dans la mouvance de la Jeune Allemagne, un groupe informel comme on dit maintenant, qui entend régénérer et la littérature et l’esprit public. Terminée pour eux, la contemplation d’un passé brumeux où glissent preux chevaliers et gentes dames. Eux, ils veulent dire le présent. Metternich désapprouve. Et renforce la censure.
» L’amour des belles femmes et l’amour de la Révolution française »
En 1830, brille à Paris le soleil de Juillet. Les Républicains croient en avoir fini avec la monarchie et se retrouvent flanqués d’une monarchie constitutionnelle. Quand même, l’esprit de la liberté a soufflé à nouveau. Heine quitte l’Allemagne. Désormais, il entreprendra d’être un médiateur entre la France et l’Allemagne, de faire connaître et comprendre à chacune de ses patries les rêves, les enjeux, les contradictions de l’autre, il fera, à vrai dire, un assez stupéfiant travail de déchiffreur, de commentateur, d’agitateur. Heine est un grand artiste, et une tête politique. Et les deux, ici, vont de pair.
Heine à Paris fréquente les salons, et les exilés. Il est brillant, il est irrésistible, il est redoutable. Il s’affirme immédiatement comme un irréductible partisan des valeurs de la Révolution française, et un républicain. Mais il acquiert la conviction que ni l’Allemagne ni la France ne sont encore prêtes pour l’avènement de la liberté telle qu’il la conçoit. Lui qui n’a que » deux passions, l’amour des belles femmes et l’amour de la Révolution française « , lui qui salue dans » Paris la ville de la liberté, de l’enthousiasme et du martyre, la ville salvatrice qui avait déjà tant souffert pour la rédemption de l’humanité « , va accepter la monarchie constitutionnelle comme un mal nécessaire, et s’élever contre la Révolution de 1848 où il ne voit qu’incompétence dramatique. On l’accuse d’avoir retourné sa veste, c’est un fait » révolutionnaire dialectique « , pour reprendre le terme de Lukacs. Il attend: » Qu’est-ce qu’un demi-siècle, ou même un siècle entier ? Les peuples ont le temps, ils sont éternels, seuls les rois sont mortels. » Il contribue à l’Histoire avec ses mots, ses pensées, ses oeuvres. Il explique les enjeux de l’école romantique allemande, et son asservissement à l’idéologie réactionnaire. Il éclaire les conceptions hégéliennes de l’histoire, en y lisant la mort de Dieu et la glorification de la Prusse. Il commente les événements des années trente en France, avec la vigueur de ses sentiments saint-simoniens, l’ardeur de son amour pour les grands principes, Liberté Egalité Fraternité, et son refus d’une sentimentalité qui brouille les possibilités d’une action efficace.
Avec ironie, avec maestria, avec déchirement, il conte, dans les articles de De la France, les mouvements populaires, les errements idéologiques, le règne du juste milieu, la désillusion, et la certitude que » les peuples…sont les héros des temps nouveaux « . Il dénonce l’art d’hier et affirme que » l’époque nouvelle engendrera un art nouveau, et enthousiasmant, qui sera en harmonie avec elle, qui n’aura pas besoin d’emprunter sa symbolique à un passé défraîchi « , et c’est Buchner en Allemagne, et c’est Delacroix en France, et c’est lui entre les deux. Ah, » nous ne vivons plus à l’âge de fer, mais à l’âge de la flanelle « , ah, » Casimir Périer a rabaissé la France pour faire monter les cours de la Bourse « , il faut, encore, toujours faire circuler la réflexion, cerner les contradictions, articuler les injustices et se défier de ceux qui veulent aller trop vite et qui font reculer l’Histoire.
Ce n’est pas facile d’être un grand analyste politique, un poète essentiel, un homme de conscience, en des temps de transition. Heine fut désespérément, fabuleusement moderne, y compris dans ses propres contradictions. Et il fut seul. Si seul, malgré ses amitiés avec Sand, Marx, Lizst, si seul à conjuguer l’amour pour Goethe et pour Robespierre, le respect de Bonaparte et la compréhension des compromis, qu’il mourut, en 1856, inquiet, en proie au doute et au chagrin. Il nous manque. Une intelligence aussi aiguë de la politique alliée à une invention lyrique aussi essentielle, le refus d’être un » spécialiste » et le choix d’être un homme, c’est-à-dire un citoyen, un individu, un artiste, ensemble, c’est là un modèle bouleversant. Peut-être que notre difficile époque, où le monde ancien n’a pas encore engendré un monde nouveau, est à même de le saluer à sa mesure: avec élégance, et grandeur.n E. P.
Heinrich Heine, l’Ecole romantique. De la France. Ecrits autobiographiques. Tableaux de voyage en Italie. Romancero, éditions du Cerf. La Loreley et la liberté: Heinrich Heine, un poète allemand à Paris, édité par J. Kruse. Le Cerf, 600 p.
Des livres pour les enfants
Cette année, au Salon du Livre de jeunesse à Montreuil, pleins feux sur l’Allemagne avec ses maisons d’édition, ses auteurs et illustrateurs… A travers cette invitation, le Salon souhaite favoriser les échanges et développer des projets de coopération forts et stimulants. Ainsi mise-t-il sur la rencontre avec la création sous toutes ses formes pour côtoyer une langue et une culture à travers l’art et la littérature… Au programme, sur le stand allemand entièrement scénographié: présentation de la production de langue allemande, une librairie, une expositiondont Klaus Ensikat, Wolf Erlbruch, Binette Schroeder, Helme Heine, Nikolaus Heidldebach…et bien sûr de nombreuses rencontres avec ces artistes et les écrivains: Klaus Kordon, Mirjam Pressler, Edgar Hilsenrath, Gerhard Köpf…
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