L’exposition » Marianne Germania, un siècle de passion franco-allemandes (1789-1889) » se tient à Paris, au Petit Palais. Les rapports fascinants, fascinés, de deux nations quasi jumelles, par l’image et l’écrit.
D’initiative berlinoise, mais largement soutenue par les Parisiens, cette manifestation fut d’abord présentée au Martin Gropius-Bau de Berlin à l’automne dernier. L’actuelle version, calibrée par Daniel Imbert, a été resserrée: treize salles au lieu des quinze initiales, représentation réduite des deux figures nationales (Germania et Marianne) – copieusement déclinées outre-Rhin – comme si » la fièvre des monuments » (au dire de Heine) et des statues colossales était depuis retombée. En outre, la centaine de caricatures et dessins à charge, qui, de Daumier à Grandville, offrait comme une exposition dans l’exposition et prenait en charge » ce que la doxa ne peut énoncer » a été mise à part du reste, mais le public peut toujours voir ces images au Goethe Institut, avenue d’Iéna.
Chaque salle s’articule autour d’un personnage ou d’une thématique majeure. Ne pas s’attendre à découvrir des chefs-d’oeuvre mais des documents, comme autant de pièces à conviction sur une époque, en sorte que l’exposition se montre sous un mode plus historique qu’esthétique, même si, d’une salle l’autre, on peut repérer de superbes lavis de Victor Hugo, des gravures de Delacroix illustrant le Faust de Goethe, une toile de Caspar David Friedrich, quelques Gustave Doré, une ou deux sculptures de Rodin, le très fameux les Morts vont vite d’Ary Scheffer, sans compter, en fin de parcours, comme signe du mouvement symboliste qui s’annonce, un tableau d’Odilon Redon.
Les livres: des récits de voyage tel le fameux De l’Allemagne de Madame de Staël (saisi par les sbires de Napoléon en 1810) ou encore celui de Heine, portant le même titre et rectifiant, le premier, son idéologie » réactionnaire « ; du roman aussi, du Goethe d’Hermann et Dorothée (sans oublier son Faust, ce théâtral miracle traduit en français par son ami Nerval et mis en musique par Berlioz); des poèmes enfin, comme, de Victor Hugo, les Chants du crépuscule à résonance réaliste, où pointe la critique sociale, sans oublier de multiples correspondances, dont celle de Herder et Goethe, malheureusement sous-représentée, quand on sait que le premier, si influent sur l’émergence des premiers romantiques, a été à l’origine de la révolution littéraire du Sturm und Drang. Pour mémoire, Herder fut férocement mentionné par Alain Finkielkraut dans sa Défaite de la pensée.
Une exposition organisée autour de l’historique plus que de l’esthétique
La part du lion est donc réservée aux livres, parfois jusqu’à l’indigestion. On pourra regretter que la presse soit si peu présente. Ne fut-elle pas un médiateur de premier ordre entre les deux pays ? N’organisa-t-elle pas l’émeute préludant à la révolution de 1830, lorsque Charles X et son ministre Polignac l’avaient attaquée de front par ordonnances ? Or, la période intitulée » La liberté guidant le peuple » n’en dit mot, réservant la part belle au courant d’immigration allemande vers la France suscitée par la vague de censure outre-Rhin. Ce manque se comprend. En revanche, on saisit moins la façon un peu cavalière dont » l’héritage du Moyen Age de part et d’autre du Rhin » privilégie à ce point sa portée en Allemagne lorsqu’il est dit, dans le même temps, qu’il » suscita, en France, un simple engouement, un phénomène de mode issu du goût romantique pour la résurrection du passé « . Vision pour le moins réductrice, puisque le goût pour le Moyen Age ne date pas chez nous du XIXe mais débute au XVIIIe siècle. De même, si l’on mentionne de vieilles légendes allemandes, on omet d’évoquer, pour la France, le roman historique – en tant qu’imitation de certaines formes poétiques anciennes – et le drame, qui ressuscite le passé national. On ne peut certes être exhaustif. Du moins doit-on tenter de respecter un équilibre.
La vertu de l’ensemble réside dans la volonté obstinée d’éclairer, autant que faire se peut, les relations ambivalentes des deux voisines échevelées, en faisant entendre leurs quatre vérités au sein d’une relation de gémellité improbable. Par exemple, comment l’échec relatif de la Révolution française, abîmée dans la Terreur, ne put que détourner l’Allemagne d’un cosmopolitisme hérité du XVIIIe siècle français en favorisant l’émergence d’un sentiment national ? Tout comme l’épopée napoléonienne, à la longue, ne fit qu’accentuer un patriotisme latent. Tressée autour de ce constat, en une fougueuse natte blonde et brune, l’exposition s’offre comme un lent mouvement d’éveil aux significations multiples et historiques, mais désigne aussi, par touches pudiques, la vie et la mort – métaphores d’un monde à venir – constamment suscitées par ces deux siècles d’histoire (voir en ce sens la salle intitulée » les romantiques français et l’Allemagne », où la peinture romantique de l’autre côté prend le pas sur les mots, avec crépuscules, tombeaux et cénotaphes peints par Gustav Crus ou Caspar Friedrich).
L’exposition se clôt sur » la France et le wagnérisme (les années 1880) « . La question de la musique, on le sait, n’est jamais la question d’elle seule. Pourquoi cette conclusion sur Wagner ? Quel sens majeur y puiser ? Le maestro, on le sait, provoqua un choc. Avec lui naquit le premier art de masse, à l’usage du moins de la bourgeoisie cultivée. Du coup, l’exposition se clôt sur un enjeu politico-esthétique; on laissera de côté les récupérations national-socialistes du Troisième Reich (est-ce façon, pour une Allemagne » encore en chantier « , d’appuyer là où ça fait mal, d’en tout cas laisser ouvert un espace de culpabilité ?). Concluons sur cette phrase sombre de l’essayiste Wolf Wissenschaftskolleg: » Il n’y a pas de mouvement intellectuel qui corresponde à ce jour à ce qui se joue sur le plan politique, mais ce n’est pas une spécificité franco-allemande, c’est le problème de l’Europe « .n M. S.
Marianne et Germania, un siècle de passions franco-allemandes Paris, Petit-Palais, jusqu’au 15 février 1998. Tél.: 01 42 65 12 73 Marianne et Germania dans la caricature. Paris, Centre culturel allemand, jusqu’au 19 décembre 1997. Tél.: 01 44 43 92 30.
On lira avec profit Au jardin des malentendus. Le commerce franco-allemand des idées. Textes édités par Jacques Leenhardt et Robert Picht. Nouvelle édition augmentée et actualisée. Editions Actes Sud-Babel, 1997, 635 p., 69 F.
* Maire de Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne).
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