Présentés ensemble, les deux premiers films de Yann Le Quellec emportent le spectateur dans le joyeux mélange d’un cinéma audacieux, coloré et déjà maîtrisé.
Bernard Menez, Christophe, Bernard Hinault : si ce casting étrange émoustille le spectateur nostalgique des années 1970 et 1980 et attire l’amateur de carpes, de lapins et de cultures populaires, il peut aussi éveiller l’inquiétude du critique sourcilleux. Oui, mais pour faire quoi ? Le Quepa sur la Vilni, réalisé par Yann Le Quellec, répond avec humour : du cinéma. Du cinéma qui rend hommage à la cinéphilie et au vélo, à la musique et à la danse – et accessoirement à la littérature.
Soit le maire de Noère (Christophe) qui, pour annoncer l’inauguration d’un cinéma dans son village des Corbières, envoie une équipe de jeunes cyclistes menée par Bernard Ménez (facteur à la retraite) parcourir les routes de montagne. Chaque cycliste est affublé d’une lettre du film annoncé (Panique sur la ville !, film d’épouvante datant de 1957). Cela rend peu aisée la locomotion par grand vent. Pendant ce temps, Christophe, juché sur un âne, devise en totale improvisation – quand il ne joue pas de l’harmonica – avec son fidèle Pancho (Yves Pauc, vigneron dans le civil). Sur la route, l’équipe cycliste croisera un dieu vivant (Bernard Hinault) et une bourgade délirante – le village de Folk mené par son maire dyonisiaque (le danseur Romeu Runa). Lors de ce voyage initiatique, une sorte de road movie revenant à son point de départ, une double expérience sera profitable à presque tous : l’alliance de l’éveil aux sens et du sens du devoir.
Presque une comédie musicale
Si, par son goût de l’absurde et certains de ses thèmes, La Quepa sur la Vilni fait bien sûr songer à Tati et Jacques Rozier – et aux premiers Guiraudie –, ce moyen métrage trouve également sa place dans un certain renouveau du comique français. Quelque part, peut-être, entre le drôlissime La Fille du Quatorze Juillet d’Antonin Peretjatko (2013) et les films, plus décalés, de Benoît Forgeard ou de Thierry Jousse. Un goût pour le kitsch et la citation sans pédanterie ni cynisme ; une douce tension entre la nostalgie des paradis perdus et un besoin d’utopie. La réussite de Quepa sur la Vilni, prix Jean Vigo 2013, est aussi due à son remarquable travail sur le son, à la précision de ses cadres (le film est tourné en scope) et à la beauté de sa gamme chromatique, digne d’une comédie musicale – ce qu’il est presque. Le blanc du costume du maire de Noère, le jaune de celui de Bernard Hinault, le bleu du groupe de cycliste, se détachent au sein d’un paysage somptueux parfois nimbé de rose et violet, autant de couleurs qui n’auraient pas déplu à Jacques Demy.
Le premier film de Yann Le Quellec, Je sens le Beat qui monte en moi, est aussi programmé, en première partie, avec Le Quepa sur la Vilni (qui est son second film). Cette fois interprétée par la danseuse Rosalba Torres Guerrero et le critique, acteur et réalisateur Serge Bozon, cette rencontre amoureuse rend encore hommage au démon de la musique. Serge Bozon – amateur de northern soul – est en parfaite osmose avec l’univers burlesque de Yann Le Quellec (aussi influencé, dans ce film, par Luc Moullet et Buster Keaton). Et les piliers de la cathédrale de Poitiers se souviendront longtemps encore, sans doute, de la robe rouge de Rosalba Torres Guerrero et de ses pas possédés. Voici donc un auteur qui assume sa cinéphilie et ses influences, mélange les acteurs, les icônes et « les vraies gens », tout en réussissant à créer son propre univers, univers donnant envie de rire et de danser. On ne va pas s’en plaindre.



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