Marie-Pierre Vieu : « Nous avons décidé de nous constituer en front. Pas en parti »

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Après Éric Coquerel, Marie-Pierre Vieu, membre du comité national du PCF et de la coordination nationale du Front de gauche, revient sur les désaccords avec les autres composantes de la coalition.

Regards.fr. En présentant avec le PS des listes communes dans la moitié des villes de plus de 20.000 habitants (d’ores et déjà 193 sur 408), le PCF a provoqué des tensions avec la plupart de ses partenaires du Front de gauche. Cette décision ne risque-t-elle pas de brouiller l’image de la coalition ?

Marie-Pierre Vieu. La commune reste un maillon essentiel dans la construction des rapports sociaux. L’acte 3 de la décentralisation et la métropolisation ne rendent pas cet échelon moins pertinent, mais plus essentiel encore pour faire vivre la solidarité et l’intervention populaire. L’élection de mars doit permettre de gagner et d’asseoir des majorités communales sur ces bases. Pour le PCF, ce scrutin des municipales ne peut pas être abordé sur le seul registre de la politique nationale. L’exigence d’autonomie conquérante ne peut être déclinée de manière exclusive vis à vis du PS, mais doit prendre la forme de rassemblements divers prenant en compte l’ensemble des conditions politiques locales (reconduction des maires sortants, évaluation des bilans dans les villes de gauche, poids de la droite, du FN, lien avec les mouvements sociaux…).

La coalition est-elle menacée ?

Dans tous les cas, l’accord politique et électoral conclu n’est pas une fin en soi, il vient entériner ce qui est le plus utile pour favoriser le mouvement populaire. C’est cela qui fait désaccord entre le PG, Ensemble et mon Parti, particulièrement dans les grandes villes et métropoles où l’interaction entre les orientations nationales et municipales peut apparaître plus manifeste. Dans ces villes, le choix des communistes s’est porté pour une moitié sur des listes de rassemblement Front de gauche au premier tour, pour l’autre moitié sur des listes avec le PS – notamment quand la gauche est sortante. Cela peut être vécu comme un brouillage de l’image de la coalition. Je pense qu’il n’en est rien, parce qu’il ne s’agit d’une remise en cause ni du Front de Gauche ni de sa stratégie. La stratégie du Front de gauche est bien de construire une alternative à gauche. Cela fait consensus entre nous. Je crois, à partir de là, qu’il nous faut aujourd’hui dépasser la crise actuelle du Front de gauche par la valorisation de l’en commun.

Comment appréciez-vous la décision du PG de suspendre sa participation au Parti de la gauche européenne ?

Je pense que la décision du PG de suspendre sa participation au PGE est contre-productive. Elle n’est pas motivée par le débat européen, mais par la situation interne au Front de gauche. Or, les orientations et les activités du PGE ne peuvent pas être décidées en fonction de prises de position locales. Pour la délégation du PG présente, il s’agissait de dire « celui-là ne peut pas être président du PGE parce qu’il n’est pas conforme à notre représentation du Front de gauche ». C’est une posture hors de propos et très exclusive qui, si elle devait devenir le mode de fonctionnement du FdG (voire du PGE), pourrait se révéler mortifère. Nous sommes à moins de cinq mois des élections européennes, que François Hollande lors de ses vœux a identifiées lui-même comme un scrutin à l’occasion duquel il entend faire peser de concert la France et l’Allemagne. C’est-à-dire conforter la suprématie de la BCE et la logique de la concurrence libre et non faussée.

Comment aborder ces enjeux européens ?

Une première réponse est d’ouvrir une alternative saillante au carcan des traités et au dogme de la réduction des dépenses publiques. Une seconde d’affirmer la perspective d’une Europe de l’émancipation des peuples et des personnes prenant le parti des migrants, des droits des femmes, des salariés, et qui s’oppose aux solutions de repli nationaliste et xénophobe. Cette élection vient à un moment où l’UE toute entière subit l’austérité, et où des convergences entre mouvements et peuples se structurent. Elle ne peut être conçue comme la somme de scrutins nationaux, mais demande une campagne inédite de nos forces à l’échelle européenne. La décision de faire d’Alexis Tsipras, leader de Syriza, notre porte-parole, en est emblématique. Tout cela est partagé par l’ensemble du Front de gauche. Il est urgent que le PG reprenne toute sa place dans le PGE, comme il est urgent que nous avancions au sein du Front de gauche dans la mise en route des européennes – plate-forme et constitution des listes. 2009 a scellé la création du Front de gauche, 2014 doit nous permettre d’être la force d’alternative à gauche qui marque l’échéance.

L’inflexion actuelle du pouvoir socialiste pose des problèmes redoutables à la gauche. Comment voyez-vous les lignes stratégiques qui en découlent pour la gauche de gauche ?

Dès l’été 2012, le gouvernement Ayrault faisait le choix de la compétitivité contre la relance par l’emploi et le pouvoir d’achat. Manuel Valls faisait de l’expulsion des Roms la marque d’une « gauche populaire » et Hollande s’alignait sur Sarkozy en matière européenne. C’est pourquoi nous avons très vite parlé, dans les textes du Front de gauche, d’un social-libéralisme assumé. Ce qui semble la nouveauté en ce début d’année 2014, c’est l’offensive du groupe dirigeant du PS pour normaliser leur parti en l’uniformisant sur la social-démocratie européenne. La proposition du pacte de responsabilité en témoigne, qui reprend in extenso une proposition du MEDEF tandis que, dans le même temps, est balayée toute référence au mouvement syndical et populaire. L’Élysée a pris acte de la difficulté à construire une mobilisation sociale à la hauteur des coups qui sont portés, pour ne prendre que la faiblesse du mouvement sur les retraites. Il prend aussi acte de la crise que traverse aujourd’hui le Front de gauche. Ces deux éléments conjugués ont incité le pouvoir à reprendre l’initiative politique afin de tenter de convaincre l’opinion de l’inéluctabilité de ses choix. Pour l’heure, ces efforts ne provoquent pas l’adhésion populaire recherchée, ce qui rehausse notre rôle pour œuvrer au rassemblement et à la remise en mouvement de celles et ceux qui ont fait la victoire de 2012, et sont aujourd’hui les laissés-pour-compte d’Hollande.

Comment, alors, repenser la vocation du Front de gauche ?

Cette situation doit nous amener à retravailler sur ce qui a constitué la base de la création du Front de gauche : il faut inverser ce mouvement qui, depuis la fin des années 70, amène une majorité des femmes et des hommes de gauche à choisir l’accompagnement contre la rupture. Nous y sommes parvenus en 2005 avec la bataille sur le TCE. En 2010, sur le terrain social, avec la réforme des retraites. Je reste convaincue que nous avons commencé à ouvrir une brèche dans le débat politique de la présidentielle de 2012. À chacun de ses moments, nous avons été porteurs tout à la fois d’un projet et de l’ambition d’un rassemblement qui se décline à l’échelle de la gauche. Les évolutions actuelles du PS n’amoindrissent pas la fonction de notre coalition : elle la réactualise et la renforce.

La tension actuelle au sein de Front de gauche pose à plus long terme la question de son fonctionnement. Le PCF a-t-il sur ce point une analyse et des propositions ?

La question fondamentale posée au Front de gauche est sa démocratisation. Le Front de gauche n’est pas une stratégie, il est un outil qui doit évoluer en permanence pour se mettre au service de notre visée et de notre stratégie. Nous avons décidé de nous constituer en front. Pas en parti. Ce qui me semble probant aujourd’hui, c’est qu’un front nous a permis d’être un lieu ouvert favorisant à tout moment l’entrée de nouvelles forces (jusqu’aux Alternatifs et à la GA après les présidentielles). Il implique un mode de fonctionnement qui ne soit pas bâti sur la seule affirmation d’une majorité, mais se construise dans la durée sur le consensus, c’est-à-dire la recherche du plus grand dénominateur commun entre nous. Au regard de la diversité des histoires, mais également des différences culturelles et militantes qui traversent notre rassemblement, cela a favorisé le développement de notre force. De plus, la fonction du Front de gauche est de concevoir un rapport renouvelé au mouvement social et à la construction de l’action politique : le Conseil de campagne de Jean-Luc Mélenchon devenu Conseil national a permis l’entrée « naturelle » d’acteurs sociaux, d’intellectuels. Les fronts de lutte et thématiques ont aussi aidé ce mouvement, en même temps qu’ils ont été facteurs d’enrichissement et de diversification de notre réflexion et de nos interventions.

Quelles sont, selon vous, les limites actuelles de la coalition ?

Cette architecture du Front de gauche créée en 2009 et qui a permis la présidentielle de 2012 n’a pas, depuis, intégré dans sa structuration et dans sa vie les évolutions propres à la situation politique, comme celles propres à notre coalition. Là où nous ambitionnions de libérer l’initiative et l’intelligence, nous avons tendance aujourd’hui à produire de l’immobilisme et générer un centralisme qui paralyse tout déploiement d’activité. En quelque sorte, nous sommes en train de reproduire les défauts des partis sans en avoir les avantages. Début 2013 est sorti un texte commun sur un nouveau développement du Front de gauche qui prolongeait notre réflexion sur le concept de front, mais pointait les problèmes de prise de décision du collectif, les évolutions nécessaires du Conseil national pour devenir un lieu carrefour de notre coalition. Ce texte s’interrogeait sur une vraie ouverture à celles et ceux qui veulent rejoindre le Front de gauche, notamment au travers des assemblées citoyennes, des fronts de lutte et thématiques. Je pense que c’est dans ce sens qu’il nous faut poursuivre notre effort.

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