La Société comme verdict, de Didier Eribon

Identités multiples. « Pourquoi revient-on vers ce qu’on
avait tant voulu fuir ? », interroge le
sociologue-philosophe Didier Eribon.
En 2010, avec la publication de Retour
à Reims
, sa volonté de s’extraire de son
milieu familial s’est changée en quête
chaotique d’une identité multiple :
celle d’un intellectuel homosexuel fils
d’ouvrier. Son dernier livre, La Société
comme verdict
, offre un prolongement
à ce travail d’excavations politiques de
lui-même – en réalité infini. « On peut
avoir écrit un livre sur la honte et n’avoir
pas réussi à la dépasser. »
Confidence
faite au détour d’une anecdote contée
par l’auteur, l’histoire d’une photo de lui,
enfant, qui devait figurer en couverture
de l’édition de poche de Retour à
Reims
. Cette photo, il l’a rageusement
découpée de telle sorte qu’il ne reste
plus de son père figurant à ses côtés
qu’un morceau de sa chemise à
carreaux. Surtout qu’on ne puisse pas
voir – devant l’évidence de l’image qui
ne sait pas tricher – à quoi ressemblait
ce père qu’il avait voulu fuir. Le détail
du bout de vêtement sauvé des coups
de ciseaux du fils fournit la matière
première de La Société comme verdict.
Pour « rendre compte de l’ordre du
monde »
, comprendre pourquoi et
comment « ça marche », percer un peu
le mystère des déterminations sociales
et politiques inscrites dans les corps,
il fallait que Didier Eribon saisisse son désir de gommer cette figure
qui se rappelait à lui, et sa tentative
d’échapper ainsi à l’enfer. Car qu’estce
que l’enfer sinon les autres qui nous
imposent à partir du passé un être
social, une identité figée ? Et le rapport
à la famille n’est-il pas plus simple pour
les transfuges de classe qui vivent
une vie hétérosexuelle que pour les
transfuges gays ou lesbiennes ? De
fait, « comment récupérer son passé de
classe […] quand le présent de cette
classe rend délicat le dépassement
de la “honte” dans le domaine de la
sexualité »
? Autant d’interrogations
soulevées par Didier Eribon, lequel
réfléchit à la manière de concilier deux
démarches qui en lui s’entrechoquent.
Ou comment dépasser en même temps
la honte sociale et la honte sexuelle.

La Société comme verdict, de Didier Eribon,
éd. Fayard, 280 p., 19 euros

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *